Malgré les contraintes conjoncturelles de la crise sanitaire, le sport est au XXIème siècle une réalité de premier plan, au niveau social, économique, technologique et même géopolitique. Mais, tout comme Clémenceau déclarait en 1887 que "La guerre est une chose trop sérieuse pour être confiée à des militaires", beaucoup d’experts et d’intellectuels occidentaux demandent depuis une vingtaine d’années que le sport s’intègre dans un cadre moins « archaïque » et plus « politique ». Soutenus par la presse et les médias, ils accusent de corruption, d’incompétences et de népotisme, demandent une réforme en profondeur de la gouvernance du sport mondial et des structures nationales. Ils remettent en cause le rôle et la responsabilité des institutions sportives, leur propriété intellectuelle, voire leur légitimité. Derrière ces accusations se posent des questions littéralement existentielles pour tous les acteurs du sport. Même si les structures les plus puissantes et les plus riches, FIFA et CIO en tête, ont les moyens de se défendre et de s’adapter, le monde du sport va souffrir d’un effet ciseaux dévastateur : plus de charges et lourdeurs administratives, moins de ressources de sponsors et partenaires publics, inquiets d’un potentiel risque réputationnel.
Après une première vague dans les années 1970 et la critique de Guy Debord de la société du spectacle (1967) et de Jean-Marie Brohm (lui aussi situationniste), une seconde vague liée à la conjonction explosive de l’augmentation des revenus (sponsoring et droits télé) en même temps que celle des « affaires », la pérenne question du dopage, nous vivons maintenant les crises du trucage des matches et de l’instrumentalisation politique. Revendication des droits de l’homme et des travailleurs sur les chantiers des mégaévènements, mouvements #MeToo et Black Lives Matter, demandes de reconnaissance des minorités culturelles ou sexuelles… on constate une mobilisation populaire croissante. Et comme le disent les experts de l’IRIS, Pascal Boniface et Carole Gomez, la réponse classique de neutralité politique des instances dirigeantes du sport aux différentes formes de protestation est « désormais ni audible ni défendable ». Cette instrumentalisation se renforce aussi par l’engagement accru de certains états, comme les Etats-Unis d’Amérique avec le Rodchenkov Anti-doping Act. Avec cette loi, les USA « affirment leur puissance et leur volonté de régir une cause relevant de la communauté sportive internationale par une instance nationale américaine » (IRIS, “ Sport mondialisé, Les défis de la Gouvernance » mars 2021).
Avec cette loi, les USA « affirment leur puissance et leur volonté de régir une cause relevant de la communauté sportive internationale par une instance nationale américaine » (IRIS, “ Sport mondialisé, Les défis de la Gouvernance » mars 2021).
Philippe Blanchard
L’héritage de Pierre de Coubertin, qui considérait que les Jeux olympiques étaient au-dessus de la politique, a toujours été problématique. En débordant du terrain de foot, de la piscine ou du stade, en promouvant le principe même de compétition, le sport s’est fondamentalement inscrit dans une revendication d’un territoire par rapport à un autre. La ferveur des fans de football est une des nombreuses illustrations de cette réalité. Quelle que soit la ville, ou le pays, le fan rejoint une communauté et vibre aux mêmes passions, jubile aux mêmes victoires et pleure aux mêmes défaites. OM à Marseille ou LOSC à Lille. Spartak à Moscou ou Al-Hilal à Riyad. L’équipe nationale Al Sukoor (les Faucons) des Émirats arabes unis ou Les Lions de la Téranga du Sénégal. Le territoire se nourrit de l’héroïsation de son équipe. Et il s’affirme à travers elle. C’est d’ailleurs la raison fondamentale et du sponsoring et de l’engagement de la puissance publique, cette dernière soutient par ses ressources, ses infrastructures, sa legislation ou/et ses financements.
Alors, si la Jamaïque a bénéficié de l’image de ses sprinters, l’Éthiopie de celle de ses coureurs de fond, la Russie de celle de ses hockeyeurs (27 fois Champions du monde !)… est-ce à dire que la puissance publique doit se substituer à l’institution sportive ? Nous ne saurons jamais si le Gouvernement sud-africain aurait pu mener les Springboks à la première place du rugby mondial, mais est-ce vraiment le débat ?
Si la « gouvernance sportive est incapable de faire face aux défis de l’intégrité », je doute que la solution soit de dessaisir le monde du sport de ses responsabilités. Il faut plutôt créer des passerelles entre le monde du sport et le monde politique. C’est d’ailleurs vrai pour le sport comme pour la Culture, ou l’Art. Favoriser les enrichissements entre deux mondes plutôt que les opposer. C’est donc pourquoi je suis avec intérêt les projets transversaux ou les organisations mixtes qui maillent le territoire et le sport, comme NEOM ou la Fondation Misk en Arabie Saoudite, twofour54 à Abu Dhabi… C’est pourquoi il ne faut plus diaboliser mais préconiser la double responsabilité politique dans un gouvernement et dans une institution sportive ou culturelle. La création de structures distinctes ne favorisera jamais la synergie sans avoir des « passeurs ». Des femmes ou des hommes qui ont un pied dans chacun des deux mondes. De nombreuses initiatives, au Moyen Orient, en Fédération de Russie ou en République populaire de Chine, sont riches de ces dynamiques que l’on devrait assimiler au concept occidental de partenariat public-privé plutôt que les condamner. La critique d’«archaïsme de la gouvernance » est trop souvent opposée aux organisations alternatives.
Philippe Blanchard a été Directeur au Comité International Olympique puis en charge du dossier technique de Dubai Expo 2020. Passionné par les méga-événements, les enjeux de société et la technologie, il dirige maintenant Futurous, les Jeux de l’Innovation et des sports et esports du Futur.
Twitter: @Blanchard100
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.