Dans une récente tribune, un article du Wall Street Journal soulignait l’émergence d’une nouvelle guerre des monnaies entre les États-Unis et la Chine. Nous savions tous que les affrontements se multiplient depuis de nombreuses années: sanctions réciproques entre les deux pays, taxes, droits de douanes, interdictions.
Mais la semaine dernière, ce fut Ned Price, un porte-parole de l’administration Biden, qui évoqua officiellement la possibilité d’un boycott des Jeux de Pékin 2022. Si le sport rejoint la monnaie dans les armes que fourbit l’empire américain, on peut donc s’inquiéter que les acteurs du sport, déjà très fragilisés par la crise sanitaire, ne s’en remettent pas. Mais des lueurs d’espoir existent peut-être sous la forme d’une cryptomonnaie.
Cela faisait déjà de nombreux mois que la presse américaine et des groupes de pression relevaient les oppressions dont faisaient l’objet les Ouïghours. Le puissant Washington Post, propriété de Jeff Bezos, avait même publié une nouvelle tribune invoquant l’impossibilité morale et commerciale de «sponsoriser un génocide» (4 avril 2021, Fred Hiatt).
Certains y voyaient une attaque d’Amazon contre son rival Alibaba, partenaire et du Comité international olympique (CIO) et des Jeux de 2022. Comme souvent, les articles peuvent précéder des annonces plus officielles mais la prise de position de Ned Price, le porte-parole du gouvernement Biden lors du point presse, a fait l’effet d’une bombe: «Nous avons toujours dit que, par rapport à nos réserves à l’égard du gouvernement de Pékin, y compris ses violations claires des droits de la personne, le génocide dans la province de Xinjiang, ce que les États-Unis feront aura un impact, mais ce que nous ferons aura encore plus de force si nous le faisons avec nos alliés.»
Je pense enfin que la République populaire va intensifier ses efforts pour affaiblir la domination du dollar, comme monnaie de référence.
Philippe Blanchard
L’ambition d’adopter une position et une stratégie communes est révélatrice et sans ambiguïté. D’un côté, le grand frère américain se dote d’arsenaux juridiques, comme le Rodchenkov Act, une loi antidopage qui donne aux responsables américains le pouvoir de poursuivre des personnes pour des suspicions de dopage lors de toutes compétitions sportives internationales impliquant des athlètes américains. De l’autre, il affiche sa volonté, voire son injonction, de regrouper des pays amis dans le boycott afin d’obtenir une taille critique qui fragilisera encore plus l’attractivité des jeux Olympiques (JO). En 2021, les Jeux de Tokyo vont déjà souffrir de l’absence des spectateurs et il y a fort à craindre que la communication négative contre les Jeux d’hiver de Pékin de 2022 leur soit aussi préjudiciable.
Les réponses de la Chine?
Je pense qu’elles seront de plusieurs ordres. La République populaire est déjà engagée dans la fourniture de vaccins pour les athlètes qui concourront à Tokyo. Une utilisation diplomatique de ses ressources médicales qui a déjà porté ses fruits, notamment au Moyen-Orient (Sinovac aux Émirats arabes unis). Ensuite, la Chine va mobiliser ses capacités de cybersécurité pour appuyer et renforcer la qualité des systèmes d’information des JO. Garantir la bonne tenue des Jeux de Tokyo n’est pas qu’un enjeu national japonais, il est partagé par les dirigeants du Parti communiste chinois. Car toute fragilisation des Jeux de la XXXIIe Olympiade (Tokyo) impactera également les Jeux qui lui succéderont.
Je pense enfin que la République populaire va intensifier ses efforts pour affaiblir la domination du dollar, comme monnaie de référence. Dans le domaine du sport, la quasi-totalité des contrats de sponsoring est signée en dollars. Et le Comité olympique américain est le seul Comité national olympique à ne pas avoir rétrocédé les droits liés aux anneaux olympiques au Comité international olympique. Ce qui lui donne une puissance de négociation considérable dans la redistribution des revenus du CIO.
La Chine est aujourd’hui présente, via Alibaba, dans le programme TOP (The Olympic Partners) du CIO. Plus globalement, de nombreuses entreprises technologiques chinoises se sont engagées dans le financement de compétitions sportives ou de fédérations internationales. Les fans et les téléspectateurs du monde entier voient de plus en plus de panneaux publicitaires avec des personnages chinois et des logos d’entreprise, tels que Alipay ou Tencent dans les arènes de compétition. Car la Chine, et ses entreprises, sont devenues des acteurs incontournables du financement du sport et de l’e-sport.
La monnaie chinoise, le yuan, ne représente aujourd'hui que 4% des règlements des échanges internationaux. Et elle est donc incapable de concurrencer le billet vert. Mais la Chine a décidé de miser sur les monnaies virtuelles, seul moyen pour échapper au dollar et aux circuits classiques de circulation des monnaies fiduciaires. D’où son investissement dans un programme de déploiement d'un «cyber yuan» qui pourra s'échanger en dehors des circuits classiques financiers, comme le permettent aujourd’hui les monnaies non fiduciaires (ou «virtuelles»): les bitcoins (BTC), Ethereum (ETH) et autres litecoins (LTC). Et donc échapper au contrôle américain.
Je m’attends à ce que ce «cyber yuan» devienne un facteur majeur du développement du sport et de nouvelles formes de son financement.
La souveraineté du mouvement olympique et sportif est aujourd’hui fragilisée par la volonté de puissance américaine. L'extraterritorialité est le nom donné à l'ensemble des dispositions du droit américain qui peuvent être appliquées en-dehors des frontières des États-Unis. Et donc opposables à des personnes physiques ou à des personnes morales de pays tiers. Ces dispositions couvraient des domaines aussi divers que le contrôle des exportations aux pays subissant des embargos, la lutte contre la corruption... L’extraterritorialité, juridique ou non juridique, couvre aujourd’hui le cœur même du sport: ses valeurs, son éthique (dopage) et son financement. Pour les autres grands centres du sport, comme la Russie ou le Moyen-Orient, les temps qui s’annoncent vont être passionnants et on peut donc s’attendre à de nombreux rebondissements dans cette nouvelle phase de l’opposition États-Unis-Chine.
Philippe Blanchard a été directeur au Comité international olympique puis en charge du dossier technique de Dubaï Expo 2020. Passionné par les mégaévénements, les enjeux de société et la technologie, il dirige maintenant Futurous, les Jeux de l’innovation et des sports et e-sports du futur.
Twitter: @Blanchard100
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.