Les événements survenus dans la petite enclave espagnole de Ceuta le mois dernier ont attiré l’attention sur l’immigration illégale et le rôle que joue le Maroc. Toutefois, l’entrée incontrôlée de quelque 8 000 migrants sur ce territoire met en lumière un désaccord bien plus profond opposant le Maroc et l’Espagne, au sujet du Sahara occidental, un territoire au sud du Maroc.
Pendant quelques années, Rio de Oro a été une possession espagnole. Cette vaste étendue de désert est primordiale pour l’intégrité territoriale du Maroc. La décision des États-Unis de reconnaître son sur cette zone a fortement perturbé les relations de Rabat avec ses alliés de l’Europe.
D’une superficie égale à la Grande-Bretagne, le Sahara occidental constitue de loin le plus grand territoire non autonome reconnu par les Nations Unies. En 1975, l’Espagne a cédé le contrôle administratif du territoire à une administration commune au Maroc et à la Mauritanie. C’est en 1979 que la Mauritanie a renoncé à revendiquer ce territoire et que le Maroc en a obtenu le contrôle de facto, grâce au soutien tacite des États-Unis et de la France. Néanmoins, les rebelles appartenant au Front Polisario n’ont cessé de réclamer le droit à l’autodétermination, avec le soutien de l’Algérie qui s’oppose elle aussi au Maroc sur des questions territoriales.
Telle fut la situation jusqu’à l’année dernière, lorsque les États-Unis ont reconnu la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental en contrepartie de la normalisation par Rabat de ses relations avec Israël. Comme l’atteste le fait que les EAU, la Jordanie et le Bahreïn ont ouvert des missions diplomatiques sur le territoire, la diplomatie marocaine a fait preuve d’acharnement. À chaque plaque inaugurée et chaque ruban coupé, la lutte armée du Front Polisario et de ses guérilleros de gauche se dirige encore un peu plus vers le destin ambigu du Mouvement populaire de libération de l’Angola et des Forces armées révolutionnaires de Colombie.
En dépit de ses récents coups de maître en matière de diplomatie, le Maroc se bat pour que l’Europe reconnaisse les droits du Royaume chérifien sur ce territoire. L’espoir de voir les principaux pays européens – y compris les nombreux anciens alliés du Maroc – imiter les États-Unis, a cédé la place à des relations de plus en plus tendues. Pour les dirigeants marocains, si quelques pays européens s’abstiennent de soutenir leurs revendications, c’est parce qu’ils refusent de reconnaître les efforts du Maroc en faveur de l’Europe en termes de sécurité, de transport maritime et de lutte contre l’immigration. Dans la mesure où les autres pays d’Afrique du Nord ont tous connu des soulèvements populaires ces derniers temps, le statut du Maroc en tant qu’îlot de stabilité au sein d’une région de plus en plus tourmentée semble échapper aux décideurs européens, qui préfèrent garder le silence au sujet du Sahara occidental.
En dépit de ses récents coups de maître en matière de diplomatie, le Maroc se bat pour que l’Europe reconnaisse les droits du Royaume chérifien sur ce territoire.
Zaid M. Belbagi
En effet, l’exaspération grandissante de Rabat vis-à-vis de ses alliés européens s’est traduite par le retrait de l’ambassadeur du Maroc en Allemagne et par les différends avec l’Espagne au sujet de Ceuta. Le mois dernier, en accueillant secrètement le chef du Front Polisario, Brahim Ghali, sous une fausse identité et un faux passeport, l’Espagne a délibérément exacerbé la tension avec le Maroc, Rabat désapprouvant les relations que Madrid entretient avec un chef de guérilla accusé de crimes de guerre.
Pour le Maroc, qui cherche depuis des décennies à se positionner comme un partenaire fiable de l’Europe, les événements actuels assombrissent ce qui constitue, à la base, une question de droit international tout à fait évidente. Ancienne puissance occupante, l’Espagne n’a jamais cherché à résoudre l’inextricable question du Sahara occidental. Bien au contraire, elle est accusée d’affaiblir le Maroc en soutenant le Front Polisario. Ainsi, l’Espagne tente de compromettre les efforts du Maroc visant à consolider son territoire. Elle le fait en prétendant que la zone en question était terra nullius (territoire inoccupé ou inhabité sur le plan juridique, NDLR : Territoire sans maître) avant qu’elle ne soit placée sous le protectorat de l’Espagne, puis en appelant à un référendum sur une zone où elle n’a aucune juridiction.
Pour Rabat, les traités historiques passés avec la Grande-Bretagne, l’Espagne, la France et l’Allemagne reconnaissent la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental et démontrent, de manière irréfutable, leur reconnaissance des revendications du Maroc. Il n’est donc pas surprenant que l’hésitation récente des pays européens ait exaspéré Rabat.
Après que l’administration Trump a ouvert un consulat américain au Sahara occidental, les représentants du nouveau président Joe Biden ont rassuré Rabat quant à leur intention de poursuivre cette politique pour le moment, et de faire pression pour désigner un nouvel envoyé spécial auprès des Nations unies pour résoudre ce problème. En effet, un retour en arrière est peu probable, dans la mesure où Joe Biden a déclaré que «le Maroc occupe une place particulière dans le cœur des Américains, puisqu’il a été la première nation au monde à reconnaître les États-Unis d’Amérique en décembre 1777».
C’est dans ce contexte que le Maroc accueillera cette semaine les Jeux militaires du Commandement des États-Unis pour l’Afrique ainsi que des équipes du Royaume-Uni, du Canada, des Pays-Bas, du Brésil, de l’Italie, de la Tunisie et du Sénégal. Faisant allusion aux récents différends, Rabat a annoncé que certains exercices auraient lieu au Sahara occidental, affirmation que les États-Unis ont démentie.
En ce qui concerne les alliés du Maroc en Europe, il est primordial d’éviter que les désaccords en cours affectent les partenariats solides qui ont été construits au cours des dernières années. Il serait donc judicieux de la part de Rabat de privilégier une solution durable tout en collaborant avec ses alliés. En revanche, il incombe à ses partenaires d’Europe de percevoir la place centrale qu’occupe la question du Sahara occidental dans leurs relations avec le Maroc.
Zaid M. Belbagi est un commentateur politique et un conseiller auprès de clients privés entre Londres et le Conseil de coopération du Golfe (CCG). Twitter: @Moulay_Zaid
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur arabnews.com