Quels enseignements Hassan Nasrallah et le Hezbollah peuvent-ils tirer de la chute de l’IRA ?

Les condamnations du Hezbollah se sont multipliées ces derniers jours (Photo, AFP)
Les condamnations du Hezbollah se sont multipliées ces derniers jours (Photo, AFP)
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Publié le Vendredi 14 août 2020

Quels enseignements Hassan Nasrallah et le Hezbollah peuvent-ils tirer de la chute de l’IRA ?

Quels enseignements Hassan Nasrallah et le Hezbollah peuvent-ils tirer de la chute de l’IRA ?
  • Le Hezbollah prétend incarner la « résistance », mais ce à quoi il résiste n’est pas tout à fait clair
  • Hassan Nasrallah pourra t-il prendre exemple sur Gerry Adams et feu Martin McGuinness, devenus hommes d’Etat après avoir été des terroristes ?

Au milieu des larmes et de la colère au Liban, l’attention se porte tout particulièrement sur un groupe paramilitaire financé par un autre pays. Certains réclament qu’il soit éradiqué, ou du moins désarmé. Un scénario qui peut sembler familier à tout observateur qui suit les événements de Beyrouth, où les condamnations du Hezbollah se sont multipliées ces derniers jours. Cela me fait surtout penser à un autre événement qui a eu lieu il y a 22 ans, et à 4000 km du Liban : le 15 août 1998, 29 personnes sont mortes dans un attentat à la voiture piégée dans le centre d'Omagh, dans le comté de Tyrone, en Irlande du Nord. Les auteurs étaient membres d'un groupe dissident de l'IRA provisoire, groupe paramilitaire républicain.
Cet attentat était supposé détruire le fragile processus de paix de l’Irlande du Nord, qui avait franchi une étape décisive quatre mois plus tôt, avec l’accord du Vendredi Saint, mettant fin à quatre décennies de violence.  Contre-intuitivement, c’est l’opposé qui s’est produit. La vague de répulsion qui a suivi l’attentat a été telle que la violence paramilitaire s’est retrouvée discréditée, accélérant même le processus de désarmement. 
Les leçons de l’Irlande du Nord pourraient-elles s’appliquer au Liban ? Le Hezbollah et son chef, Hassan Nasrallah, peuvent-ils tirer des enseignements de la transformation de l’IRA et se transformer seulement une puissance politique comme le Sinn Fein l’est devenue ? Prendre exemple sur ses chefs,  Gerry Adams et feu Martin McGuinness, devenus hommes d’Etat après avoir été des terroristes ? Je crois que oui.
Lorsque je travaillais en Irlande du Nord en 1980, l’influence de l’IRA était pernicieuse et omniprésente. Des parties entières de villes de Belfast ou Derry, et le comté d’Armagh du sud, surnommé « pays des bandits », étaient interdits d’accès à la police royale de l'Ulster et à l’armée britannique. Ces zones étaient contrôlées par l’IRA qui y dispensait une justice sommaire. 
L’IRA était à l’époque majoritairement financée par des irlando-américains vivant aux États-Unis, persuadés que ces terroristes aux mains tâchées de sang luttaient pour la libération du joug colonial britannique, et heureux d’ignorer le droit à l'autodétermination de la majorité d'Irlande du Nord qui souhaitait rester dans le Royaume-Uni.
Accord de Belfast, et accord de Taëf
Tout cela doit sembler familier aux habitants du sud de Beyrouth et du sud du Liban, contrôlés par des paramilitaires armés financés par le régime de Téhéran.
Les Libanais pourraient également se reconnaître dans le simulacre de démocratie qui a prévalu en Irlande du Nord, où pendant des décennies les gens ont voté en fonction de leur religion et selon leur conception de l’unité de l’Irlande plutôt qu’en fonction de raisonnements rationnels qui leur auraient pourtant apporté des bénéfices en termes d'emploi, de logement, d'éducation ou de soins de santé. Le système « confessionnel » était en effet inscrit dans l’accord du Vendredi Saint qui garantissait une administration semi-autonome et un partage du pouvoir à Belfast. Il a réussi à sevrer de la violence les extrémistes des deux côtés, tout en restant fondamentalement défectueux.
Il en est de même au Liban, où la myriade de confessions religieuses que compte le pays, affirme que leur représentation au Parlement et au gouvernement a été garantie par l’accord de Taëf qui a mis fin à la guerre civile en 1990. En vérité, il n’en est rien. Le confessionnalisme au Moyen-Orient a été inventé par les Ottomans il y a plus d’un siècle. Et l’accord de Taëf était censé rester temporaire : l'article 24 de la Constitution libanaise stipule clairement que la représentation confessionnelle doit rester en vigueur « jusqu'au moment où la Chambre adopte de nouvelles lois électorales sur une base non-confessionnelle ». 
En Irlande du Nord, 22 ans après l’accord du Vendredi Saint, beaucoup de personnes ont évolué : ils se déclarent n’être ni nationalistes ni unionistes. Le parti non-sectaire de l’Alliance a doublé son vote lors des trois élections en 2019 et constitue désormais le plus grand parti politique de la province. Le Liban pourrait-il suivre la même évolution 30 ans plus tard ? Oui, il en est captable. Cependant il ne peut pas exister de démocratie représentative fonctionnelle lorsque les citoyens votent sous la menace des armes. Comment, donc, persuader Nasrallah et le Hezbollah de se débarrasser de leurs armes comme l’ont fait Adams et l’IRA ?
Soyons clairs : Adams est un tueur, bien qu’il n’ait jamais été condamné (n'hésitez pas à me poursuivre en justice, Gerry, je vous verrai au tribunal, nous savons tous deux qui gagnera, et les parents toujours en deuil de Jean McConville seront là pour le voir). Mais il aussi un politicien intelligent et pragmatique. Avec McGuinness, ils ont été les premiers républicains irlandais à se rendre compte que le jeu était terminé, que la « lutte armée » était une cause vaine, et que l'avenir du républicanisme irlandais reposait sur une politique pacifique du Sinn Fein.
Aucun groupe paramilitaire ne peut opérer sans avoir au moins le soutien tacite de la communauté qu’il dit représenter. Après chaque meurtre commis par l'IRA, on pouvait entendre cette répondre dans son bastion à l’ouest de Belfast : « Les gars… ils vont parfois trop loin, mais sont bien intentionnés ». Mais après une série de réformes sociales et électorales mettant fin à la discrimination institutionnelle qui avait privé pendant des décennies les catholiques d'Irlande du Nord de leurs droits à l'emploi, à l'éducation, à la représentation politique ou à un traitement équitable devant la loi, leur sentiment d'injustice qui nourrissait leur soutien a fini par disparaître, faisant perdre au groupe armé sa raison d’être. 
En tant que groupe armé équivalent au Liban, le Hezbollah a subi le même sort il y a quelques temps. Il prétend incarner la « résistance », mais ce à quoi il résiste n’est pas tout à fait clair. Les forces israéliennes ont quitté depuis longtemps le Liban et n’ont aucun intérêt à y retourner, en dépit des provocations futiles du Hezbollah. Alors à quoi servent les armes exactement ? Ne sont-elles qu’un accessoire macho pour ceux qui craignent que, sans armes, leur politique n'ait que peu d'attrait pour les gens qu'ils prétendent représenter ? Pendant combien de temps les flux financiers pourront-ils continuer à parvenir de l’économie qui s’effondre sous le poids des sanctions américaines, et du retrait d’autre pays qui ont peur de les enfreindre ?
Il reste encore à voir si Nasrallah possède la capacité intellectuelle pour se rendre compte qu’il a deux choix possibles. Soit il continue à se cacher dans l’ombre pour le restant de sa misérable existence, jusqu’à ce qu’elle prenne fin par une balle du Mossad ou un tir d’un drone américain, comme son financeur, le feu Qassem Soleimani. Soit au contraire, il choisit de renoncer aux armes du Hezbollah, adopte une politique pacifiste et s’engage à donner à ses partisans la représentation démocratique à laquelle ils ont droit.
Si Adams peut le faire, alors lui aussi.

Ross Anderson est Rédacteur en Chef adjoint d’Arab News et ex- Rédacteur en Chef du Sunday News à Belfast.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com