Le vice-Premier ministre russe, Yuri Borisov, s'est rendu à Damas la semaine dernière afin d’informer le président syrien, Bachar al-Assad, des résultats du sommet Vladimir Poutine-Joe Biden. M. Borisov a également rassuré M. Al-Assad au sujet des sanctions et de l'aide.
La Russie use de son pouvoir avec la communauté internationale pour faciliter l'acceptation du régime d'Al-Assad. Elle peut utiliser son droit de veto au Conseil de sécurité de l'Organisation des nations unies (ONU) le mois prochain afin de fermer le dernier point d'accès à l'aide humanitaire – le passage de la Turquie au nord de la Syrie – obligeant la communauté internationale à traiter avec Damas. Toutefois, cette démarche a ses limites et M. Al-Assad est encore loin d'être accepté.
L'argument de M. Poutine est que le régime d'Assad est le gouvernement légitime de la Syrie et devrait donc être chargé de gérer toute la distribution de l'aide. Le poste-frontière de Bab al-Hawa permet de distribuer l’aide humanitaire à 4 millions de personnes à Idlib, dernier bastion de l'opposition. Les États-Unis montrent déjà des signes de leur volonté de négocier avec la Russie au sujet de la Syrie.
Les incitations qu'ils proposent sont des dérogations à certaines sanctions de la loi César et un gel des opérations d'une société énergétique américaine à l'est de l'Euphrate en échange de l'ouverture par la Russie de trois points de passage vers la Syrie, deux depuis la Turquie et un depuis l'Irak.
Dans le même temps, des pourparlers visent à réintégrer le régime d'Assad au sein de la Ligue arabe. Le secrétaire d'État américain, Antony Blinken, participera lundi à Rome à un sommet initialement prévu pour traiter de Daech, mais une invitation a été adressée à la Ligue arabe afin de contrer la pression russe pour normaliser les relations avec Damas. Le message principal est que toute normalisation éventuelle ne devra pas être gratuite et que M. Al-Assad devra faire preuve de bonne conduite pour être accepté.
L'administration Biden a de plus en plus tendance à se retirer de la région, ce qui s’inscrit dans la continuité de la politique de Donald Trump. À cet égard, les États-Unis accepteraient et même salueraient une implication russe plus importante. Bachar al-Assad, pétri d’arrogance, pourrait penser qu'un accord russo-américain concernant la Syrie signifierait que les États-Unis acceptent sa «victoire» et que l'Occident a capitulé, mais c’est loin d’être vrai.
Si le président syrien peut se réjouir de la levée de certaines sanctions, il ne se rend pas compte qu'il vit en sursis.
Dr Dania Koleitat Khatib
Malgré leurs divergences actuelles, la Russie et les États-Unis souhaitent une stabilisation de la situation en Syrie, mais pour des raisons différentes. La Russie veut une Syrie stable à partir de laquelle elle peut projeter sa puissance dans la région. L'un des principaux arguments de Vladimir Poutine à son électorat est qu'il rétablit la position de premier plan de la Russie dans la politique internationale, perdue avec l'effondrement de l'Union soviétique. L
es Russes sont également conscients de la nature perfide de Bachar al-Assad. Ils savent qu'il n'est pas celui qui apportera la stabilité à la Syrie, mais en l'absence d'une acceptation américaine de leur nouveau rôle dans la région, M. Al-Assad est la meilleure monnaie d'échange dont ils disposent pour négocier avec l'Occident.
Toutefois, Bachar al-Assad est difficile à faire accepter. Il est peu probable qu'Israël l'accepte. Un ancien responsable américain qui assure la liaison avec Israël concernant la Syrie, m'a indiqué qu'Al-Assad avait «trop souvent demandé de l’aide» et que les Israéliens ne croyaient pas qu'il était disposé ou capable de contrôler l'Iran en Syrie.
Joe Biden ne peut pas non plus accepter M. Al-Assad, en particulier parce qu'il a mis les droits de l'homme au premier plan de sa politique étrangère. Les membres du Congrès ont également été consternés par l’incapacité de la nouvelle administration à faire appliquer la loi César.
Bien que les États-Unis soient déterminés à désamorcer la situation et à réduire leur présence avec le moins de dégâts possible, les tentatives d'apaiser les tensions entre l'Iran et la Russie ne devraient pas être considérées comme acquises par Bachar al-Assad.
Contrairement à Donald Trump, connu pour sa politique générale de pression maximale sur l'Iran et ses alliés, la position de Joe Biden sur ces différentes questions n'est pas claire. Il s’agit probablement d’une stratégie volontaire afin d'éviter qu'il ne soit prisonnier de sa position et de laisser une marge de manœuvre et de négociation avec les différents acteurs.
Le principal objectif de l'administration Biden dans la région est de revenir à l'accord nucléaire iranien.
Toutes les questions relatives au Moyen-Orient sont envisagées sous cet angle. Les Américains ne devraient pas engager de confrontation avant la signature d'un accord avec Téhéran. La vraie question est de savoir quelles seront les positions américaines sur ces différentes questions une fois que l'Iran sera revenu à l'accord nucléaire?
Si Bachar al-Assad peut se réjouir de la levée de certaines sanctions, il ne se rend pas compte qu'il vit en sursis. La menace la plus mortelle pour lui serait un rapprochement américano-russe. Le vote du 10 juillet sur le poste-frontière de Bab al-Hawa déterminera si la Russie et les États-Unis sont parvenus à un accord. Le vote de Moscou dictera le rythme de la coopération russo-américaine à l’égard de la Syrie.
Même si la Russie décide de voter contre l'ouverture du passage, il est peu probable que la communauté internationale fasse transiter toute l'aide par Damas et permette ainsi à M. Al-Assad de mettre tout le pays à sa merci. Peut-on faire confiance à Bachar al-Assad pour l'aide destinée à Idlib? Probablement pas. Mais l'aide peut toujours être acheminée par l'intermédiaire d'organisations non gouvernementales (ONG), rendant inutile la mise en place de points de passage officiels.
Bachar al-Assad s’est joué des Iraniens et des Russes. Il peut désormais bénéficier de la volonté de l'administration Biden d’apaiser les tensions entre les deux pays. Les États-Unis désirent aboutir à un accord avec l'Iran avant qu'Ebrahim Raïssi ne prenne ses fonctions de président. L’Amérique ne veut aucun incident qui pourrait perturber les négociations. Cela ne signifie pas pour autant que Bachar al-Assad ait gagné ou que la communauté internationale l'ait accepté.
Bien que Bachar al-Assad puisse se réjouir des garanties de M. Borisov, il devrait considérer la situation dans sa globalité, qui n'est peut-être pas aussi brillante concernant la continuité de son règne en Syrie.
Le Dr Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes, et en particulier du lobbying. Elle est cofondatrice du Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix, une ONG libanaise axée sur la voie II. Elle est également chercheure affiliée à l’Institut Issam Fares pour les politiques publiques et les affaires internationales de l’université américaine de Beyrouth.
L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur arabnews.com