Giuseppe Verdi, le compositeur italien passionné de son pays l'a bien dit : « Vous pouvez avoir l'univers si je peux avoir l'Italie. Après avoir vécu dans cinq autres pays d'Europe, je suis à même de confirmer que les Italiens sont particulièrement doués pour l'art de vivre ».
Néanmoins, la culture étincelante de l'Italie côtoie des réalités plus pernicieuses. Souvent assimilée à des gouvernements affaiblis et en perpétuel changement, à une politique instable, à une sclérose au niveau de la bureaucratie et à des réglementations trop complexes pour être appréhendées, il nous semble que l'Italie survit contre vents et marées. Comme le dit un ami américain libéral, l'Italie est de loin le pays qu'il préfère dans la mesure où il prouve qu'un peuple est capable de prospérer sans avoir de gouvernement.
Mais les stéréotypes paresseux du passé ne décrivent plus avec assez de précision le risque politique en Europe. En effet, l'establishment du continent est en flammes. Dans l'Allemagne dominante, l'Union chrétienne-démocrate (CDU), parti de la chancelière sortante Angela Merkel, est devancé par les Verts renaissants dans les sondages précédant les élections législatives prévues en septembre.
La grande puissance qu'est la France présente des spectacles qui rappellent le grand thriller d'espionnage « The Day of the Jackal ». En effet, le président Emmanuel Macron, chouchou de l'establishment européen, se heurte à une armée de rebelles et à une candidate d'extrême droite revigorée, Marine Le Pen. Il se voit ainsi talonné par cette dernière dans les sondages précédant l'élection présidentielle qui aura lieu au printemps 2022. Si les Verts ont des chances de détrôner la CDU, dominante depuis de longues années en Allemagne, et si la Cinquième République française est menacée comme elle ne l'a jamais été depuis le début des années 1960, c'est ironiquement l'Italie de Mario Draghi qui fait figure de stabilité dans cette ère de changement qui s'annonce.
Dans ce paysage, l'Italie apparaît comme la grande puissance européenne dont les décisions politiques, émanant d'un gouvernement solidement établi, auront le plus grand poids sur la trajectoire de l'Union européenne. Ancien directeur de la Banque centrale européenne jouissant d'un grand respect, M. Draghi a été placé au pouvoir pour exploiter sa réputation exceptionnelle ainsi que ses compétences administratives de niveau international ; tout cela dans le but d'accélérer le programme de vaccination stérile de l'Italie, de dépenser sagement la somme colossale de 315 milliards de dollars que l'Union européenne a accordée à son pays pour redresser son économie dans le sillage de la pandémie et de procéder enfin aux réformes structurelles de l'économie dont l’Italie a cruellement besoin. En termes de politique, une réussite sous-entend que le grand pari de l'UE, en soutenant l'Italie, sera rentable et que l'élan en faveur d'une intégration plus poussée demeurera viable. En revanche, l'échec signifie que le rêve européen touchera à sa fin.
Rome constitue la grande puissance dont les décisions politiques, émanant de son gouvernement, auront le plus grand poids sur la trajectoire de l'Union européenne.
Dr. John C. Hulsman
En apparence, M. Draghi a pris un bon départ. Début mai, le pourcentage d'Italiens ayant reçu au moins une dose de vaccin contre le coronavirus s'élevait à 25 %, chiffre qui correspond exactement à la moyenne en Europe. Bien que ce résultat place l'Europe à la traîne des pays anglo-saxons (à cette même période, le Royaume-Uni avait administré au moins une dose de vaccin à 51 % de sa population et les États-Unis à 44 %), l'Union européenne a empêché le fossé qui les sépare de prendre davantage d'ampleur. Après un démarrage épouvantable du processus de vaccination, voilà que l'Europe se remet enfin en marche.
Ainsi, le Parlement italien a approuvé à une majorité écrasante, à la fin du mois d'avril, les projets de long terme proposés par M. Draghi qui prévoient de dépenser la montagne d'argent qui lui a été attribuée pour redresser l'économie de son pays. Le plan ressemble au bon mémoire de fin d'études que l'on pourrait espérer de la part de Draghi. Il prévoit des dépenses bien plus importantes en faveur de la numérisation du gouvernement italien (afin de le faire adhérer au XXIe siècle), du renouveau de l'économie italienne, d'énormes projets d'infrastructure et du développement de l'internet à haut débit pour tous. Les professeurs d'université à travers le monde accorderaient sans aucun doute un « 10/10 » au Premier ministre italien pour sa thèse.
Pourtant, alors qu’il cherche à mener à bien sa politique, M. Draghi se heurte à trois obstacles majeurs. Premièrement, le problème de l'Italie (comme de l'Union européenne dans son ensemble) a toujours été le suivi des projets, et non l'élaboration de plans interminables. La véritable question est de savoir si l'argent sera dépensé comme prévu, avec le moins de corruption possible, dans les délais prescrits et avec la plus grande efficacité.
Deuxièmement, M. Draghi a choisi de commencer par offrir les bonbons. Il a ainsi ouvert les robinets des dépenses et reporté la peine des réformes structurelles cruellement nécessaires (l'administration publique, le système judiciaire et les nombreuses réglementations contradictoires nécessitant tous une mise à jour). Après toute une génération de stagnation et de passivité, il est plus que raisonnable de se demander si l'on procèdera un jour à de véritables réformes musclées.
Troisièmement, le monde ne va pas se croiser les bras et laisser Draghi faire sa magie à l'intérieur d'une bulle. Rien que cette semaine, les services de renseignement italiens ont soutenu que 50 000 à 70 000 migrants se rassemblent en Libye et en Tunisie pour tenter prochainement une traversée vers l'Europe. Un tel résultat inattendu risque de bouleverser tous les beaux plans de Draghi, le contraignant à privilégier la crise des réfugiés plutôt que la refonte de l'Italie.
En d'autres termes, le jury est encore loin de se prononcer sur la capacité de Draghi à redresser l'État italien, longtemps dilapidé. Dans le tumulte qui fait rage en Europe, c'est la question la plus pertinente pour déterminer l'avenir du continent.
Dr. John C. Hulsman est président et associé directeur de John C. Hulsman Enterprises, une importante société de conseil en risque politique mondial. Il est également chroniqueur principal pour City AM, le journal de la ville de Londres. Il peut être contacté via chartwellspeakers.com
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Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com