On parle en Arabie saoudite du décollage de l’emploi féminin, de l’accès à la société par le travail ou l’entrepreneuriat, et l’on fait remonter cette tendance à 2016, ce qui est corroboré par les statistiques de la Banque mondiale, qui montrent un pic historique de l’emploi féminin à cette période-là.
Une telle évolution s’explique par les multiples réformes qui ont mis fin à des interdictions et à de multiples barrières qui empêchaient les femmes d’accéder à des postes à responsabilité en Arabie saoudite. Elles se sont accélérées à partir de 2016-2017, mais la société a su les anticiper. Des ouvertures plus timides dans les années 2000 laissaient déjà entrevoir la situation telle qu’elle est aujourd’hui.
Si en 2021, tout le monde s’accorde à dire que ces barrières sont levées en grande partie, il est intéressant d’observer que beaucoup de femmes saoudiennes qui ont entre 35 et 45 ans ont grandi et étudié dans une société beaucoup plus fermée. Nous avons rencontré Sara al Saleem qui, à 36 ans, est directrice des ressources humaines du groupe Al Kifah, holding familiale qui compte 8 000 salariés. Elle ressemble à beaucoup de ces femmes saoudiennes qui ont basculé d’une Arabie à l’autre, et qui participent, sans en avoir vraiment conscience, au changement de regard sur leur pays.
Au début des années 2000, «autre chose», pour une femme saoudienne, cela consistait à acquérir un maximum d’expériences pour profiter du démarrage qui s’annonçait.
Arnaud Lacheret
Sara a ainsi fait des études scientifiques et se destinait à être nutritionniste. «Même si c’était une belle expérience, je ne me sentais pas de faire carrière dans ce domaine, alors j’ai décidé de faire d’autres choses.»
Au début des années 2000, «autre chose», pour une femme saoudienne, cela consistait à acquérir un maximum d’expériences pour profiter du démarrage qui s’annonçait. «Pendant toutes ces années, avant de démarrer une carrière de manager, j’ai fait en parallèle des jobs à mi-temps, du bénévolat, de l’autoapprentissage et passé plusieurs certifications professionnelles pour mieux pouvoir définir ma future carrière», explique-t-elle. Sara passe notamment par le soutien et l’encadrement d’activités pour les jeunes ce qui – elle ne le sait pas encore – lui permet de mieux comprendre et d’apprendre à gérer la vraie richesse du pays: sa jeunesse.
La jeune salariée commence dans ce groupe familial comptant plusieurs milliers de salariés en 2011 au poste de business developer. «Il fallait créer un centre de formation pour mon département et j’ai fait partie de l’équipe qui a mis le centre en place. Cela a été le déclic, j’ai ensuite été promue à la direction du développement humain puis en tant que directrice des ressources humaines du groupe, ma fonction actuelle», raconte-t-elle.
Aujourd’hui, Sara fourmille de projets. Mais comment cette brillante jeune femme a-t-elle vécu le changement? En fait, comme beaucoup d’autres qui ont réussi, c’est l’espoir et une certaine vision de l’avenir qui lui ont permis de transformer les restrictions en opportunités «J’ai obtenu ma licence en 2008. À cette époque, les opportunités n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui. Elles existaient, mais étaient plus limitées. Alors je me suis préparée pour l’avenir, affinant mes compétences, et travaillant sur le développement de ma personnalité pour me préparer au moment où ces opportunités apparaîtraient», se souvient-elle.
Les parents de Sara ont eux aussi compris que l’avenir des femmes saoudiennes, et celui de leur fille en particulier, ne reposait pas sur leur protection, mais plutôt sur leur capacité à se fabriquer elles-mêmes, et à se mouvoir dans un univers qui ne les attendait pas spécialement.
Arnaud Lacheret
«Depuis que je suis petite, chaque fois j’ai rencontré un obstacle, mon père m’a toujours dit que c’était mon affaire, que je devais me débrouiller, sans qu’il ait à régler mes problèmes! J’étais un peu jalouse de mes amis parce que leurs parents faisaient beaucoup de choses pour eux, et que les miens me laissaient souvent face seule aux difficultés. C’est en grandissant que j’ai compris à quel point cela avait été utile pour moi, pour me forger une personnalité», affirme-t-elle.
Les parents de Sara ont eux aussi compris que l’avenir des femmes saoudiennes, et celui de leur fille en particulier, ne reposait pas sur leur protection, mais plutôt sur leur capacité à se fabriquer elles-mêmes, et à se mouvoir dans un univers qui ne les attendait pas spécialement.
Comme le dit elle-même Sara, «cet environnement familial particulier est un peu le secret de ma réussite, car il m’a permis de me sortir des moments les plus compliqués par moi-même et de grimper les échelons professionnels».
Sara n’est qu’un exemple de ces femmes saoudiennes qui sont en route vers les sommets. À 36 ans, elle est DRH d’un groupe de 8 000 salariés et ne compte pas s’arrêter là. C’est aussi le symbole de cette génération qui a su se préparer, aidée par une famille qui a fait le choix de la laisser se responsabiliser, afin qu’elle soit prête à saisir les opportunités quand elles se présenteraient.
Arnaud Lacheret est Docteur en science politique, Associate Professor à l’Arabian Gulf University de Bahreïn où il dirige la French Arabian Business School, partenaire de l’Essec dans le Golfe. Il est l’auteur de « La femme est l’avenir du Golfe » paru aux éditions Le Bord de l’Eau.
Twitter: @LacheretArnaud
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.