Le navire libanais coule, chaque jour un peu plus. Plus d’une douzaine de citoyens désespérés ont péri, noyés, après qu’un bateau de migrants surchargé a fait naufrage au large de Tripoli la semaine dernière. Cela en dit long sur la nécessité d’organiser des élections pour mettre fin à cette effroyable réalité, mais il existe toujours des personnes qui exploitent la tragédie pour tenter d’annuler ou de saboter le vote.
Le quotidien pro-Hezbollah Al-Akhbar écrit: «Ce bateau de la mort a mis fin aux campagnes électorales de Tripoli.» Avec une joie à peine dissimulée, le journal Addiyar, qui adopte des opinions similaires, espère que cette tragédie encouragera les sunnites à boycotter le vote.
Des personnes endeuillées ont laissé libre cours à leur colère, déchirant les affiches de campagne des candidats de Tripoli. Un parent furieux déclare à Al-Jadeed TV: «Il n’y aura pas d’élections à Tripoli tant que les corps de nos enfants ne seront pas repêchés.»
Cette colère est dirigée à juste titre contre les classes politiques qui ont plongé le pays dans une situation désespérée. Cependant, la solution est de se rendre aux urnes pour élire des figures pro-révolution qui promettent un changement radical. S’il l’on veut se venger, c’est la forme de vengeance la plus profonde que les citoyens sont capables d’exercer sur leurs bourreaux.
Dans ce climat amer et torride, les théories du complot fusent quant au moment où cette catastrophe s’est produite et à ceux qui en tirent profit. La déclaration de la marine libanaise selon laquelle le bateau aurait simplement coulé parce qu’il était surchargé n’était pas convaincante. Il s’est avéré que la marine l’avait elle-même percuté.
Cependant, il faut se méfier de ceux qui exploitent ce désastre pour tenter de creuser un fossé entre l’armée et les citoyens. L’armée est l’un des rares remparts dont dispose le Liban pour prévenir l’anarchie. Des sources du Hezbollah avertissent: «Il y a une sorte de cabinet noir qui œuvre à saper la sécurité et la stabilité avant les élections.» Eh bien, ils en savent quelque chose!
Le Hezbollah sait que ce tsunami de colère publique pourrait bouleverser ses plans d’acheter le soutien de personnes dans des quartiers populaires comme Tripoli. Avec une pointe de désespoir, un commentateur pro-Hezbollah met en garde les citoyens de Tripoli contre le fait de «voter pour ceux qui vous ont appauvris, affamés, poussés à migrer et tués sur terre et en mer».
Nous rions amèrement lorsque des politiciens exigent une enquête sur le bateau de la mort, car nous devinons d’ores et déjà le cours des événements: il y aura toujours des personnes pour mettre des bâtons dans les roues ou attaquer leurs rivaux politiques. Alors oui, menons une enquête. Mais commençons par mener à bien d’autres enquêtes et procédons aux arrestations nécessaires – notamment concernant l’enquête sur l’explosion du port de Beyrouth en 2020. Même le président, Michel Aoun, accuse implicitement le Hezbollah d’«invoquer des immunités, des privilèges et des vides juridiques qui paralysent les capacités du pouvoir judiciaire».
Ma ville natale, Tripoli la magnifique, a souvent été malmenée. Le lieu qui a permis à des personnes de devenir milliardaires est embourbé dans la pauvreté. Pendant la guerre civile, c’était une région où les communautés religieuses ne s’entretuaient pas. La ville est désormais la cible des efforts visant à dresser les citoyens les uns contre les autres – avec notamment le discours sectaire toxique de Hassan Nasrallah, qui dépeint tous les sunnites de Tripoli comme des recrues endoctrinées de Daech. Dans le même temps, les habitants rapportent le flux constant de petits bateaux qui quittent la côte de Tripoli, en quête d’un avenir ailleurs qu’au Liban.
À quelques heures de la date limite pour le vote des expatriés, le ministre des Affaires étrangères, Abdallah Bou Habib, est accusé d’avoir délibérément compliqué les règles de vote pour les Libanais de l’étranger. À titre d’exemple, plusieurs membres d’une même famille sont contraints de se rendre dans des bureaux de vote à des heures de route les uns des autres. Je suis certaine que c’est par pur hasard que le consul général en Australie, où l’on recense les pires situations de la sorte, soit affilié au Courant patriotique libre (CPL) de Michel Aoun, qui a fait tout ce qui était en son pouvoir pour saboter les élections au nom de ses alliés du Hezbollah.
Le président de la Chambre des députés, Nabih Berri, fait également tout son possible pour perturber le vote. Lorsque des candidats de la liste de l’opposition baptisée «Ensemble pour le changement» ont tenté d’organiser un événement, les voyous de Berri ont bloqué les routes et les ont attaqués avec des pierres. Ceux qui ont tout de même réussi à se frayer un chemin ont été battus et accusés d’être des traîtres qui servent les intérêts d’Israël et des ambassades étrangères.
Ceux d’entre vous qui croient que les élections ne peuvent rien changer devraient se demander de quoi Hassan Nasrallah, Nabih Berri et Gebran Bassil ont si peur!
«Cette colère est dirigée à juste titre contre les classes politiques qui ont plongé le pays dans une situation désespérée.» - Baria Alamuddin
Téhéran a également essayé de leurrer les électeurs avec des promesses vaines, affirmant que la République islamique «envisageait» d’approvisionner le Liban en électricité, alors que le pays connaît lui-même des pannes d’électricité régulières et qu’il a même cherché à les atténuer en bloquant l’approvisionnement en électricité de l’Irak.
M. Nasrallah, quant à lui, provoque Israël en précisant que le Hezbollah et le Liban sont prêts à répondre «rapidement et directement» à une invasion militaire. Serait-il sérieux? Le Liban ne peut même pas fournir des passeports assez rapidement pour le flot de personnes qui cherchent à émigrer et le bureau des passeports a fermé, car il ne dispose plus du matériel nécessaire.
Les deux dernières centrales électriques opérationnelles au Liban ont été fermées la semaine dernière en attendant l’arrivée de carburant diesel en provenance d’Irak. Le pays survivait déjà avec quelques misérables heures d’électricité par jour. Avec la chaleur estivale, de telles pénuries mettront des vies en danger et il sera impossible de maintenir ouverts les hôpitaux, les écoles, les usines et les institutions essentielles.
La misère est si pesante au quotidien que le fait d’embarquer dans un minuscule canot pneumatique en risquant de se noyer au large de la Méditerranée est en quelque sorte devenu une option attrayante. Les citoyens de Tripoli ont le droit de se demander pourquoi ils devraient participer à un système électoral qui les a toujours déçus, alors qu’ils arrivent à peine à nourrir leurs familles. Mais c’est précisément pour cette raison qu’ils doivent participer, en votant pour des candidats révolutionnaires qui s’engagent à réduire en cendres ce système sectaire corrompu et en les forçant à tenir cette promesse.
Je supplie tous ceux qui s’apprêtent à fuir le Liban de rester pour voter contre les kleptocrates et les criminels de guerre. Si nous utilisons tous nos votes avec la sagesse qui fait la renommée des Libanais, alors un véritable changement est à notre portée.
Les citoyens qui souffrent depuis si longtemps ne devraient pas risquer leur vie dans des pièges gonflables mortels. Au lieu de cela, jetons à la mer MM. Nasrallah, Bassil, Berri, Aoun et le reste de la vieille garde méprisable dans leur propre navire surchargé. Ainsi, nous pourrons reconstruire librement et pacifiquement cette nation brisée.
Baria Alamuddin est une journaliste primée et une présentatrice au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. C’est la rédactrice en chef du syndicat des services de médias. Elle a déjà interviewé un grand nombre de chefs d’État.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com