Qui a lu ou, plutôt, qui n’a pas lu Les Particules élémentaires de Michel Houellebecq? Moi, ce best-seller, je l’ai lu méthodiquement, et tenez-vous bien: de droite à gauche! Autrement dit, en partant de la dernière page, j’ai remonté les Particules jusqu’à la première. Pourquoi? En fait, alors que je travaillais à mon Dictionnaire des mots français d’origine arabe (Seuil 2007), j’avais juste besoin de repérer ce type de mots employés par l’auteur, à son insu. Et pour ne pas en rater un, il me fallait rester concentré sur l’objet de ma recherche, et ainsi éviter que mon attention ne soit détournée…
Résultat: j’avais relevé 272 mots d’origine arabe: zéro, en passant par cafard (oui!) et café (une occurrence toutes les 10 pages), chimie (une toutes les 15 pages), hasard (toutes les 20 pages), jupe (toutes les 22 pages), le verbe masser (toutes les 30 pages).
Au total, 272 occurrences, ce qui, sur 386 pages de texte, représente un mot d’origine arabe toutes les 36 lignes! Conclusion: quel conflit pour l’inconscient de notre sympathique détracteur de l’Islam! Même si cette conclusion n’a de sens qu’aux yeux de ceux qui définissent la langue arabe comme la langue du Coran, le constat n’en est pas moins contradictoire, pour ne pas dire cocasse…
Quoiqu’il en soit, ce n’est plus de l’intégration, c’est de la contamination! dirait un Éric Olivier. Vous l’avez sûrement lu, son best-seller: Le Suicide français... Pardon? Je me trompe d’Éric? Pas du tout! C’est juste un retour aux sources. Car Zemmour, on le sait, est d’origine berbère, juif berbère d’Algérie, et en langue berbère, le mot «zemmour» désigne l’olivier, voilà tout!... C’est dire que, lui qui reproche aux naturalisé-e-s de ne pas porter un nom du calendrier, il n’est pas mieux loti: Éric, n’est pas d’origine française mais scandinave!... Ouais, me dirait-il, c’est en tous cas mieux que Karim!… Karim, pourquoi Karim? Mais comme Benzema, pardi! But!...
Un magasin, des… magazines?
Je me suis souvent demandé ce que Chateaubriand penserait aujourd’hui de nombre d’écrivains français, Chateaubriand qui, dans Le Génie du christianisme, critique les auteurs qui emploient dans leurs descriptions «des débris mauresques!».
Prenez la locution «Magasin de discount» que j’ai relevée chez l’écrivain Jean-Philippe Toussaint, dans son roman La Télévision (Ed. Minuit, 1997). Nous sommes bien en France, et pourtant dans «Magasin de discount», que l’on peut du reste voir affichée à la devanture d’une boutique parisienne même en dehors des périodes de soldes, seule la préposition de est française! Les deux autres mots sont des «migrants», que le français a intégrés, et même assimilés sans difficulté. L’origine de discount est bien connue, mais pas celle de magasin! Eh bien, tout comme douane, tarif et quintal, magasin est d’origine arabe! Ainsi, tous ces mots sont passés du statut de «migrants» à celui de «naturalisés». Entre nous, il faudrait dire aux linguistes que le terme «emprunt» est impropre, puisqu’il n’y a pas de «rendu» en perspective.
Sacré destin, tout de même, que celui du mot magasin que tous les dictionnaires font remonter au provençal, par l’intermédiaire du latin médiéval: magazenum (1228), «dans une loi sur les contrats permettant aux Marseillais d’établir des entrepôts dans les ports du Maghreb»; ou de l’italien magazzino (1308)!...
Sous la forme maguesin, en 1389, il a le sens de «local servant à entreposer des marchandises» (Ph. De Mézières, Songe du vieil pèlerin). Il prend la forme actuelle dès 1409, et, en 1562, on le retrouve chez Ronsard (Discours des misères de ce temps).
Montaigne, dans ses Essais, l’emploie dans l’expression «faire magasin», pour dire «mettre en réserve». Bossuet le «militarise» au sens de «local où sont mis en réserve les munitions et les vivres». En 1694, le mot fait son entrée dans la toute première édition du Dictionnaire de l’Académie française. En 1723, il est synonyme de «boutique», avant de désigner à Londres un «recueil», un «album».
À Londres? Comment ce migrant, venu de plus loin que Calais, avait pu traverser la Manche, et sans visa? Eh bien, dans les bagages de Jeanne-Marie Leprince de Beaumont! Ce nom vous dit quelque chose? C’est celui de l’auteure de La Belle et la Bête (version reprise de celle de Madame de Villeneuve, publiée en 1740). Dans les années 1750, la grande Dame résidait en effet à Londres, où elle avait commencé à publier une série de petits livres sous l’intitulé «Magasin de…»: Le Magasin des enfants, «Le Magasin des pauvres», ou encore: «Le Nouveau Magasin français», etc. Avec le succès, et l’accent, le mot «magasin» devint vite à la mode... Et voilà comment du banal magasin on est passé au moderne magazine!
Quand on sait que le mot arabe ﻣﺧﺯﻦ: makhzèn, fait au pluriel ﻣﺧﺎﺯﻦ: makhāzine, il y a de quoi conclure: un magasin, des… magazines, non? Sic.
Salah Guemriche, essayiste et romancier algérien, est l’auteur de quatorze ouvrages, parmi lesquels Algérie 2019, la Reconquête (Orients-éditions, 2019); Israël et son prochain, d’après la Bible (L’Aube, 2018) et Le Christ s’est arrêté à Tizi-Ouzou, enquête sur les conversions en terre d’islam (Denoël, 2011).
TWITTER: @SGuemriche
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