En Syrie, le statu quo risque de perdurer

Le président syrien, Bachar al-Assad, en visite dans des usines situées dans la cité industrielle d'Adra, dans la campagne de Damas. (Dossier/AFP)
Le président syrien, Bachar al-Assad, en visite dans des usines situées dans la cité industrielle d'Adra, dans la campagne de Damas. (Dossier/AFP)
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Publié le Mardi 15 juin 2021

En Syrie, le statu quo risque de perdurer

En Syrie, le statu quo risque de perdurer
  • Pour les pays occidentaux, la normalisation intégrale des relations avec M. Al-Assad est une tâche ardue
  • Dans le meilleur des cas, les donateurs internationaux s'efforceront d'accroître la résilience de la population, tant en Syrie que dans les pays d'accueil

Une déclaration faite mercredi par le secrétaire d'État américain, Antony Blinken, au sujet du plateau du Golan a contrarié le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, qui a réagi à ces propos qui présentent, selon lui, un refus de reconnaître la souveraineté d'Israël sur le Golan.

M. Blinken a en effet fait savoir que le Golan devait demeurer pour l'instant sous le contrôle d'Israël, en raison de l'importance qu'il revêt pour la sécurité du pays. Mais le message exprimé entre les lignes concerne plutôt M. Al-Assad que M. Netanyahou. Ce message envoyé indirectement suggère qu'aucune solution réelle ne sera possible pour Bachar al-Assad: M. Blinken a déclaré que la question juridique du Golan pourrait être abordée lorsque la situation en Syrie changerait, mais il a également indiqué que «nous sommes loin» d'assister à un quelconque changement en Syrie.

Il est probable que Bachar al-Assad suive le chemin de l'ancien président du Soudan, Omar al-Bachir; la communauté internationale a abandonné à un moment donné l'idée d'écarter celui-ci du pouvoir. Néanmoins, compte tenu du nombre de crimes que M. Al-Bachir avait commis, son retour au pays n'était pas tolérable. Ainsi, le Soudan a stagné dans un scénario de ni guerre ni paix pendant des années, jusqu'au moment où la situation est devenue intenable: Omar al-Bachir a donc été destitué en avril 2019 à la suite de protestations populaires. La Syrie devra sans doute faire face à un statu quo qui durera plusieurs années.

Il est probable que Bachar al-Assad suive le chemin de l'ancien président du Soudan, Omar al-Bachir. La communauté internationale a abandonné à un moment donné l'idée d'écarter celui-ci du pouvoir. Néanmoins, compte tenu du nombre de crimes que M. Al-Bachir avait commis, son retour au pays n'était pas tolérable.

Dr Dania Koleilat Khatib

Pour les pays occidentaux, la normalisation intégrale des relations avec M. Al-Assad est une tâche ardue. Même si certains pays rouvrent des ambassades, cela ne signifie pas que la communauté internationale accepte Bachar al-Assad.

Le rejet d'Assad ne se limite plus au niveau de l'État, il se manifeste également au niveau du peuple.

En effet, M. Al-Assad fait l'objet de poursuites devant la Cour nationale d'Allemagne, et les Néerlandais ainsi que les Canadiens ont porté l'affaire devant la Cour pénale internationale (CPI). Le monde entier a été témoin des atrocités qu’il a perpétrées – illustrées par les photos qu'un ancien membre du régime, sous le pseudonyme de César, a prises clandestinement. Mais si l'administration Biden prétend mettre les droits de l'homme en tête de ses décisions en matière de politique étrangère, peut-elle accepter Bachar al-Assad ou supprimer l'une des sanctions imposées dans le cadre du Caesar Act et approuvées par le Congrès?

Étant donné que Bachar al-Assad ne sera pas accepté, la transition, et par conséquent la reconstruction, ne seront pas envisagées. Par ailleurs, l'Occident refusera d'injecter dans le pays de l'argent qui pourrait profiter à M. Al-Assad et à ses partisans. Au contraire, les États-Unis, entre autres, ont intérêt à laisser la Russie se noyer lentement dans le marécage syrien. Barack Obama n'a-t-il pas prévenu Vladimir Poutine qu'il serait confronté à la même situation que les Américains ont rencontrée en Irak – un «bourbier» duquel il sera très difficile de sortir. L’Occident a cependant déjà absorbé le principal traumatisme provoqué par la guerre en Syrie, soit les vagues de réfugiés. La plupart des réfugiés sont répartis en Jordanie, au Liban et en Turquie, et la communauté internationale cherche des solutions afin de les encadrer et de les héberger dans les pays d'accueil.
 

En outre, le Danemark a récemment révoqué la résidence de 189 réfugiés au motif que la sécurité en Syrie s'était «considérablement améliorée» dans leur pays. Le séjour de près de 500 personnes provenant de la région de Damas fait l'objet d'une réévaluation. Bien que la décision du Danemark ait suscité des critiques de la part de l'Union européenne (UE) et des États-Unis ainsi que la résistance de certains groupes de défense des droits de l'homme, elle risque de devenir une tendance en Europe. Elle signifie également que le Danemark en a fini avec la Syrie. D'un autre côté, Bachar al-Assad est loin de pouvoir remporter une victoire absolue. Il ne parvient pas à exercer un contrôle total sur les zones qui se trouvent sous sa coupe. C'est une coalition fragile de seigneurs de la guerre affiliés au régime qui assure la gouvernance du pays, sans qu'ils soient toutefois soumis au contrôle et au commandement centraux. La Syrie est arrivée à un stade où chaque acteur est cantonné dans sa propre zone. À moins qu'une force majeure, un joker ou un imprévu ne vienne rompre ce triste équilibre, le statu quo a toutes les chances de perdurer.

Mais que peut faire la communauté internationale pour gérer une telle situation et que doivent faire les donateurs internationaux?

Dans le meilleur des cas, les donateurs internationaux s'efforceront d'accroître la résilience de la population, tant en Syrie que dans les pays d'accueil. Dans la mesure où les gens ne peuvent pas indéfiniment compter sur l'aide pour survivre, les donateurs se doivent de trouver des moyens de subsistance autogénérateurs. 

Créer des emplois est certes une tâche bien plus ardue dans le contexte actuel, mais cette démarche représente la seule voie que la communauté internationale puisse explorer en Syrie. Le discours devrait porter sur le renforcement de la résilience des personnes dans leurs propres communautés. Les donateurs doivent ainsi repérer les catalyseurs de l'économie locale et les promouvoir afin de favoriser l'autosuffisance des communautés. Ils doivent donc lancer de petits projets susceptibles de générer des revenus et des emplois, de garantir des moyens de subsistance durables et d'améliorer les économies locales. 

Il convient d'initier des projets agricoles, en particulier des coopérations pour les petits agriculteurs et des plates-formes pour les artisans. Ces projets devront prendre en compte les différentes infrastructures disponibles. La solution consiste donc à renforcer l'autosuffisance de chaque communauté de façon à accroître sa résilience. C’est là que les choses se compliquent, dans la mesure où les donateurs souhaitent renforcer la résilience de la population sans pour autant consolider la situation qui prévaut actuellement. 

Bien entendu, l'objectif est de créer une Syrie unifiée dans laquelle toutes les régions sont interconnectées. Cependant, faute d'une solution politique, le scénario le plus favorable reste d'augmenter la résilience des communautés locales en favorisant leur autosuffisance.

Le comportement abusif des mercenaires et des groupes armés posera toutefois toujours problème. Dans ce contexte, il incombe à la communauté des donateurs de mettre en place un mécanisme en collaboration avec les pays qui possèdent une certaine influence en Syrie – soit la Russie, la Turquie et les États-Unis – dans les zones où ces pays peuvent garantir un climat de sécurité. Les structures locales veilleront à protéger de l'intimidation des milices les petits projets destinés à générer des moyens de subsistance.

Ce n'est peut-être pas la stratégie idéale, mais puisque les Syriens devront malheureusement attendre un certain temps avant qu'une solution définitive ne soit trouvée, le moins que la communauté internationale puisse faire est de rendre leur attente moins pénible.

Le Dr Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes, et en particulier du lobbying. Elle est cofondatrice du Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix, une ONG libanaise. Elle est également chercheure affiliée à l’Institut Issam Fares pour les politiques publiques et les affaires internationales de l’université américaine de Beyrouth.

Dr. Dania Koleilat Khatib est spécialiste des relations américano-arabes, spécialisée dans le lobbying. Elle est titulaire d'un doctorat en politique de l'Université d'Exeter. Elle est chercheuse affiliée à l'Institut Issam Fares pour les politiques publiques et les affaires internationales de l'Université américaine de Beyrouth.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur arabnews.com