Nouvelles initiatives diplomatiques en Syrie après dix ans de conflit

Une Syrienne kurde passe avec son enfant devant les ruines de la ville de Kobané, connue également sous le nom d'Ain al-Arab, le 25 mars 2015. (AFP)
Une Syrienne kurde passe avec son enfant devant les ruines de la ville de Kobané, connue également sous le nom d'Ain al-Arab, le 25 mars 2015. (AFP)
Short Url
Publié le Mercredi 14 avril 2021

Nouvelles initiatives diplomatiques en Syrie après dix ans de conflit

Nouvelles initiatives diplomatiques en Syrie après dix ans de conflit
  • L'envoyé spécial des Nations unies pour la Syrie, Geir Pedersen, a déploré les « violences et indignités inconcevables » endurées par les Syriens au cours de la dernière décennie et a applaudi leur « résilience »
  • Le ministre des Affaires étrangères des EAU, Sheikh Abdallah ben Zayed, a qualifié le retour de la Syrie dans le camp des pays arabes comme bénéfique « pour la Syrie et la région ».

La commémoration en mars des 10 ans du conflit civil sanglant qui déchire la Syrie fait naître des expressions d'angoisse associées à quelques nouvelles initiatives diplomatiques.

Ce conflit qui a éclaté le 15 mars 2011 a coûté la vie à près d'un demi-million de personnes et en a déplacé plusieurs millions d'autres.

« C'est un cauchemar vivant». C'est par ces mots que le Secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a décrit la situation en Syrie. Il a également évoqué les « atrocités » et les « crimes les plus odieux » dont ont été victimes les Syriens. Il a averti que 60 % de la population pourrait connaître la faim au cours de cette année.

Pour sa part, l'envoyé spécial des Nations unies pour la Syrie, Geir Pedersen, a déploré les « violences et indignités inconcevables » endurées par les Syriens au cours de la dernière décennie et a applaudi leur « résilience ».

La lassitude généralisée vis-à-vis de l'imbroglio syrien était visible lors de la conférence de donateurs organisée en ligne par les Nations unies à Bruxelles le 29 mars. Mark Lowcock, chef de l'aide humanitaire et des secours d'urgence aux Nations unies, a fait état d'une décennie de « mort, de destruction, de déplacement, de maladie, d'effroi et de désespoir » en Syrie. Toutefois, cette exubérance verbale n'a collecté que 24 milliards de SAR (6,4 milliards de dollars) pour l'année, alors que l'objectif était fixé à 10 milliards de dollars. A part l'Allemagne, tous les autres pays ont baissé leur engagement en comparaison avec l'année précédente.

Ironiquement, les rues d'Idlib, d'Al-Bab et d'Azaz, dans les régions contrôlées par l'opposition au nord de la Syrie, ont été envahies par des centaines de milliers de personnes, le 18 mars, pour marquer le 10e  anniversaire de leur « révolution ». Ils ont repris leurs slogans de liberté, de justice et de dignité, vieux de dix ans, et ont renouvelé leur engagement à renverser le régime de Bachar Assad. Ils ont préféré oublier que leur cause est tombée à l'eau et que le régime d'Assad contrôle désormais 60 % du pays.

Cependant, quelques signes montrent qu'une nouvelle réflexion sur la Syrie se profile à l'horizon. Lors de la réunion des ministres des Affaires étrangères des pays de la Ligue arabe qui s'est tenue au Caire le 3 mars, le ministre égyptien des Affaires étrangères, Sameh Shoukry, a préconisé le retour de la Syrie au sein de la Ligue arabe, dont elle a été expulsée voici dix ans. Il a souligné que ce retour devait s'inscrire dans le cadre d'une « solution politique » globale qui intègrerait également l'opposition syrienne. Certains commentateurs égyptiens estiment que le retour de la Syrie au sein de la Ligue arabe favoriserait le processus de paix au niveau du pays tout en atténuant l'influence des pays non arabes en Syrie.

Sur cette toile de fond, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergei Lavrov, a réalisé une importante percée diplomatique dans le Golfe en visitant l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et le Qatar entre le 8 et le 12 mars. La Syrie a été au cœur des discussions, ce qui dénote un nouvel intérêt arabe pour les questions liées à la Syrie, visant à faciliter le retour de ce pays dans le giron arabe.

Ainsi, M. Lavrov a pu former une idée assez lucide de la perception des pays de la région à l'égard du dossier syrien. Pour sa part, le ministre des Affaires étrangères des EAU, Sheikh Abdallah ben Zayed, a qualifié le retour de la Syrie dans le camp des pays arabes comme étant bénéfique « pour la Syrie et la région ». Il a également dénoncé les sanctions américaines imposées à la Syrie dans le cadre du Caesar Syria Civilian Protection Act (la Loi César).

La rencontre des ministres des Affaires étrangères de la Russie, de la Turquie et du Qatar, le 11 mars à Doha, a marqué une évolution importante dans la tournée de M. Lavrov. Si le Qatar s'est opposé à un retour prématuré de la Syrie au sein de la Ligue arabe, les trois ministres ont toutefois annoncé leur nouveau « processus de consultation trilatéral » visant à aboutir à une « solution politique durable » en Syrie. Dans leur déclaration commune, les ministres ont souligné leur engagement en faveur de l'intégrité territoriale de la Syrie et d'un règlement politique global, ainsi que leur soutien aux efforts du comité constitutionnel et au rapatriement anticipé des personnes déplacées.

En effet, cette initiative donne à penser que le processus de paix d'Astana a expiré et que la situation requiert désormais une nouvelle approche et un nouveau partenaire. L'inclusion du Qatar dans le processus trilatéral permettrait éventuellement de tempérer les ambitions territoriales et politiques de la Turquie en Syrie. Un défi de taille, certes. Dans un article paru dans Bloomberg le 15 mars, le président turc Recep Tayyip Erdogan a sollicité le « soutien de l'Occident » au programme d'Istanbul en Syrie, à savoir un appui à la « zone de sécurité » établie par la Turquie dans le nord du pays, à sa confrontation avec les Kurdes et à sa présence militaire dans le nord de la Syrie.

 

Au terme du conflit sanglant qui fait rage en Syrie depuis dix ans, la situation demeure aussi complexe et obscure qu'elle l'a toujours été depuis.

Talmiz Ahmad

Cette approche semble constituer un autre exemple de la duplicité d'Erdogan, qui demande à l'Occident de soutenir un programme auquel ses partenaires d'Astana - la Russie et l'Iran - s'opposent fermement, chose dont il est conscient. Quoi qu'il en soit, cette stratégie a peu de chances d'aboutir, dans la mesure où les puissances occidentales ne sont pas disposées à abandonner les Kurdes ou à tolérer la complicité d'Erdogan avec les groupes extrémistes d'Idlib.

Dans la foulée, la Russie, l'Iran ainsi que le régime d'Assad sont tout à fait disposés à soutenir une entente entre les Kurdes et Assad et à se mobiliser pour attaquer les éléments extrémistes cachés à Idlib sous la protection de la Turquie, attaque qui se fait attendre.

Au terme du conflit sanglant qui fait rage depuis dix ans, la situation en Syrie demeure aussi complexe et obscure qu'elle ne l'a jamais été, et le conflit interne se poursuit avec le soutien des puissances extérieures. Étant donné que la Syrie perd de son intérêt aux yeux d'une bonne partie de la communauté internationale, la situation dans ce pays risque de perdurer pendant de longues années à moins que les dirigeants arabes ne parviennent à élaborer une nouvelle initiative de paix.

 

Talmiz Ahmad est un auteur et ancien ambassadeur d’Inde en Arabie saoudite, à Oman et aux Émirats arabes unis. Il est titulaire de la Ram Sathe Chair for International Studies, de la Symbiosis International University, à Pune, en Inde.

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com