Sport et géopolitique: attention aux procès d’intention

Le milieu de terrain français de Marseille Dimitri Payet (D) est dupé par le milieu de terrain brésilien de Lyon Lucas Paqueta (G) lors du match de football français de L1 entre l'Olympique de Marseille (OM) et l'Olympique Lyonnais (OL) au stade Vélodrome de Marseille le 28 février 2021 (Photo, AFP).
Le milieu de terrain français de Marseille Dimitri Payet (D) est dupé par le milieu de terrain brésilien de Lyon Lucas Paqueta (G) lors du match de football français de L1 entre l'Olympique de Marseille (OM) et l'Olympique Lyonnais (OL) au stade Vélodrome de Marseille le 28 février 2021 (Photo, AFP).
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Publié le Mardi 02 mars 2021

Sport et géopolitique: attention aux procès d’intention

Sport et géopolitique: attention aux procès d’intention
  • Depuis plus d’un an, le monde du football et celui de la géopolitique se perdent en conjectures pour savoir si, oui ou non, l’Arabie saoudite achètera l’Olympique de Marseille
  • Que le sport nous inspire passion ou raison, nous savons qu’il représente bien plus que ses seules dimensions économique, sanitaire ou ludique

Depuis plus d’un an, le monde du football et celui de la géopolitique se perdent en conjectures pour savoir si, oui ou non, l’Arabie saoudite achètera l’Olympique de Marseille (OM), aujourd’hui propriété de l’Américain Frank McCourt. Aux dires de la presse française, «les Saoudiens seraient notamment séduits par la rivalité historique entre les clubs marseillais et parisiens. L’opposition historique des deux clubs, la magnitude de leurs communautés de fans et la qualité de l’engagement de ces derniers pourraient à elles seules justifier la couverture et la passion médiatiques… mais il est intéressant de constater combien nous-mêmes, médias ou experts du monde occidental, transposons parfois nos propres préjugés dans certaines de nos analyses géopolitiques.

Que le sport nous inspire passion ou raison, nous savons qu’il représente bien plus que ses seules dimensions économique, sanitaire ou ludique. Le sport est un marqueur sociologique et géopolitique. Le comprendre, c’est comprendre les évolutions de nos sociétés.

En même temps que l’établissement d’un «empire sur lequel le soleil ne se couchait jamais», les Britanniques développèrent la notion du sport moderne dans l’Angleterre victorienne. En adjoignant un cadre et des règles aux activités corporelles, ils renforcèrent sa valeur éducative. En promouvant certains traits de caractère victoriens (la compétition, une rigueur corporelle propre à renforcer les soldats de Sa Majesté, une éthique teintée de protestantisme), le phénomène se répandit dans l’ensemble des universités britanniques.

À la fin du XIXe et au début du XXe siècle, la France donna naissance au Comité international olympique (CIO) et la Fédération internationale de football association (FIFA), consacrant la structuration et l’internationalisation du sport et rendant attentifs élites et gouvernements aux rôles du sport dans l'éducation de la jeunesse et dans la transmission des valeurs morales.

Au milieu du XXe siècle, les États-Unis imposèrent le sport spectacle et ils inventèrent l’ingénierie financière (sponsoring, droits médias, titrisation des clubs ou des équipes) qui devait également soutenir leur objectif de domination culturelle. La Confédération helvétique offrit son image de neutralité à de nombreuses fédérations sportives et, en retour, profita de leurs capitaux et activités. Grande-Bretagne, France, États-Unis, Suisse… Nombreux sont les exemples que nous pourrions prendre de l’engagement de gouvernements occidentaux dans le sport et de sa récupération positive.

La globalisation du sport s’est appuyée sur une internationalisation de son financement. À lire la presse et les analyses occidentales, les investisseurs européens ou américains auraient principalement des intentions financières, alors que, pour les investissements du Moyen-Orient, de Russie, d’Asie centrale ou de Chine, ce seraient de coupables enjeux géopolitiques et des acteurs étatiques ou institutionnels que l’on irait chercher…

D’un côté, la presse nous décrit un sport aujourd’hui bien loin de l’image de la danseuse d’antan: les investisseurs occidentaux cherchent des opportunités financières. Adieu aux «investissements non rentables maintenus par pur plaisir ou mécénat», place aux opportunités d’enrichissement.

Les médias nous disent ainsi que l'actuel propriétaire de l'OM, Franck McCourt, avait précédemment racheté, en 2004, les Dodgers de Los Angeles 430 millions de dollars (soit 357 millions d’euros). Et les a revendus, huit ans plus tard, près de 2 milliards de dollars (1,66 milliard d’euros). Concernant le rachat de l’Olympique de Marseille, ce serait une enveloppe de 400 millions d’euros, à opposer aux 300 millions d’euros déjà investis par M. McCourt dans le champion d’Europe 1993, dont les 40 millions de prix d’achat en 2016. 100 millions de plus-value. On reste, pour McCourt, dans des opérations financières.

Changement de perspectives pour les investisseurs non occidentaux: les acquisitions ou les engagements dans le domaine du sport se feraient principalement pour des raisons d’image. La transmission des valeurs du sport leur garantirait une crédibilité et une légitimité, voire, pour les plus critiques, une impunité ou une virginité. Les perspectives financières ne sont pas mentionnées, ou de manière accessoire.

Ainsi, dans un article sur le rachat potentiel de l’OM, Mme Gomez, directrice de recherches à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), nous dit que l’intérêt de l’Arabie saoudite pour le sport daterait de 2017, avec l’arrivée du prince héritier Mohammed ben Salmane et son plan de développement Vision 2030: «L’un des objectifs de la diplomatie sportive de l’Arabie saoudite est de profiter de l’image positive, dynamique et non polémique véhiculée par le sport», nous dit la chercheuse. Il s’agirait de profiter de «retombées en termes de marketing et de place sur la scène internationale».

Le sport mondial a largement bénéficié des investissements et des soutiens d’acteurs du Moyen-Orient, russes et, de plus en plus, chinois. À lui seul, le Moyen-Orient s’est engagé volontairement dans l’accueil de nombreuses compétitions internationales: Coupe du monde de football, championnat du monde de boxe, Rallye Dakar, courses cyclistes, Jeux asiatiques de 2030 et de 2034... Dynamiques nouvelles. Il faut les soutenir: non seulement elles compensent des besoins financiers non satisfaits, mais elles sont aussi la consécration des tentatives d’ouverture des dirigeants et des aspirations de leurs communautés.

Ces événements sportifs sont, de plus, des soutiens essentiels à l’industrie touristique, et la préfiguration de nouveaux échanges internationaux. Quand il s’agit d’acteurs occidentaux, nous semblons accepter la finalité économique. Quand il s’agit d’acteurs non occidentaux, nous les jugeons alors en leur attribuant des intentions morales. Attention à rester bienveillants dans nos analyses et nos commentaires: assurons-nous que le monde occidental ne porte pas un regard éthique complétement différent en fonction de l’origine de l’investisseur. C’est antinomique avec les valeurs du sport.

Philippe Blanchard a été directeur au Comité international olympique puis en charge du dossier technique de Dubaï Expo 2020. Passionné par les méga-événements, les enjeux de société et la technologie, il dirige maintenant Futurous, les Jeux de l’innovation et des sports et e-sports du futur.

Twitter: @Blanchard100

NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com