Dans l'analyse du risque politique, le saint Graal consiste à percer le bruit désorientant de la vie moderne pour atteindre ce qui compte vraiment. À notre époque, il s'agit de reconnaitre que la région indo-pacifique joue un rôle central dans l'avenir du monde. En effet, cette région abritera dans le futur la plus grande croissance économique de la planète, mais aussi le plus grand nombre de risques politiques. Plus précisément, c’est dans la région la plus importante de l’Indo-Pacifique, à savoir la petite île de Taïwan que les choses se jouent, dans la mesure où sa trajectoire à venir déterminera en grande partie le résultat de la compétition entre les grandes puissances que sont les États-Unis et la Chine montante. Que ce soit en géopolitique, en macroéconomie ou en démocratie, tous les chemins mènent à Taïwan.
Du point de vue géostratégique tout d'abord, Taïwan reste, sans l'ombre d'un doute, l'une des deux clés permettant d'encercler géographiquement la Chine continentale. Imaginez la Chine communiste comme une bouteille munie de deux goulots étroits à ses deux extrémités : Au sud, le détroit de Malacca (qui contrôle l'accès à la région Indo-Pacifique) et au nord, Taïwan, qui est le point d'ancrage de la première chaîne d'îles de l'Asie continentale. Pour accéder librement au reste du monde, Pékin doit contrôler l'un ou l'autre de ces goulots pour ne pas vivre dans la peur perpétuelle de voir des puissances antagonistes lui couper l'herbe sous le pied, tant sur le plan géoéconomique que géopolitique.
À présent, la Chine ne contrôle aucun goulot d'étranglement. Sa marine, qui se perfectionne à vue d'œil, n'est pas (encore) à la hauteur de la suprématie maritime des États-Unis. C'est cette réalité stratégique qui explique en grande partie l'impulsion que Pékin donne à l'initiative « Ceinture et Route » (Belt and Road Initiative, BRI), qui vise à faire sortir la Chine de son ancienne prison maritime contraignante, et ce, en assurant une circulation terrestre. Cependant, cette initiative perd beaucoup de sa vigueur en raison des dépassements des coûts, de la corruption généralisée et des méthodes voraces en matière de prêt.
En réalité, Taïwan continue à servir de porte-avions insubmersible pour les Américains, bloquant l'accès à Pékin par le nord. Cependant, si le régime de Xi Jinping parvient à prendre le contrôle de Taipei, le principal front de défense des États-Unis sera anéanti et Pékin sera libéré de toute contrainte stratégique. Pour les États-Unis, Taïwan représente la clé pour contenir stratégiquement la Chine communiste.
En second lieu, Taïwan, qui est au centre des considérations géopolitiques américaines dans la région indo-pacifique, joue également un rôle de plus en plus important dans l'économie mondiale. En effet, l'entreprise taïwanaise TSMC est le plus grand producteur de semi-conducteurs du monde et fabrique 84 % des puces informatiques les plus sophistiquées.
La pénurie de puces récemment observée - due à la crise pandémique - ne fait que rappeler au monde le rôle central que joue Taïwan, de nos jours, dans l'économie mondiale. En effet, les puces ne sont pas uniquement utilisées pour les ordinateurs ; ce sont le cerveau qui soutient toute une série de produits de consommation courante, tels que les automobiles. Ce composant industriel unique, précieux et précaire, constitue, à lui seul, le pivot de l'économie mondiale - et c'est Taïwan qui le détient.
Consternés par cette réalité, Washington comme Pékin ont entamé un processus accéléré visant à réduire cette dépendance à l'égard de la source unique de puces. Toutefois, changer les chaînes d'approvisionnement prendra du temps. Pour l'heure, toute perturbation, de quelque nature qu’elle soit, au niveau de la production de semi-conducteurs par Taïwan entraînerait des répercussions considérables sur l'économie mondiale dans son ensemble. Pékin redoute d'être étouffé par l'alliance entre les Etats-Unis et Taïwan, tant sur le plan géostratégique que sur le plan géoéconomique, si la guerre froide dans l'Indo-Pacifique devient plus intense.
L’ile continue à servir de porte-avions insubmersible pour les Américains, bloquant l'accès à Pékin par le nord.
Dr. John C. Hulsman
En dernier lieu vient le poids considérable du symbolisme. En effet, l'argument des communistes chinois est en partie d'ordre culturel – il considère que l'ethnie dominante du nationalisme chinois, à savoir les Han, est tout simplement incompatible avec les notions occidentales de démocratie. De ce fait, la réalité de Taiwan, toute proche, est particulièrement irritante pour les dirigeants du parti communiste.
Située juste à côté, Taïwan (dont 95 % des habitants appartiennent à l'ethnie Han) a quitté son système autoritaire de Chiang Kai-shek de l'après-1949 pour devenir une démocratie fragmentée, mais saine. Ainsi, contrairement aux théories établies par le parti communiste, Taïwan possède à la fois une économie de premier ordre mais aussi une démocratie bien établie.
Pour ces motifs géopolitiques, macroéconomiques et géostratégiques fondamentaux, le président Xi a clairement indiqué qu'il ne saurait tolérer la persistance d'un Taïwan pro-américain, libre et démocratique. M. Xi affirme, avec fermeté, que même si Pékin souhaite une réunification pacifique entre Taïwan et le continent, la réabsorption de Taïwan sera inévitable, au plus tôt, et non à un terme lointain et indéfini. Il ne fait aucun doute que Taïwan sera le nouveau centre stratégique du monde. Il incombe donc aux États-Unis de reconnaître cette nouvelle réalité principale du risque politique.
Dr. John C. Hulsman est président et associé directeur de John C. Hulsman Enterprises, une importante société de conseil en risque politique mondial. Il est également chroniqueur principal pour City AM, le journal de la ville de Londres. Il peut être contacté via chartwellspeakers.com
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Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com