La plupart des carrières politiques débutent avec force tintouin et se terminent par des larmes. Le mandat de Benjamin Netanyahou en tant que Premier ministre israélien semble suivre ce même schéma. Après quatre élections en deux ans, Israël est sur le point de former le premier gouvernement de coalition depuis douze ans que Netanyahou ne sera pas amené à diriger.
Mercredi, le bloc du changement dirigé par Yair Lapid, chef du parti Yesh Atid («Il y a un futur», en français), et Naftali Bennett, chef du parti Yemina, a réussi à mettre les points sur les i et les barres sur les t concernant l’un des accords de coalition les plus complexes et les plus improbables.
En vertu des lois électorales israéliennes, le mandat de 28 jours de Lapid pour forger une majorité en s’alliant avec des partis rivaux devait expirer à minuit. Toutefois, il a informé le président qu’il avait réussi à accomplir cette tâche, faisant tomber le rideau sur le mandat de Premier ministre de Netanyahou et sur sa carrière de politicien des plus controversés de l’histoire du pays – bien que n’étant pas dénuée d’exploits.
Un moment, il a semblé que le conflit récent avec le Hamas à Gaza et les affrontements avec les Palestiniens à l’intérieur d’Israël et à Jérusalem-Est avaient fait le jeu de Netanyahou.
Il apparaissait aussi que ces partis de droite, en particulier Yemina, qui, au nom du changement, étaient prêts à partager le pouvoir au gouvernement avec des rivaux politiques acharnés, avaient déchanté.
À deux périodes différentes, la première s’étalant entre 1996 et 1999 et la seconde de 2009 à cette année, Netanyahou s’est présenté, avec un succès considérable au près d’une grande partie de la société israélienne, comme le seul défenseur du pays et son principal homme d’État, sans que personne d’autre dans la sphère politique israélienne ne dispose des qualités requises pour le remplacer.
Selon la légende qu’il a forgée autour de sa personne, avec le soutien indéfectible et servile de ses partisans, Netanyahou a été le rempart contre l’Iran, le Hamas et même contre la pandémie de coronavirus, ainsi que le cerveau derrière la prospérité économique du pays, sans que cette posture ne soit remise en cause.
Cependant, ce qui a progressivement causé sa perte, c’est précisément cette arrogance couplée à un détachement de la réalité, consécutives à ses prouesses politiques et son inamovibilité.
Netanyahou a fait ce que la plupart des politiciens qui restent longtemps au pouvoir ne peuvent s’empêcher de faire: encourager un culte de la personnalité autour de lui, en devenant plus autoritaire et manipulateur dans son désir obsessionnel de rester indéfiniment au pouvoir. Et dans la foulée, au lieu d’apprêter et de former un successeur potentiel, il a banni tout dauphin potentiel de son entourage politique.
De surcroît, son sentiment d’invincibilité l’a moralement corrompu, tandis que son désir incontrôlé de conserver le pouvoir a abouti à des relations obsessionnelles avec les médias, qu’il a tenté de manipuler en sa faveur.
Il n’est donc pas surprenant qu’un certain nombre de ceux qui sont au cœur des négociations pour former une coalition sans Netanyahou soient les mêmes qui ont travaillé en étroite collaboration avec lui. Car dès que le Premier ministre israélien et sa famille les ont perçus comme une menace pour son leadership, ils ont fait de leur mieux pour les écarter politiquement.
Naftali Bennett était le chef de cabinet de Netanyahou dans l’opposition, tandis que son partenaire politique principal à Yemina, Ayelet Shaked, était le directeur du bureau de Netanyahou. De même, Gideon Saar était membre du Likoud et membre du cabinet; et Avigdor Lieberman, d’Israël Beitetenu, était le directeur général du Likoud et un proche confident de Netanyahou.
Tous ont fini par être rabaissés et ridiculisés par les Netanyahou puis poussés hors de son cercle rapproché. D’autres, comme Yair Lapid et surtout Benny Gantz, ont vécu la pénible expérience de devoir former des gouvernements de coalition avec Netanyahou, et ont dû subir ses mensonges et ses promesses non tenues.
À moins que l’improbable survienne dans les prochains jours, sa série de mensonges, de tromperie et sa peur paranoïaque des rivaux politiques et des médias aura rattrapé Netanyahou, et un nouveau gouvernement prêtera serment.
Si un nouveau gouvernement Bennett-Lapid restaure une certaine stabilité et la rationalité en Israël, ce ne sera rien de moins qu’un véritable miracle. Mais, après tout, on est sur la Terre sainte.
Yossi Mekelberg
Pourtant, la constellation gouvernementale formée à l’heure actuelle est un triste témoignage à la fois de la sclérose de la politique israélienne et du rude héritage laissé par Netanyahou.
Par conséquent, même si elle franchit le premier obstacle pour gagner la confiance du Parlement israélien, la Knesset, il est douteux qu’elle puisse durer assez longtemps pour laisser une marque, et encore moins survivre à un mandat complet.
Cela ne veut pas dire que cette alternance n’est pas nécessaire pour Israël, ne serait-ce que pour mettre fin au mandat d’un Premier ministre confronté à un procès pour trois affaires de corruption.
Néanmoins, compte tenu des défis auxquels l’État hébreu est confronté, ce n’est qu’une condition nécessaire, mais pas suffisante pour qu’il avance.
Si l’héritage de Netanyahou est celui de la division – avec son exploitation plutôt grossière, cynique et éhontée des différences au sein d’une société très diversifiée, attisant la peur pour son propre intérêt politique –, le nouveau gouvernement est inévitablement composé de presque tous les éléments idéologiques et clivages des systèmes de valeurs dans la société.
Cela pourrait être sa force, mais c’est plus probablement une combinaison qui causera sa chute.
Au cours des derniers mois, certains des principaux défis d’Israël en tant que société et en tant qu’État ont fait surface. Les hostilités avec le Hamas ont démontré que, malgré l’asymétrie des forces entre les deux parties et le blocus de Gaza depuis quatorze ans, l’organisation palestinienne est toujours capable de lancer des milliers de roquettes loin à l’intérieur d’Israël.
Le mythe d’un Jérusalem uni sous la souveraineté d’Israël a été dissipé, et à Washington le nouveau président n’adopte pas le même discours que Netanyahou, comme l’avait fait son prédécesseur.
Par conséquent, la réaction punitive excessive et disproportionnée d’Israël face aux roquettes de Gaza a conduit à des critiques acerbes de la part de Washington. De plus, la pandémie de coronavirus et la catastrophe du mont Meron ont révélé que les ultra-orthodoxes ont constitué une société dans la société où ils font leur propre loi.
Les niveaux de criminalité dans les villes et villages palestiniens d’Israël, où le gouvernement et la police se sont peu manifestés, et les récents affrontements dans les villes mixtes judéo-arabes, dont certains ont été provoqués par la montée de la droite et de l’extrême droite en Israël, ont mis en pleine lumière l’ampleur de la marginalisation des Palestiniens israéliens, pourtant citoyens d’Israël.
Un rapide coup d’œil sur le gouvernement du changement qui se prépare laisse planer des doutes quant à sa capacité à prendre des mesures radicales et significatives, en particulier sur cette question des plus cruciales et urgentes.
Après tout, il s’agit d’une coalition composée de partis de droite et de gauche; adeptes de la solution à deux États et partisans de l’annexion (au moins) d’une partie de la Cisjordanie; religieux et laïcs; purs libéraux et sociaux-démocrates; et elle sera également soutenue par un parti islamiste.
Sa principale profession de foi – remplacer Netanyahou – ne suffira pas à la maintenir unie, elle a besoin de suivre une direction claire, que chacun accepte les limites de ce qu’il est possible ou non de faire. Ses membres peuvent régler leurs différends à l’amiable, ou déclencher une nouvelle élection générale.
C’est un défi de taille, mais, en cas de succès, cela pourrait apporter une certaine stabilité à la société israélienne afin qu’elle se remette de ces années durant lesquelles le pays fut soumis à la soif de pouvoir de Netanyahou et à ses tentatives implacables et immorales d’échapper à la justice.
Il n’existe aucun précédent de gouvernement composé de partis ayant des points de vue aussi diamétralement opposés sur la direction que leur pays doit prendre.
Dès qu’il se réunira pour la première fois, ce gouvernement devra élaborer des politiques sur des questions telles que contenir l’influence iranienne, l’éventuel retour américain à l’accord nucléaire iranien, la désescalade avec le Hamas à Gaza, et faire baisser les tensions à Jérusalem et entre Juifs et Palestiniens israéliens. Sans parler du rétablissement socio-économique postpandémie et celui de la société après des années de fragmentation.
Il faudra un effort, une retenue et une réflexion considérables de la part de chaque membre de cette coalition et de ses dirigeants; quelque chose qui dépasserait presque les capacités humaines, surtout dans le cas des politiciens dont les propres aspirations ne seront pas satisfaites par ce gouvernement.
Il est plutôt probable que les électeurs se rendront dans les bureaux de vote bien avant que cette 24e Knesset n’achève son mandat. Pourtant, si dans la foulée un nouveau gouvernement Bennett-Lapid restaure une certaine stabilité et la rationalité, ce ne sera rien de moins qu’un véritable miracle. Mais, après tout, on est sur la Terre sainte, des miracles peuvent bien s’y produire.
Twitter: @YMekelberg
L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur arabnews.com