Dans les colonnes d’Arab News, le 13 avril 2021, mon confrère Olivier Roy esquisse quelques commentaires sur la charte des principes pour l’islam de France signée par plusieurs composantes du Conseil français du culte musulman.
Olivier Roy est l’un des plus brillants spécialistes français de l’islam et c’est avec un profond respect que je vais me permettre de lui répondre de façon constructive.
En effet, la charte des principes pour l’islam de France, si elle a été sans doute impulsée par le gouvernement français, est officiellement un texte rédigé et accepté par les instances représentant le culte musulman, qui sont libres de la signer ou non. Sur les neuf fédérations composant le Conseil français du culte musulman, quatre ne l’ont d’ailleurs pas signée et, pour autant, ne se voient pas empêchées de continuer à gérer les mosquées qui sont les leurs. On oublie, en effet, que la France est un pays laïque où règne, de fait, la séparation des Églises et de l’État. En conséquence, à partir du moment où un culte respecte la loi du pays, la France n’a rien à lui imposer légalement.
Olivier Roy parle de charte «inconstitutionnelle» parce que, justement, elle cite des versets du Coran. Il oublie que cette charte n’est pas une loi, qu’elle n’a pas été votée par le Parlement, mais qu’elle a été écrite par les représentants du culte musulman qui sont, et c’est heureux, libres d’écrire et de signer ce qu’ils veulent.
Arnaud Lacheret
À la lecture de cette charte des valeurs de l’islam, rien ne choque particulièrement. Au contraire, il y est rappelé constamment un principe de la religion musulmane qui est qu’un fidèle se doit de respecter la loi du pays dans lequel il se trouve. Il est également rappelé que le prosélytisme n’est pas une pratique qui doit être encouragée, car l’islam est avant tout un dialogue direct entre Dieu et le croyant, sans intermédiaire particulier.
Il est rappelé aussi la liberté de conscience, celle de croire ou de ne pas croire, l’égalité entre les hommes et les femmes, le rejet de l’instrumentalisation de la religion à des fins politiques. La charte s’accompagne de références juridiques françaises, européennes, ainsi que de versets du Coran qui permettent d’en asseoir la cohérence, tant spirituelle que temporelle.
Olivier Roy parle de charte «inconstitutionnelle» parce que, justement, elle cite des versets du Coran. Il oublie que cette charte n’est pas une loi, qu’elle n’a pas été votée par le Parlement, mais qu’elle a été écrite par les représentants du culte musulman qui sont, et c’est heureux, libres d’écrire et de signer ce qu’ils veulent. Elle n’a donc pas spécialement à respecter la Constitution française qui, fort heureusement, n’interdit pas de citer des textes religieux dans des textes qui ne sont pas du ressort de l’autorité publique.
Il indique également que cette charte serait contraignante pour les signataires. Or, une nouvelle fois, le contenu de cette dernière ne contraint qu’à respecter la loi du pays dans lequel on se trouve, sans même chercher à imposer un dogme. Des principes islamiques ne sont à aucun moment remis en question dans ce texte; au contraire, il est rappelé la nécessité de lutter contre l’idéologie du takfir («excommunication») pour éviter la fitna («discorde»), conceptions que tous les pays musulmans préconisent. Même l’article 8 du texte, qui rappelle l’attachement à la laïcité et aux services publics, et notamment la neutralité religieuse des agents publics, n’est, au fond, qu’un rappel de l’impératif pour un musulman de respecter la loi du pays dans lequel il se trouve.
Olivier Roy compare ce texte avec les conditions imposées par Napoléon aux juifs pour qu’ils deviennent pleinement des citoyens français en 1807. Cette comparaison paraît assez éloignée de la réalité: souvent, les musulmans de France sont déjà des citoyens français et il n’est pas question de leur nier cette qualité; au contraire, il s’agit de montrer que l’exercice de leur foi est parfaitement compatible avec le cadre national. Aucune restriction théologique n’est imposée dans ce texte, comme cela a pu être le cas avec les juifs. Au contraire, l’un des articles les plus longs de cette charte insiste sur la lutte contre la haine antimusulmane, indiquant que c’est une priorité contre laquelle les autorités doivent lutter.
Mon confrère a cependant parfaitement raison quand il indique que cette charte ne fait que rappeler des principes qui existent déjà.
Je me permettrai de souligner que c’est un texte politique, et non juridique. Autrement dit, c’est une déclaration qui évoque des principes non contraignants qui ne font qu’éclairer le lecteur sur la volonté de ses signataires de respecter les lois du pays dans lequel ils vivent. Si cela paraît une évidence à tout le monde, il ne s’agit en réalité que de rappeler des principes importants.
À une époque où les radicaux de tous bords deviennent une menace importante, une telle initiative, parfaitement conforme aux principes de l’islam, comme le texte le souligne constamment, devrait au contraire être soulignée et célébrée plutôt que dénigrée.
Arnaud Lacheret est Docteur en science politique, Associate Professor à l’Arabian Gulf University de Bahreïn où il dirige la French Arabian Business School, partenaire de l’Essec dans le Golfe. Il est l’auteur de « La femme est l’avenir du Golfe » paru aux éditions Le Bord de l’Eau.
Twitter: @LacheretArnaud
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.