Covid: quels risques de récupération pour les acteurs du sport?

Par sa mobilisation contre la pandémie, le sport questionne indirectement les principes de son indépendance proclamée. (Photo, AFP)
Par sa mobilisation contre la pandémie, le sport questionne indirectement les principes de son indépendance proclamée. (Photo, AFP)
Short Url
Publié le Mardi 11 mai 2021

Covid: quels risques de récupération pour les acteurs du sport?

Covid: quels risques de récupération pour les acteurs du sport?
  • En Arabie saoudite, les acteurs du sport se sont engagés dans la campagne de vaccination en réservant les places pour les manifestations sportives du Royaume aux personnes vaccinées
  • À la demande du président du CIO, les athlètes sont «invités à montrer l’exemple et à accepter le vaccin lorsque c’est possible»

Dans un article du 7 mai 2021, le journal L’Équipe annonçait que le gouvernement français avait sollicité le footballeur Kylian Mbappé, le célèbre attaquant du PSG, afin qu’il devienne «ambassadeur pour la campagne de vaccination contre la Covid». La même semaine, le président Biden interpellait les acteurs majeurs du monde du sport pour qu’ils se mobilisent et proposent réductions et avantages aux Américains vaccinés.  

Les réponses ne se firent pas attendre et la Maison Blanche reçut une avalanche de propositions, dont celle de la NFL (Ligue de football américain), qui s’engageait à offrir des billets pour le Super Bowl à 50 (!) fans vaccinés. Parallèlement, l’administration américaine eut recours aux fichiers du Super Bowl afin de sonder les fans sur la vaccination. En Arabie saoudite, les acteurs du sport se sont engagés dans la campagne de vaccination en réservant les places pour les manifestations sportives du Royaume aux personnes vaccinées… De beaux exemples de coopération entre le sport et les pouvoirs publics.

Mais, alors que nous sommes nombreux à soutenir cette mobilisation des acteurs du sport dans la lutte contre la Covid, quelques voix s’élèvent contre les risques de politisation et de perte de responsabilité dont le sport pourrait ne pas sortir indemne.

Le sport a été un des secteurs les plus touchés par la pandémie. Avant la crise, en 2019, il représentait globalement plus de 670 milliards de dollars (1 dollar = 0,82 euro). Dès le mois de novembre 2020, une étude de la Commission européenne a constaté des baisses en valeurs des activités économiques liées au sport de 21,5% à 26,7% dans ses pays membres. Le cabinet Ecorys estime que l’Allemagne aurait perdu à ce jour 23 milliards d’euros, la Grande-Bretagne 9,5 milliards, et que près d’1,1 million d’emplois auraient disparu en Europe. Alors que les taux de croissance globaux pour le sport étaient de près de 8% par an en moyenne, ils vont chuter à 3,3%. Fait remarquable, seul le Moyen-Orient se maintient à 8,7%, selon une étude PwC.

Il était donc logique que des gouvernements et des structures faîtières telles que le CIO, la Fifa ou l’UEFA se mobilisent de concert. En signant un protocole d’accord avec le laboratoire pharmaceutique américain Pfizer Inc. et le laboratoire allemand BioNTech SE, le CIO fait irruption dans le domaine sanitaire et il quitte exceptionnellement sa neutralité opérationnelle afin de garantir la vaccination des compétiteurs olympiques et paralympiques.

À moins de cent jours des Jeux de Tokyo, les comités nationaux olympiques doivent maintenant travailler avec leurs gouvernements respectifs «pour coordonner la distribution locale conformément aux directives de vaccination et aux réglementations de chaque pays» afin de garantir l’entrée de leurs athlètes au Japon. Cette initiative, privée, de Pfizer et BioNTech répondait à celle, gouvernementale, de la République populaire de Chine, qui, il y a quelques semaines déjà, avait proposé au comité organisateur des Jeux de Tokyo de fournir des vaccins à tout athlète qui participait à l’événement cet été.

À la demande du président du CIO, les athlètes sont «invités à montrer l’exemple et à accepter le vaccin lorsque c’est possible», car «la vaccination n’est pas seulement une question de santé personnelle, c’est aussi une question de solidarité et de considération pour le bien-être d’autrui au sein de sa communauté».

Cette position altruiste interpelle toutefois certains juristes et analystes, qui constatent l’arrivée de ces entités privées dans le domaine régalien de la santé. Est-ce que cet engagement consacre leur rapprochement définitif avec les gouvernements? Risque-t-il de fragiliser les organisations faîtières dans leur affirmation d’indépendance et de neutralité? Ou conforte-t-il le caractère politique, au sens grec de «vie de la cité», du CIO, de la Fifa ou de l’UEFA, sans reconnaître toutefois leur autonomie?

Par extension, les coûts de la sécurité sont de plus en plus importants pour la tenue d’un méga-événement sportif, surtout depuis les attentats terroristes du 11 septembre. Sydney investit 250 millions de dollars en 2000, mais Athènes dut dépenser six fois plus en 2004: plus d’1,5 milliard de dollars. Depuis, les coûts sont restés entre 1 et 2 milliards de dollars. La sécurité est une activité régalienne de l’État et ses coûts ont toujours été assumés par le territoire hôte, et non par le comité d’organisation. Mais cette position est-elle encore tenable si la frontière entre la responsabilité de l’État et celle du privé s’estompe? Le sport aura-t-il les moyens de sa sécurité?

Enfin, les organisations sportives sont très fortement engagées dans l’éthique de la compétition, le fair-play. Or, comme le souligne un élu du Parlement européen, Liudas Mažylis, «l’approbation relativement rapide du vaccin [par rapport aux vaccins contre d’autres maladies] suscite de nombreuses attentes et des préoccupations». Souvent, les réponses spécifiques aux questions sur la responsabilité des fabricants ne sont pas données en raison de la confidentialité des contrats. Allons-nous voir des demandes d’athlètes ou de leurs médecins concernant d’éventuels effets secondaires? Doit-on craindre que l’arène sportive soit affectée par les impératifs de la vaccination? 

Par sa mobilisation contre la pandémie, le sport questionne indirectement les principes de son indépendance proclamée. Ses acteurs s’illusionnaient parfois sur leur capacité à prendre des décisions librement; en se positionnant comme partenaires acteurs de la lutte contre la Covid, ils entrent dans un ensemble de dépendances complexes. La demande de coopération des gouvernements doit s’inscrire dans un cadre clairement expliqué et borné, sous peine d’instrumentalisation. Comme l’écrivait Victor Hugo: «La liberté commence où l'ignorance finit.»

 

Philippe Blanchard a été directeur au Comité international olympique, puis en charge du dossier technique de Dubai Expo 2020. Passionné par les méga-événements, les enjeux de société et la technologie, il dirige maintenant Futurous, les Jeux de l’innovation, des sports et esports du futur.