Les dits et non-dits dans le débat sur l’identité nationale

Tous Français. Immigration, la chance de la France par Bernard Stasi (Photo fournie)
Tous Français. Immigration, la chance de la France par Bernard Stasi (Photo fournie)
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Publié le Jeudi 03 juin 2021

Les dits et non-dits dans le débat sur l’identité nationale

Les dits et non-dits dans le débat sur l’identité nationale
  • Dans Tous Français, Bernard Stasi avait beau noter: «La question de l'immigration doit être bannie de la course présidentielle», en vain: désormais, l’opposition «Immigration / Identité nationale» est le sujet le plus «vendeur» en politique.
  • À quelques semaines des élections régionales et à un an de la présidentielle, le sujet est plus que jamais d’actualité.

«Être Français, qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire dans le monde ouvert du XXIe siècle?»i, se demandait en 2007 Bernard Stasi, ancien médiateur de la République et ancien président de la Commission sur la laïcité. On se souvient par ailleurs de sa formule tant décriée par l’extrême-droite: «L’immigration, une chance pour la France» 

L’Immigration, «un gri-gri» électoral ? 

Voilà qui nous ramène tout droit au fameux «Ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale»ii que dirigeait la même année Brice Hortefeux et que, dans une tribune libre, j’avais baptisé: Ministère de la Conjonction de coordinationiii. En effet, comme je l’écrivais alors: «Ce qui nourrit la suspicion, dans cet intitulé, ce n’est pas tant “l’Identité nationale” en soi que la contamination (au sens linguistique) générée par sa conjonction avec l’“Immigration”. Tout est dans ce “et” qui semble outrepasser sa fonction de coordination pour s’ériger en point nodal, où doit se nouer le contrat républicain entre le candidat à la citoyenneté et la nation. Sans cette adhésion, l’immigré même naturalisé se placerait d’emblée dans la situation d’un candidat à l’expulsion».  

Qui plus est, que dit Le Robert ? Que cette conjonction de coordination «sert à lier des parties ou des propositions ayant même fonction ou même rôle, une addition, une liaison, un rapprochement»; mais qu’elle peut aussi «rapprocher des éléments différents ou opposés». Alors, «immigration» et «identité nationale» se rapprochent-elles ou s’opposent-elles? Pour illustrer sa définition, Le Robert donne comme exemple cette occurrence: «Nous t’hébergeons et tu nous voles».  

Pure coïncidence, bien entendu, que cet exemple, mais tout de même quel sacré hasard que ce clin d’œil à l’immigré que la France «héberge» et qui ne se prive pas de la «voler», notamment en profitant des allocations familiales, ainsi que le claironne l’extrême-droite depuis des décennies!...  

 À quelques semaines des élections régionales et à un an de la présidentielle, le sujet est plus que jamais d’actualité. Dans Tous Français, Bernard Stasi avait beau noter dès la première ligne: «La question de l'immigration doit être bannie de la course présidentielle», en vain: désormais, l’opposition «Immigration / Identité nationale» est le sujet le plus «vendeur» en politique. 

En fait, les grandes heures de ce débat furent marquées par l’activisme de Nicolas Sarkozy, dès sa campagne électorale de 2007. Pour le quotidien Libération, l’identité nationale, «C'est d'abord un gri-gri électoral quasi systématiquement accolé au thème de l'immigration, quitte à scandaliser la gauche et nombre d'historiens.»iv 

Deux ans plus tard, en novembre 2009, le nouveau président relancera le débat pour, affirmera-t-il, «remettre à l'honneur la nation et l'identité nationale». Quoi de plus légitime et de plus honorable, en effet! Et pour repartir en croisade, pardon: en campagne, dans son combat historique, il choisit la ville de Puy-en-Velay, dont le maire est Laurent Vauquier, lequel se promettait déjà de siphonner l’électorat de Marine Le Pen…  

Je me souviendrai longtemps de ce discours au Puy-en-Velay, devant les maires et le président de la Région – et des ministres concernés. Dans ses envolées, Nicolas Sarkozy cita plus d’une fois Renan. Connu pour partager la vision de Jules Ferry, ce Renan avait, dans La Réforme intellectuelle et morale (1871), écrit: «La conquête d’un pays de race inférieure par une race supérieure, qui s’y établit pour le gouverner, n’a rien de choquant.» 

Mais pourquoi… le Puy-en-Velay? 

Ainsi, ce haut-lieu de la chrétienté parut, aux yeux des adeptes du débat sur la laïcité et donc sur l'islam, tout indiqué pour recevoir le «chanoine de Latran» (titre honorifique, attribué à tout président français en exercice). Nicolas Sarkozy y fit allusion à l’inscription en arabe: «El Moulkou-li-Llah», gravée sur l'une des portes, celle de l'Enfance du Christ, littéralement: «La souveraineté est à Dieu (Allah).» Voici ce que l’ancien président avait dit: «Il est difficile de passer devant les antiques portes de cèdre de la Cathédrale et leurs inscriptions en langue soufique (sic) sans être impressionné et ému de cette rencontre entre la langue de l'Islam et l'architecture romane!» Il existerait donc une «langue soufique»? Il est évident que l’orateur voulait dire «écriture coufique» (caractère calligraphique arabe). Cette inscription que l'archéologue Georges Marçais, en 1938, puis Vincent-Mansour Monteil, en 1987, avaient déjà relevée, est un détail qui parut malsonnant pour les caméras de France Télévisions au point d’être zappé…  

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Sur l'inscription arabe de la cathédrale du Puy, Georges Marçais , Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1938  

Écoutons encore Nicolas Sarkozy, toujours au Puy-en-Velay: «La France a puisé à d'autres sources: il y a quelques semaines, j'ai reconnu et salué les racines juives de la France. Grégoire de Tours, qui, dans son Histoire des Francs, parle pour la première fois non seulement du sanctuaire du Puy-en-Velay mais de la synagogue de Clermont! (…) C'est la France que nous aimons, la France dont nous sommes fiers, la France qui a des racines.» Et de conclure: «La France a toujours été à la confluence de plusieurs influences culturelles dont les traces sont clairement visibles, ici même au Puy-en-Velay.» 

Dans cette «confluence», Nicolas Sarkozy comptait-il parmi les traces «clairement visibles» celles de la langue arabe (comme je le rappelle ailleurs: il y a trois fois plus de mots français d’origine arabe que de mots français d’origine gauloise!).v Ces lettres arabes en écriture coufique, c’est ce que, justement, avait mis en lumière l’orientaliste Vincent-Mansour Monteil dont on connaît l’adhésion (il préférait ce terme à celui de «conversion») à l’Islam.  

En conclusion, oublions toutes ces considérations pour nous attacher à une autre donnée, éminemment historique, celle-là, une donnée que les médias de l’époque avaient soit ignorée soit délibérément occultée. Et c’est cette donnée qui met à nu un formidable refoulé: un non-dit qui est à l’œuvre dans ce sempiternel débat: il faut savoir (et Laurent Wauquiez, maire du Puy-en-Velay et agrégé d'histoire, ne pouvait l'ignorer) que c'est un évêque du Puy-en-Velay, Adhémar de Monteil, qui, en 1095, fut chargé par le pape Urbain II de prendre la tête de la toute première des Croisades. Sacré hasard, en effet!...  

  1. Bernard Stasi et Léon Picard, «Non à un ministère du passé», dans Libération, 4-04-2007.
  2. Intitulé devenu un an plus tard: «Ministère de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Développement solidaire».
  3. S. Guemriche, Ministère de la Conjonction de coordination, dans Libération, 16-7-2007: https://www.liberation.fr/tribune/2007/07/16/ministere-de-la-conjonction-de-coordination-de-la-conjonction-de-coordination_98341/
  4. L’identité nationale selon Sarkozy (Libération, 2-11-2009).
  5. Dictionnaire des mots français d’origine arabe (Seuil 2007). 

Salah Guemriche, essayiste et romancier algérien, est l’auteur de quatorze ouvrages, parmi lesquels Algérie 2019, la Reconquête (Orients-éditions, 2019); Israël et son prochain, d’après la Bible (L’Aube, 2018) et Le Christ s’est arrêté à Tizi-Ouzou, enquête sur les conversions en terre d’islam (Denoël, 2011).

TWITTER: @SGuemriche

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.