PARIS : L’islam, les musulmans, «l’islamo-gauchisme»… ont encore fait l’actualité française en mars. À Strasbourg, il y a quelques jours, le ministre de l’Intérieur s’inquiétait de l’origine d’une subvention de 2,5 millions d’euros destinée au projet de construction d’une grande mosquée.
Hier, il a demandé l’annulation d’une subvention à une association soupçonnée de promouvoir «des règles compatibles avec la charia». Auparavant, à Grenoble, le climat était tendu à Sciences Po après qu’un professeur d'allemand eut critiqué le terme «islamophobie» dans des débats consacrés au thème «racisme, islamophobie, antisémitisme». Il assimilait le mot à une «arme de propagande d'extrémistes », avouant au passage une «certaine aversion» pour cette religion. Un de ses collègues le soutenait. Une vive querelle s’ensuivit.
Sur Facebook, le principal syndicat étudiant dénonçait des «propos problématiques», puis des inscriptions, «Des fascistes dans nos amphis» ou «L'islamophobie tue»…, étaient placardées sur les murs des locaux de l’établissement, accompagnés des noms des deux professeurs mis en cause.
À l'Union nationale des étudiants de France (Unef, qui subit depuis un déferlement de haine) qui avait alors relayé sur les réseaux sociaux les inscriptions sur les murs, on avait reproché de contribuer à mettre en danger les enseignants. Bien sûr, un parallèle était dressé avec le meurtre de l'enseignant Samuel Paty en octobre 2020 par un jeune islamiste.
Cette affaire grenobloise intervenait après que la ministre de l'Enseignement supérieur eut réclamé une enquête sur «l'islamo-gauchisme à l'université», pour répondre, selon elle, aux préoccupations d'enseignants inquiets de voir le champ académique imprégné par le militantisme de gauche et les études postcoloniales. Dans ce climat délétère, où les deux enseignants grenoblois ont été placés sous protection policière, les nombreux débats qui ont suivi dans les médias ont encore fait monter les crispations – voire la haine – dans l’opinion publique vis-à-vis de l’islam et des musulmans, avec leur lot d’amalgames.
La haine, la peur et les boucs-émissaires sont des ingrédients qui ont déjà fait leur preuve en politique.
Azouz Begag
Ces affaires deviennent récurrentes. Il serait judicieux d’en établir un baromètre, d’ici à la prochaine élection présidentielle, pour voir comment elles sont «montées en mayonnaise» dans l’espace médiatique. La haine, la peur et les boucs-émissaires sont des ingrédients qui ont déjà fait leur preuve en politique. Le même scénario se reproduira ces prochains mois.
Clairement, le parti de Marine le Pen a imposé à la majorité ses thèmes de l’immigration, de la sécurité et de l’identité nationale, sur le dos des musulmans, et durablement, car entre-temps, les dissensions au sein du Conseil français du culte musulman [CFCM], interlocuteur des pouvoirs publics, ne cessent pas. Récemment, quatre fédérations (sur neuf) ont claqué la porte, dénonçant le manque de démocratie de son bureau et de son président. Hélas pour les fidèles, alors que sa représentativité est toujours mise en cause, le CFCM miné par ses différends internes, se montre toujours incapable de proposer une image unitaire au public.
Et souvent, les groupements qui prétendent représenter une communauté musulmane n’existent pas, car les musulmans sont anticommunautaristes, alors même que d’aucuns voudraient les «communautariser» pour en faire une menace pour la société. Les attaques portées contre eux voudraient répondre aux «angéliques» et «humanistes», qui pécheraient par excès de laxisme, de tolérance, d’hospitalité depuis la Révolution de 1789, et auraient ouvert les vannes à la «grande invasion».
Les attentats islamistes de 2015 ont sérieusement réactualisé cette position sur le rejet des Arabes et des musulmans, qui, en réalité, progresse depuis trois décennies.
Azouz Begag
Les attentats islamistes de 2015 ont sérieusement réactualisé cette position sur le rejet des Arabes et des musulmans, qui, en réalité, progresse depuis trois décennies. Dans les années 1980, Le Pen dénonçait ceux qui voulaient le «bâillonner» pour l’empêcher de révéler aux Français sa vérité sur l’immigration musulmane.
Plus récemment, le 26 avril 2016, Christian Estrosi, ancien ministre et maire de Nice, déclarait : «… La civilisation judéo-chrétienne dont nous sommes les héritiers est menacée… L’immense majorité des musulmans de France qui aujourd'hui placent les lois de la République au-dessus des lois religieuses… se sentent menacés par ce que j'appelle l'islamo-fascisme… à travers les cinquièmes colonnes et leurs réseaux infiltrés dans nos caves, dans nos garages, dans les lieux clandestins… C'est une troisième guerre mondiale qui nous est déclarée…» Pas moins ! Ce discours radical intervenait à un moment où lui et Marion Maréchal-Le Pen, du Front national, rivalisaient pour la présidence de la région Paca. On le sait, les surenchères sur les questions identitaires et sécuritaires jouent un rôle majeur dans les campagnes électorales.
À l’évidence, l’affaire de l’IEP de Grenoble s’inscrit dans cette tendance de long terme où l’islam/l’islamisme est une denrée facile pour les politiciens démagogues.
Azouz Begag
À l’évidence, l’affaire de l’IEP de Grenoble s’inscrit dans cette tendance de long terme où l’islam/l’islamisme est une denrée facile pour les politiciens démagogues.
Il demeure que, mis bout à bout, ces «buzz» qui font l’actualité en France écornent chaque fois davantage l’image des musulmans, comme l’atteste un récent sondage Ifop, menée les 4 et 5 mars auprès d’un échantillon de 1 012 personnes. Commandé par l’Union des étudiants juifs de France et SOS Racisme, il montre qu’une majorité des Français estime qu’une haine s’est répandue contre les musulmans, d’après 69 % des personnes interrogées. Il affecte également les juifs (selon 62 % des répondants), les Noirs (59 %) et un peu moins les Asiatiques (31 %). Il corrobore la crispation contre les musulmans et les citoyens d’origine maghrébine.
En effet, 43% des sondés affirment que ces deux populations sont trop nombreuses en France. Contre eux, les préjugés restent tenaces: «ils ne respectent pas les valeurs de la république» pour 48% des sondés, et «ils vivent des allocations familiales et des minimas sociaux…»
Les stéréotypes ont la peau dure. Bientôt, le ramadan commencera. En pleine période de Covid-19, alors que les Français sont épuisés et inquiets sur leur avenir. La troisième vague de l’épidémie laisse poindre un durcissement des restrictions imposées à la population. Il faut espérer que les musulmans, habitués à l’approche de l’iftar à sortir en nombre, en famille, prendre l’air, acheter les ingrédients nécessaires pour le repas du soir… soient exemplaires en matière de respect des mesures sanitaires. Ils sont sous surveillance, pour ainsi dire. L’année dernière, à Lyon, dans le quartier maghrébin, la place du pont, des heurts violents entre groupes de jeunes, souvent des Harraga, avaient souillé le ramadan, aux yeux de tous, déclenchant une avalanche de protestations. Des vidéos faites par des riverains et encore relayées sur Internet rendent compte de l’effet dévastateur de ces incivilités.
Azouz Begag est écrivain et ancien ministre (2005-2007), chercheur en économie et sociologie. Il est chargé de recherche du CNRS.
Twitter: @AzouzBegag
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.