Le peuple libanais pourra-t-il un jour récupérer son argent volé ?

Les banques libanaises ont continué d’opérer, malgré leur incapacité à payer les déposants (AFP).
Les banques libanaises ont continué d’opérer, malgré leur incapacité à payer les déposants (AFP).
Short Url
Publié le Lundi 28 avril 2025

Le peuple libanais pourra-t-il un jour récupérer son argent volé ?

Le peuple libanais pourra-t-il un jour récupérer son argent volé ?
  • Un espoir timide a peut-être soulagé les Libanais, qui attendent depuis des années de pouvoir récupérer leurs dépôts bancaires bloqués
  • Si cette décision a soulagé les déposants, cela ne signifie pas qu'ils pourront simplement retirer jusqu'à 100 000 dollars de leur argent

Une commission parlementaire libanaise a proposé la semaine dernière un projet de loi stipulant la restructuration du secteur financier au Liban. Un espoir timide a peut-être soulagé les Libanais, qui attendent depuis des années de pouvoir récupérer leurs dépôts bancaires bloqués. Mais, une question persiste : cette réforme sera-t-elle enfin la clé pour qu'ils récupèrent leur argent ? L'incertitude demeure sans réponse.

En effet, la commission a révélé que 84% des déposants détiennent moins de 100 000 dollars sur leurs comptes. Face à ce constat, elle a proposé une solution : les sommes inférieures ou égales à 100 000 dollars resteraient préservées sur les comptes. En revanche, tout excédent serait transformé en un titre de créance, directement lié à l'État.

Si cette décision a soulagé les déposants, cela ne signifie pas qu'ils pourront simplement retirer jusqu'à 100 000 dollars de leur argent. L'article 37 du projet de loi stipule que la mise en oeuvre de cette mesure sera suspendue jusqu'à l'adoption d'une autre loi, la loi sur le déficit financier.

Autrement dit, la loi sur la restructuration financière ne contraint pas les banques à garantir une somme de 100 000 dollars aux déposants. Elle précise seulement qu’il s’agit du montant maximum que la banque pourrait devoir à un client.

La banque peut ensuite annuler tout montant excédant ce seuil de 100 000 dollars et le convertir en titres de créance à long terme liés à l'État, et ceux-ci peuvent constituer des investissements incertains et difficiles à convertir en liquidités à un prix de marché équitable.

La crise financière qui perdure au Liban n'est pas imputable aux déposants, mais à des banquiers cupides et à des fonctionnaires corrompus. Pourtant, ce sont encore une fois les déposants qui en paient le prix. Et malheureusement, personne n'est tenu responsable, ni au sein de l'élite politique ni dans le secteur bancaire.

Depuis 2019, les banques agissent en violation de la loi. L’article 140 du Code de la Monnaie et du Crédit de 1963 impose qu’une banque en cessation de paiement soit radiée de la cote. Pourtant, les banques libanaises ont poursuivi leurs opérations, bien qu’elles ne puissent plus rembourser les déposants.

Il est également illégal que les banques aient autorisé certains déposants à retirer de l'argent de manière sélective. Plusieurs responsables politiques ont transféré d'énormes sommes d'argent, voire des milliards de dollars, vers des banques situées à l'étranger au début de la crise. Pendant ce temps, les petits déposants ne pouvaient même pas retirer quelques centaines de dollars pour faire face à leurs dépenses quotidiennes. Mais, aucune véritable enquête n'a été menée à ce sujet.

La crise financière de 2019 au Liban rappelle fortement celle qu’a traversée l’Islande en 2008. Dans les deux cas, les signes étaient identiques : un secteur bancaire disproportionné par rapport au produit intérieur brut. La cupidité des banques était un facteur commun dans les deux pays. Cependant, la différence majeure réside dans la gestion de la crise par les deux États. Alors que l’Islande a réagi rapidement, en adoptant sans délai une loi d’urgence pour confier la supervision des banques à l'Autorité de surveillance financière, le Liban, lui, est resté paralysé. L'Islande a ainsi lancé une enquête pour déceler toute fraude, ce qui a conduit à l'inculpation, la condamnation et l'emprisonnement d'une trentaine de banquiers.

La crise financière qui perdure au Liban n'est pas imputable aux déposants, mais à des banquiers cupides et à des fonctionnaires corrompus.

- Dr. Dania Koleilat Khatib

Au Liban, aucun banquier n’a fait l’objet de poursuites judiciaires, car les responsables ont pu compter sur un soutien politique.

Les banques islandaises ont été placées sous séquestre ou menacées de liquidation. Leurs actionnaires ont subi la majeure partie des pertes. Les actifs des banques ont été répartis entre les déposants, la priorité étant donnée aux clients nationaux. Autrement dit, les déposants étaient la priorité absolue.

Ce n’est certainement pas ce qui s’est passé au Liban, où ce sont les déposants qui ont dû renflouer les banques. Cependant, malgré le fait que cette nouvelle loi soit saluée par de nombreux acteurs, les banques libanaises la dénoncent, recourant aux médias pour en ternir la réputation. Elles refusent d’assumer toute responsabilité dans cette crise.

Les banques bénéficient de la protection d'une classe politique corrompue. La corruption du gouvernement a été financée par le secteur bancaire. Les banques ont utilisé les dépôts des clients pour financer le gouvernement ; elles ont trompé les déposants en leur versant des taux d'intérêt élevés, puis ont placé leur argent dans des obligations de la banque centrale, une stratégie très rentable et présentant très peu de risques pour les banques. La banque centrale a, à son tour, accordé au gouvernement des prêts qui ont été gaspillés par la corruption.

Les banques sont responsables de toue cette corruption : elles n’ont pas fait des intérêts des déposants leur priorité et ont plutôt accordé des prêts au gouvernement, ce qui leur a permis de gagner plus d’argent, rapidement et facilement.

Les banques ont tenté de rejeter la faute sur d’autres. Elles ont pointé du doigt l’organisation de la société civile « Kulluna Irada », et un groupe de pression qui a milité en faveur de réformes financières. Elles accusent le groupe d’avoir diffusé des rumeurs ayant déclenché une panique bancaire, ce qui les a empêchées de rembourser les déposants. Les médias, étroitement liés au secteur bancaire, ont alors sali l’image de l’organisation.

Elles ont même propagé une théorie du complot suggérant que l’organisation « Kulluna Irada » a été financée par la « gauche mondiale » et le milliardaire américain George Soros. C’est inconcevable. Après toutes leurs opérations douteuses et malhonnêtes, si évidentes pour la plupart des observateurs, les banques ont osé imputer la responsabilité de tout cela à une conspiration internationale de gauche, Soros et ses Fondations pour une Société Ouverte. C'est une insulte à l'intelligence du peuple libanais.

Le statu quo est très avantageux pour la classe politique et les banques. Cependant, elles ne peuvent plus ignorer la crise financière et le vol des dépôts bancaires, ni faire comme si de rien n'était. Le Fonds monétaire international a exigé d'importantes réformes financières pour assainir le secteur bancaire libanais avant que des milliards de dollars d'aide financière ne puissent être débloqués pour venir en aide à ce pays. Cependant, tant que la classe politique protégera la classe bancaire, aucune véritable réforme ne sera mise en œuvre.

La nouvelle loi de restructuration, suspendue jusqu'à l'adoption d'une loi sur le déficit financier, n'est pas une solution. C'est une illusion juridique. Sans loi sur le déficit financier, elle permet aux banques en faillite de passer l'épargne, de rester ouvertes malgré leur insolvabilité et d'échapper à toute responsabilité.

Cette loi ne prévoit aucune garantie, aucun délai et aucune restitution. Les déposants devront encore renflouer les banques, et il est fort à parier qu’ils ne récupéreront qu’une petite portion de l’argent qu’ils ont mis tant d’efforts, voire d’années, à économiser.

La Dr Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes, et plus particulièrement du lobbying. Elle est présidente du Centre de recherche pour la coopération et la construction de la paix, une organisation non gouvernementale libanaise axée sur la voie II.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.


Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com