Les États arabes du Golfe doivent présenter un front uni sur l’Iran

Biden prononce une allocution alors qu’il participe à un événement virtuel de la Conférence de Munich sur la sécurité depuis la Maison-Blanche à Washington, aux États-Unis, le 19 février 2021 (Reuters).
Biden prononce une allocution alors qu’il participe à un événement virtuel de la Conférence de Munich sur la sécurité depuis la Maison-Blanche à Washington, aux États-Unis, le 19 février 2021 (Reuters).
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Publié le Lundi 22 février 2021

Les États arabes du Golfe doivent présenter un front uni sur l’Iran

Les États arabes du Golfe doivent présenter un front uni sur l’Iran
  • «La politique américaine sera conçue principalement pour répondre aux objectifs et aux intérêts stratégiques de l’Amérique, et non à ceux du Golfe»
  • «Il est temps de changer l’attitude selon laquelle chaque pays cherchait à avoir des relations préférentielles avec les États-Unis par rapport aux autres pays du Golfe»

Comme prévu, le nouveau président américain Joe Biden semble décidé à revenir à l’accord nucléaire du Plan d’action global conjoint (JCPOA) avec l’Iran.

Toutes les discussions sur l'inclusion d'alliés américains tels qu'Israël et les pays du Golfe dans les négociations, sur la nécessité pour l'Iran de revenir sur son programme d'enrichissement, ou sur le «non» rapide et timide de Joe Biden lorsqu'on lui a demandé s'il allait lever les sanctions, ne semblent pas avoir abouti à quoi que ce soit.

Les États-Unis veulent revenir à l’accord dès que possible. Jeudi dernier, Biden a annulé la tentative de l’administration Trump de rétablir les sanctions de l’Organisation des nations unies (ONU) contre l’Iran. Dans l'intervalle, les partenaires européens ont été invités à discuter du retour au JCPOA, qui peut être considéré comme un mécanisme permettant de sauver la face pour éviter un scénario qui consisterait à attendre que l’autre agisse entre l'Iran et les États-Unis. Cependant, quelle est la position du Golfe à ce sujet ?

Barack Obama n’a pas inclus les pays du Golfe dans les négociations initiales du JCPOA avec l’Iran, car il ne voulait pas ajouter plus de complications à un sujet déjà complexe. Biden suivra probablement. Il ne voudrait donner à aucun allié américain un droit de veto sur l’accord. Le Golfe attend toujours la visite de courtoisie que doit faire Biden. Sa réticence à s’engager est censée envoyer un message clair: la politique américaine sera conçue principalement pour répondre aux objectifs et aux intérêts stratégiques de l’Amérique, et non à ceux du Golfe.

C'est ce qui ressort d'un article écrit la semaine dernière par le sénateur démocrate Chris Murphy, membre de la commission des relations étrangères du Sénat, dans le magazine Foreign Affairs. Selon lui, la doctrine Carter, qui stipule que les États-Unis devraient utiliser la force pour protéger le Golfe et ses puits de pétrole, ne s'applique plus et l'Amérique devrait changer sa politique envers les pays du Golfe, mettant ses propres intérêts au-dessus des leurs. Dans le cas de l'Iran, le principal objectif des États-Unis est de l'empêcher d'acquérir une arme nucléaire.

«Il n’y a toujours pas de politique du Golfe cohésive et cohérente envers l’Iran qui puisse être soutenue.»

Dr. Dania Koleilat Khatib

Et, comme l’administration Biden est susceptible de répéter les erreurs d’Obama, les États du Golfe sont susceptibles de répéter les leurs. Une fois, j’ai demandé à un de mes contacts qui travaillait pour l’administration Obama pourquoi les États-Unis n’avaient pas consulté le Golfe lors de son entrée dans le JCPOA. Voici ce qu’il m’a répondu: «Savent-ils ce qu’ils veulent?» Selon lui, les pays du Golfe n'ont jamais adopté une position claire et unifié. Avant l’accord, ils ne voulaient pas que les États-Unis s’engagent avec l’Iran, mais, en même temps, ils ne préconisaient pas une frappe militaire qui pourrait avoir des conséquences pour eux.

Néanmoins, les États-Unis voulaient clore le dossier nucléaire. Mon contact a peut-être exagéré et tenté de rejeter la faute sur le Golfe, mais il n’y a toujours pas de politique du Golfe cohésive et cohérente envers l’Iran qui puisse être soutenue. Les politiques de la région ont davantage consisté en un ensemble de réactions instinctives et non coordonnées face au déploiement stratégique par l’Iran de ses propres politiques.

À l’époque de l’administration Obama, l’Iran s’était senti encouragé par ce qu’il percevait comme une approbation américaine, en particulier lorsque le président avait appelé l’Arabie saoudite à «partager» la région avec l’Iran. En outre, le déblocage de fonds à la suite du JCPOA a donné à l’Iran les moyens de financer ses opérations dans la région.

L’attitude des États-Unis, qui a ignoré et même snobé le Golfe tout en apaisant et même en courtisant l’Iran, a rendu les États du Golfe nerveux, les mettant sur la défensive. Ils ont répondu à l’aventurisme de l’Iran en soutenant des groupes opposés. Cela a été fait de manière chaotique et a eu pour conséquence d’enhardir l’Iran. L’accord qui était censé apporter la stabilité à la région a eu exactement l’effet inverse.

Ne pas prendre en compte les mandataires de l’Iran a rendu le JCPOA vulnérable et non viable. Les alliés américains l’ont rejeté, beaucoup en Amérique l’ont critiqué et Donald Trump l’a dénoncé. Ce scénario risque de se répéter si les États-Unis et les pays du Golfe n'adoptent pas une approche plus approfondie. Cependant, ces derniers doivent s’aider eux-mêmes s’ils veulent que les États-Unis les aident. La première étape consiste à régler eux-mêmes leurs problèmes.

Le Golfe n’est pas sur la même longueur d’onde en ce qui concerne les conflits dans la région. Le conflit au Yémen a été exacerbé par les politiques divergentes des Émirats arabes unis (EAU) et de l’Arabie saoudite. En Libye, depuis la chute de Mouammar Kadhafi, les Émirats arabes unis et le Qatar soutiennent des camps différents. La Syrie n’est pas si différente: les différents pays du Golfe soutiennent différents groupes, créant même des plates-formes concurrentes pour l’opposition. De plus, malgré la fin du blocus du Qatar, les Émirats arabes unis (EAU) et Bahreïn ont toujours des réserves concernant Doha.

Toutes ces questions doivent être rationalisées et résolues immédiatement. Tout le monde devrait être sur la même longueur d’onde en ce qui concerne la région afin de présenter une initiative globale à l’Iran et de s’engager avec les États-Unis en tant que partenaire approprié avec une offre concrète et réalisable.

 

Il est maintenant temps pour le Golfe de se rassembler. Il est également temps de changer l’attitude selon laquelle chaque pays cherchait à avoir des relations préférentielles avec les États-Unis par rapport aux autres pays du Golfe. Cette mentalité ne mènera nulle part. Ils doivent commencer à penser, à planifier et à agir en faisant front commun, sinon ils rateront le coche et ne pourront rien obtenir de l'administration Biden.

 

Le Dr Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes, notamment en ce qui concerne le lobbying. Elle est titulaire d’un doctorat en sciences politiques de l’université d’Exeter et est une chercheuse affiliée à l’Institut Issam Fares pour les politiques publiques et les affaires internationales à l’université américaine de Beyrouth.

 

NDRL: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur arabnews.com