Une fois encore, Aung San Suu Kyi est confrontée aux mêmes circonstances qui ont déterminé sa vie par le passé : elle est arrêtée par le gouvernement militaire de son pays. Cependant, la situation est cette fois-ci bien différente. Aung San Suu Kyi n'est plus perçue comme l'icône mondiale de la démocratie et des droits de l'homme, et peu de personnes, au-delà de la Birmanie, militeront pour sa libération avec l'énergie et le zèle qui les animaient autrefois. Si elle reste populaire en Birmanie, ceci ne se traduira probablement pas par une inversion du coup d'État militaire.
En revanche, la problématique qui entoure Mme Suu Kyi est qu'elle a semblé renoncer à toutes les valeurs que le monde entier croyait qu'elle défendait tout au long des six années qu'elle a passées à la tête du gouvernement civil. Vient tout d'abord la façon dont elle a défendu l'armée birmane, le Tatmadaw, dans son action contre les Rohingyas. Son parti, la Ligue nationale pour la démocratie (NLD), a par la suite retiré le droit de vote à la quasi-totalité des Rohingyas encore présents dans le pays, et ce à la veille des élections législatives de novembre dernier.
En outre, son gouvernement a conservé toutes les lois qui visaient à réprimer la discorde et le pluralisme démocratique, adoptées par les gouvernements militaires précédents : les lois sur les médias, les lois sur les groupements politiques et les lois qui définissaient les «dangers pour l'État» de façon tellement large qu'elles permettaient de bannir la plupart des forces politiques rivales. La Ligue nationale pour la démocratie (NLD) a contesté le contrôle que l'armée exerçait sur certaines bureaucraties de l'État et sur le discours du dirigeant légitime du pays. Toutefois, elle n'a pas contribué à engager l'État et la société dans une véritable évolution démocratique. Au lieu de se lancer dans la construction d'une culture démocratique large et résistante dans le pays, la Ligue nationale pour la démocratie a cherché avant tout à léguer le pouvoir du Tatmadaw à une seule personne : Suu Kyi.
Ainsi, Suu Kyi est désormais victime de ses propres manigances. Il est tout à fait judicieux que la Ligue nationale pour la démocratie ait cherché à arracher davantage de pouvoir au Tatmadaw. C'est la seule façon de faire avancer le pays sur la voie de la démocratie - mais c'est précisément ce qui a finalement amené le Tatmadaw à organiser le coup d'État. En confiant à Suu Kyi tout le pouvoir qu'ils ont arraché au Tatmadaw, ils ont conféré à la démocratie en Birmanie un «facteur d'autobus» : Pour anéantir de manière efficace la « démocratie » en Birmanie, le Tatmadaw devait simplement arrêter une personne.
La démocratie en Birmanie n'est pas synonyme de «pouvoir du peuple» et elle ne le sera jamais
Dr. Azeem Ibrahim
A la suite du coup d'Etat militaire, on s'attendait à ce que les Birmans se soulèvent pour résister aux militaires et inverser le coup d'Etat. Mais rien ne s'est produit au cours des deux semaines qui ont suivi. En effet, la démocratie en Birmanie n'est pas synonyme de « pouvoir du peuple » et elle ne le sera jamais. La démocratie en Birmanie ne se traduit que par le pouvoir de Suu Kyi et de la Ligue nationale pour la démocratie (LND), qui lui obéit. Maintenant qu'ils sont tous en prison, aucune démocratie ne viendra à leur secours. Aucune «société civile démocratique» ne parviendra à se mobiliser et à s'organiser pour résister à la prise de pouvoir par les militaires. D'ailleurs, cette société civile fait défaut, dans la mesure où Suu Kyi, ainsi que la Ligue nationale pour la démocratie (LND), l'ont empêchée de se développer et de prospérer, comme l'avaient fait auparavant les juntes militaires.
Les perspectives restent donc sombres pour la Birmanie. La situation restera probablement obscure même si le coup d'État est inversé, d'une manière ou d'une autre. Quant à Suu Kyi, les perspectives ne sont pas non plus très prometteuses. Elle reste populaire à l'intérieur du pays, mais les Birmans sont incapables de s'organiser sans elle et sans la LND pour la reconduire au pouvoir.
Il est probable qu'elle restera isolée dans un futur proche. Même si elle n'est pas encore anéantie sur le plan politique, elle le sera à quelques mois ou quelques années de sa détention, comme il est prévu. De toute façon, les espoirs de démocratie en Birmanie ne reposent plus sur elle. La démocratie ne sera instaurée en Birmanie que si une nouvelle génération de dirigeants parvient à tirer les leçons des erreurs du passé et à prendre de meilleures décisions.
Le Dr Azeem Ibrahim est directeur au Centre pour la politique globale et auteur de l'ouvrage « The Rohingyas : Inside Myanmar's Genocide » (Hurst, 2017). Twitter : @AzeemIbrahim
Il s’agit du résumé analytique du rapport de recherche du Dr Azeem Ibrahim pour l’Unité de recherche et d'études d’Arab News
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.