La tension que viennent de vivre les relations entre le Maroc et l’Espagne ont mis à rude épreuve le principe de solidarité européenne conjugué aux intérêts nationaux de chacun des pays membres.
Quand le bras de fer entre Rabat et Madrid était arrivé à une dangereuse impasse, obligeant le Maroc à user de nombreuses cartes de pression pour faire entendre sa voix, faisant valoir que son rôle de gendarme des frontières Sud de l’Europe faisait partie du partenariat stratégique avec l’Espagne, Madrid n’avait pas répondu à cette crise bilatérale de manière à trouver une solution dans un cadre restreint.
Les autorités espagnoles, espérant faire pression sur le Maroc, ont tenté de transformer ce bras de fer politique en un dossier de crise avec l’Europe sur fond d’angoisses migratoires.
Durant toute cette crise sur l’affaire Brahim Ghali, le chef du Front Polisario, l’Europe est restée silencieuse. La France, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, avait tenté une timide médiation. Même l’Allemagne, dont les rapports avec le Maroc traversent une mauvaise période, ont observé une attitude prudente.
Il faut rappeler qu’à la suite de la crise de confiance entre l’Allemagne et le Maroc, les autorités allemandes ont pris quelques initiatives afin d’apaiser les amertumes marocaines et adresser des messages positifs à Rabat. À commencer par leur refus d’accueillir le chef du Polisario, Brahim Ghali, même pour des soins, en passant par leur dernière invitation auprès du Maroc pour assister à la conférence internationale sur la Libye aujourd’hui connue sous le nom de «Berlin 2» prévue le 23 juin.
L’Europe n’est vraiment sortie de sa réserve que lorsque le gouvernement de Pedro Sanchez a fait jouer la carte du cauchemar migratoire. Une certaine presse espagnole, excitée par la démolition de l’image du Maroc, a même tenté de faire passer le Maroc pour la Turquie dans son jeu trouble de chantage aux réfugiés.
L’Espagne a donc joué à fond la carte de la peur migratoire pour faire condamner le Maroc et lui faire porter tous les torts de cette crise. Son objectif était moins de militer pour une protection européenne commune contre les réseaux de l’immigration clandestine que construire un camouflage politique et médiatique afin de cacher les faillites de sa gestion de l’affaire Brahim Ghali qui ont fait tomber les masques de sa duplicité à l’égard du Maroc. Cette crise a d’ailleurs provoqué de nombreux grincements de dents au sein même de la classe politique espagnole dont certaines voix influentes ont demandé la démission de la ministre espagnole des Affaires étrangères, Arancha Gonzalez Laya, pour cause d’incapacité politique et diplomatique à gérer cette tension.
Face à cette crise, certains pays européens étaient manifestement tiraillés entre leur solidarité organique avec l’Espagne dont ils partagent l’appartenance à l’Union européenne (UE) et leurs relations particulières et bilatérales avec le Maroc.
Il est vrai que de cette épreuve, les relations entre le Maroc et l’UE sont sorties détériorées et abîmées, ne serait-ce que sur le plan de la symbolique diplomatique.
Ces relations traversent une crise car ces pays européens, par solidarité avec l’Espagne, ont été obligés de durcir le ton avec le Maroc, comme en témoigne le projet de résolution du Parlement européen élaboré à la suite de cette séquence houleuse entre deux pays voisins, le Maroc et l’Espagne.
Mais la vraie interpellation qui suscite le débat est la suivante: comment se fait-il que l’ensemble de l’espace européen puisse mettre dans la balance la vitalité de ses rapports avec le Maroc simplement parce qu’une partie du pouvoir espagnol, minime et agissante, a jugé utile d’appuyer sur la pédale de son antagonisme avec le Maroc?
Les agendas, les intérêts espagnols ne coïncident pas forcément avec ceux des Français, des Italiens, des Belges ou des Norvégiens. Et pourtant, au nom de la solidarité européenne, tous ces pays sont sommés de s’aligner sur la température des relations voulues par l’Espagne.
Il est vrai que de cette épreuve, les relations entre le Maroc et l’UE sont sorties détériorées et abîmées, ne serait-ce que sur le plan de la symbolique diplomatique.
La grande contradiction que vont désormais vivre certains diplomates européens réside dans le fait d’aligner une synthèse intelligente entre la position de Bruxelles et de Strasbourg, qui froncent les sourcils à l’égard du Maroc pour avoir temporairement fermé les yeux sur ses frontières avec les villes espagnoles occupées en territoire marocain, et leurs relations bilatérales dont certaines ont atteint un partenariat d’exception, tant sur le plan économique, sécuritaire et politique.
Mais cette crise peut aussi aider à générer un exercice de clarification. Malgré les apparences, les pays de l’UE savent que le fond de la crise entre Rabat et Madrid n’a rien avoir avec les problématiques de l’immigration mais plutôt avec la question du Sahara. Le Maroc voudrait que ses alliés européens s’alignent sur la position américaine pour clore définitivement cette dispute territoriale. Or, il constate non seulement une grande hésitation que rien officiellement ne justifie, mais aussi un dangereux double jeu de la part de certains qui ambitionnent de jouer et de gagner sur tous les tableaux.
Mustapha Tossa est un journaliste franco-marocain. En plus d’avoir participé au lancement du service arabe de Radio France internationale, il a notamment travaillé pour Monte Carlo Doualiya, TV5 Monde et France 24.
Mustapha Tossa tient également deux blogs en français et en arabe où il traite de la politique française et internationale à dominance arabe et maghrébine.
Twitter : @tossamus
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.