C’est à chaque instant de leur vie que les Libanais pensent aux conséquences du statu quo politique: celles-ci transparaissent dans la sensation de faim dans tous les estomacs, la décrépitude des conditions médicales alors que les médicaments de base ne sont pas disponibles, les coupures d'électricité, les pénuries chroniques, les files d'attente interminables, la débâcle institutionnelle et les humiliations sans fin. J’ai perdu le compte du nombre de fois où j’ai reçu des demandes pour envoyer du Prozac dans un pays en proie à une épidémie de dépression.
Si les citoyens libanais se réveillent après les élections législatives du 15 mai pour découvrir que nous avons d'une manière ou d'une autre voté pour les mêmes factions traîtresses et corrompues, ou si ces sangsues et voleurs gagnent simplement parce que trop peu de personnes ont pris la peine de voter, alors peut-être – cela me peine de devoir le dire – méritons-nous encore quatre années de famine, de chaos social et probablement de conflit civil.
Nous ne devons pas voter simplement parce que les choses vont mal, mais parce qu'elles pourraient s'aggraver. Ne pas voter de manière décisive pour un changement radical revient à dire «oui» à l'Armageddon avec enthousiasme.
Tous les Libanais n'ont pas le luxe du choix. Dans plusieurs circonscriptions dominées par le Hezbollah, nous avons eu droit au spectacle révoltant de candidats de l'opposition non seulement se retirant publiquement de la course électorale devant des journalistes, mais s'excusant d'avoir initialement eu l’audace de se présenter, et jurant allégeance à Hassan Nasrallah.
Dans la seule circonscription de la Békaa III, trois candidats ont coup sur coup commis cet acte d'humiliation personnelle. Nous ne pouvons qu'imaginer la violence, les menaces de mort et la corruption pure et simple qui les ont forcés à agir de la sorte. Des candidats ont été agressés physiquement et ont reçu des menaces spécifiques de viol ou de meurtre de leurs filles ou leurs épouses s'ils ne se retiraient pas. Le parti Amal de Nabih Berri a tabassé des militants engagés dans des activités publiques. Les circonscriptions du territoire du Hezbollah sont celles qui comptent le plus petit nombre de candidats, et ce pour des raisons évidentes et déprimantes.
Quel genre de monstres attaqueraient et blesseraient le candidat de Baalbek-Hermel, l'universitaire chiite Dr Hussein Raad, lors d'une cérémonie marquant l'anniversaire de la mort de sa mère? Raad peut raconter toute une série d'autres incidents violents et menaçants qui l’ont visé à lui et sa famille, dont un au cours duquel des hommes lourdement armés ont encerclé la maison dans laquelle il se trouvait et ont ouvert le feu jusqu'à ce qu'il soit secouru par les forces de sécurité. C'est le prix à pays si l’on veut défier le Hezbollah en 2022.
La propagande de prédicateurs tels que le mufti Ahmed Qablan est que le fait de ne pas voter pour les «listes divines» de ce «duo chiite» signifie agir contre la volonté de Dieu pour l'humanité. Qui peut contredire cela? Heureusement, plusieurs religieux chiites courageux ont dénoncé ces abus sacrilèges sans vergogne de la religion.
Quelle religion infâme pensent-ils suivre, qui leur donne le droit d'attaquer physiquement les opposants, les militants et les citoyens? Est-ce juste un vœu pieux, ou ces mesures extrêmes sentent-elles fort la panique, alors que Nasrallah reconnaît que le statu quo pourri, corrompu et humiliant pourrait être aboli et piétiné sous ses yeux?
Nasrallah sait que si la nation libanaise – chrétienne, chiite, sunnite et druze – s'unit contre lui, le Hezbollah sera alors loin d'être invincible. Ces démonstrations de force brutales sont en fait des aveux criants de faiblesse et de vulnérabilité de la part de ces marionnettes traîtresses de Téhéran qui ont travaillé inlassablement pour susciter à juste titre le mépris éternel du Liban.
«Alors que les forces du mal s’unissent pour libérer leurs arsenaux afin de saboter les options crédibles et nous empêcher de voter, c'est un moment existentiel pour assurer notre survie en tant que nation.»
Baria Alamuddin
Tous ceux qui ne souhaitent pas voir venir une apocalypse libanaise doivent à leur nation d'étudier qui sont les plus fervents défenseurs d'un changement radical dans leur district, qui a une perspective de victoire, et qui pourrait plus tard trahir la nation et se ranger du côté de «Hezb al-Shaitan» («parti du diable»), et s'assurer que tous ceux qu'ils connaissent en font de même.
Gebran Bassil, chef du Courant patriotique libre, a déposé une plainte officielle contre les partis rivaux pour avoir dépassé le plafond des dépenses électorales. Pourtant, c'est un homme qui a enfreint toutes les règles de bienséance imaginables, notamment en voyageant avec sa propre armée privée – dont on dit qu'elle comprend du personnel de sécurité de la garde présidentielle, grâce à son beau-père.
Cela était peut-être nécessaire, étant donné le tsunami de haine et de dégoût à son égard dans tout le pays, les citoyens bloquant les routes avec des pneus enflammés pour l'empêcher de se rendre dans leur quartier. Dans des circonstances normales, nous aurions donné à cet homme la chance d'être entendu, mais c'est quelqu'un qui a presque littéralement conclu un pacte avec le diable.
Fait encourageant, malgré les grands efforts du personnel du ministère des Affaires étrangères pour rendre le vote en avance des expatriés d'une complexité prohibitive, celui-là a connu des niveaux élevés de participation, et ce grâce à des organisations telles que Kulluna Irada et Impact Lebanon, et à des hommes d'affaires qui ont généreusement soutenu des mesures visant à faciliter l'engagement et l'activisme de la diaspora. Le Hezbollah les accuse bien sûr d'agir au nom des ambassades étrangères et d'Israël, mais un tel discours a été tellement galvaudé que l’on pourrait se demander qui l’écoute encore.
Participer au vote a été pour moi un moment d’enthousiasme et de fierté, et peut-être qu'en tant que nation, cela pourrait être une première étape pour retrouver notre sentiment de fierté nationale et de confiance en soi. Malgré d'immenses files d'attente pour voter à l'étranger, il y a eu un sentiment particulier d'euphorie chez les jeunes. Des citoyens qui ne s’étaient jamais intéressés à la politique sont en éveil et vigilants comme jamais auparavant, en partie grâce à l'impact galvanisant des réseaux sociaux.
Pourtant, les militants craignent que le vote à l'étranger ne soit perdu ou tout simplement supprimé au Liban. Ils sont également préoccupés par l'équité du vote dans les districts contrôlés par des factions particulières, et du fait que – comme cela s'est produit en Irak – Téhéran ordonnera au Hezbollah de ne pas accepter les résultats si ce dernier ne sort pas vainqueur. Il est donc probable qu'il y aura un besoin encore plus grand d'activisme civil après les élections, pour s'assurer que la volonté populaire est mise en application.
Alors que les forces du mal s’unissent pour libérer leurs arsenaux afin de saboter les options crédibles et nous empêcher de voter, c'est un moment existentiel pour assurer notre survie en tant que nation.
Si nous nous trompons cette fois-ci, y a-t-il quelqu'un qui croit sérieusement que le Liban existera encore en tant qu'entité cohérente dans quatre ans pour rectifier cette erreur catastrophique?
Par conséquent, ce sont sans aucun doute les élections les plus importantes de notre vie. Utilisez votre vote avec une extrême prudence. Nos vies et notre avenir en dépendent.
Baria Alamuddin est une journaliste et animatrice ayant reçu de nombreux prix au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. Elle est rédactrice en chef du Media Services Syndicate et a interviewé de nombreux chefs d'État.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette rubrique est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com