Le président américain, Joe Biden, savait parfaitement de quoi il parlait lorsqu’il a qualifié, au mois de mars dernier, le président russe, Vladimir Poutine, de «tueur sans âme». En effet, lors la rencontre entre les deux dirigeants à Genève, la semaine dernière, Poutine a bel et bien éradiqué tous les défis. Il a obtenu ce qu'il voulait des États-Unis, et plus encore.
À l'issue de la première tournée internationale de Joe Biden en tant que président, son administration l’a qualifié d’«indéniable et consensuel dirigeant du monde libre» par la voix de son conseiller à la sécurité nationale, Jake Sullivan. Ce dernier a affirmé aux journalistes: «Lorsqu'il s'agit de soutenir les amis ou de s'engager avec des rivaux de taille, comme Vladimir Poutine, Joe Biden a prouvé, tout au long de ce voyage, qu'il est capable de parcourir le monde avec confiance et détermination et qu'il est déterminé à défendre les intérêts et les valeurs des États-Unis et de leurs alliés.»
Toutefois, la rencontre entre Biden et Poutine a-t-elle porté ses fruits? Pour Moscou, c’est assurément le cas.
Biden sollicite l'approbation de la communauté internationale, quelles que soient les conséquences des décisions qu’il prend. Les États-Unis ont déjà autorisé la Russie à finaliser le gazoduc Nord Stream 2, achevé à 95 %, en levant les sanctions imposées à un allié de Poutine qui dirige l'entreprise chargée de ce projet. Cette dernière permettra de transporter le gaz russe vers l'Allemagne en passant par la mer Baltique.
La question qui se pose au sujet de la politique américaine est la suivante: qu’est-ce que Washington obtient en échange?
L'administration Biden semble aspirer à une relation plus stable avec Moscou, après un premier semestre tendu. Ce désir est passé à l'acte lorsque les deux chefs d'État se sont mis d’accord pour relocaliser leurs ambassadeurs dans leurs capitales respectives.
Bien que des sujets essentiels aient été abordés au cours de cette réunion de deux heures et demie entre Biden et Poutine – notamment les agressions russes en Ukraine, les droits de l'homme et la cybersécurité –, aucun signe ne laisse présager un consensus sur l'une ou l'autre de ces questions.
Il faut dire que Biden a montré un empressement peu judicieux lorsqu'il a décidé de rencontrer son homologue russe. En effet, Moscou a la mainmise sur des régions qui constituent une véritable menace pour les intérêts des États-Unis et de leurs alliés, notamment le Moyen-Orient, l'Europe de l'Est et certaines régions d'Afrique.
Les Américains peuvent dès à présent poser la question suivante à leur président: et nous, dans tout ça?
Dalia al-Aqidi
Le leader des républicains à la Chambre des représentants, Kevin McCarthy, ne s'est pas trompé lorsqu'il a jugé, dans une déclaration, que M. Biden avait offert un «laissez-passer» à M. Poutine. Il a notamment déclaré: «Les Américains ont été victimes de bouleversements colossaux en raison de cyberattaques en lien avec la Russie. La Russie détient deux citoyens américains, tous deux vétérans des Marines. Nous sommes conscients que Vladimir Poutine bâillonne et emprisonne ses détracteurs. Au vu de tous ces faits, le président Biden aurait dû saisir l'occasion offerte par le sommet organisé aujourd'hui pour défendre nos intérêts nationaux et faire comprendre au monde entier que les États-Unis exigeront de la Russie de rendre des comptes au sujet de la liste interminable de ses transgressions.»
Des cyberattaques liées à la Russie ont récemment visé la société Colonial Pipeline. Elles ont conduit à la fermeture d'un important oléoduc américain qui a provoqué une pénurie massive de carburant pendant plusieurs jours. Une autre cyberattaque a touché la société de transformation de viande JB Foods, qui produit près d'un cinquième de la viande bovine des États-Unis. C’est pourquoi l’Américain moyen s'attend à ce que son président prenne des mesures strictes contre ceux qui ont approuvé, financé et exécuté ces opérations hostiles.
M. Biden a indiqué sans ambiguïté que son pays lancera des cyberopérations offensives à l'encontre de la Russie si Moscou ne parvient pas à déjouer ces attaques. Toutefois, le fait que le département de la sécurité des États-Unis a remis à Poutine une liste de seize domaines jugés sensibles ne suffira pas à stopper ces attaques.
Dans le même temps, le discours d'extrême gauche portant sur le racisme généralisé permet à des pays comme la Russie de ne pas payer le prix des violations des droits de l'homme dont ils se rendent coupables. Si Poutine a évoqué l'affaire du leader de l'opposition le plus en vue en Russie, Alexeï Navalny, ainsi que d'autres sujets qui concernent les droits de l'homme, il a pris soin de reprendre les arguments des démocrates, pointant du doigt la mort de George Floyd et le mouvement Black Lives Matter. «Nous éprouvons de la sympathie pour les États-Unis d'Amérique, mais nous ne souhaitons pas que ce genre de situation se produise dans notre pays. Nous faisons tout notre possible pour empêcher cela», a-t-il indiqué à l’issue du sommet lors d'une conférence de presse individuelle.
La leçon que l'histoire nous a enseignée, c'est que les Russes ne sont pas dignes de confiance et qu'ils continueront à mentir, à mener des cyberattaques, à violer les droits de l'homme et à intimider le monde. L'administration américaine ne peut donc pas offrir à Poutine la plate-forme qu'il convoite.
Si l'accord sur le contrôle des armes nucléaires signé en 1987 par Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev a été discuté, cela ne devrait pas donner davantage de poids à Moscou. Il incombe aux États-Unis de vérifier la véracité des affirmations des Russes et de leur faire comprendre que Washington n'hésitera pas à tenir Moscou pour responsable de tout acte abusif.
Deux jours à peine après le sommet de Genève, la Maison Blanche a en effet décidé d'interrompre provisoirement l'octroi d'une aide militaire à hauteur de 100 millions de dollars (1 dollar = 0,84 euro, NDLR) à l'Ukraine. Cette aide avait été décidée pour répondre aux mouvements agressifs des troupes russes le long de la frontière ukrainienne au printemps dernier, selon un rapport publié par Politico. Peu importent les raisons qui ont motivé cette décision; elle envoie un mauvais message au Kremlin et à d'autres dictatures dans le monde, d’autant que le moment est mal choisi.
Par ailleurs, la porte-parole de la Maison Blanche, Jen Psaki, a publié une brève déclaration dans laquelle elle a renouvelé l'engagement des États-Unis en faveur de la stabilité et de la souveraineté de l'Ukraine. «Comme le président Biden l'a dit lui-même au président Poutine, rien ne pourra compromettre le soutien que nous accordons à la souveraineté et à l'intégrité du territoire de l'Ukraine», a-t-elle affirmé.
Face à chaque nouvelle administration américaine, Poutine teste ses limites afin d’accroître son pouvoir et de resserrer son emprise sur son peuple avant que d'autres ne le fassent. Il a passé une belle journée lors de sa rencontre avec Biden. Les Américains, eux, peuvent dès à présent poser la question suivante à leur président: et nous, dans tout ça?
Dalia al-Aqidi est chercheur principal au Center for Security Policy. Twitter: @DaliaAlAqidi
NDLR: les opinions exprimées par les rédacteurs dans cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com