La Tatmadaw (l’armée birmane) avait menacé la semaine dernière de reprendre le pouvoir et de «protéger la Constitution» si elle n’obtenait pas de réponse à ses préoccupations concernant la fraude électorale.
Pourtant, ce week end, l'armée semblait avoir changé d'avis et annonçait par l'intermédiaire de son porte-parole officiel que ses propos avaient été mal interprétés, affirmant: «Certaines organisations et médias se sont trompés sur ses intentions, en écrivant que la Tatmadaw abolirait la Constitution.»
La menace d'un coup d'État ayant diminué, nombreux sont ceux qui ont poussé un soupir de soulagement. Et puis la nouvelle est tombée lundi matin: la conseillère d’État Aung San Suu Kyi, le président Win Myint, et un groupe d'autres dirigeants politiques ont été arrêtés par la Tatmadaw et l'état d'urgence a été déclaré dans le pays.
Le moment choisi est étrange. Des raids ont eu lieu, à l’aube, quelques heures avant l'ouverture prévue d'une nouvelle session du Parlement, la première depuis les élections législatives de novembre. Le parti de la Ligue nationale pour la démocratie (NLD) d’Aung San Suu Kyi a remporté ces élections avec une forte majorité, obtenant 396 des 476 sièges à la Chambre des représentants et à la Chambre des nationalités.
Alors qu’Internet et les services de communication étaient interrompus, l'armée a publié un communiqué indiquant que le pouvoir avait été transmis au chef de l'armée Min Aung Hlaing. Aucune déclaration n'a été faite par Aung San Suu Kyi. Le lieu et les conditions de sa détention sont toujours inconnus à l’heure où nous écrivons ces lignes.
Bien que l'armée ait prétendu que la «fraude électorale» et la «protection de la Constitution» étaient les principales motivations du coup d'État, des questions importantes se posent sur ce qui l’a déclenché et le timing décidé par les généraux birmans.
Le système politique actuel semble être favorable à l'armée. Il a été, en fait, conçu par l'armée pour s'assurer qu'elle conservait son plein pouvoir avec une apparence de démocratie pour rassurer les puissances occidentales et éviter les sanctions. Malgré l'autorisation d'élections, l'armée a automatiquement conservé 25% des sièges parlementaires et contrôlé les principaux ministères de la Défense, des Frontières, de l'Intérieur et des Affaires étrangères.
Cela a permis aux chefs militaires de continuer à persécuter les minorités dans l’une des plus longues guerres civiles au monde, tout en s'enrichissant considérablement grâce à la corruption. Ils possédaient le Saint Graal de la politique: un pouvoir sans aucune responsabilité. Quel intérêt avaient-ils donc à remettre en cause un tel système ?
Il existe plusieurs explications possibles. La première est que l'armée peut avoir conclu que malgré ses efforts inlassables, la NLD devenait beaucoup trop populaire, et qu’une nouvelle Birmanie qui ne pourrait plus lui être favorable émergeait lentement.
Bien que l'armée ait prétendu que la «fraude électorale» et la «protection de la Constitution» étaient les principales motivations du coup d'État, des questions importantes se posent sur ce qui l’a déclenché et le timing décidé par les généraux birmans.
Cette menace n’est pas celle qui est la plus imminente, mais en la laissant s’amplifier, elle pourrait devenir un danger plus redoutable, diluant l’autorité de l’armée, alors que les Birmans exigent davantage de droits et se posent davantage de questions sur la corruption, les informations sur le sujet se multipliant.
L'armée a peut-être fait le calcul qu'il ne servait à rien de conserver cette apparence de démocratie renforçant continuellement la stature et l'autorité d'Aung San Suu Kyi et de son parti, alors qu’elle peut reprendre quand elle le souhaite le contrôle total du pays et mettre fin à ce simulacre.
La réaction de la communauté internationale aura également été atténuée. Les sanctions qui ont forcé l'armée à envisager la «démocratisation» sont une chose que la Tatmadaw ne souhaite pas revoir. Mais quelle serait l'efficacité de telles sanctions aujourd'hui?
Les généraux ont peut-être estimé qu’avec la Chine résolument à leurs côtés, au sens propre comme au figuré, leur avenir économique était assuré, les sanctions étant facilement neutralisées par l'importante puissance d'investissement de Pékin. Par ailleurs , la junte militaire ne s’attend pas à ce que l’ONU prenne des mesures importantes, tant que le veto de la Chine est à portée de main au Conseil de sécurité.
Après tout, la Chine n’a jamais blâmé l’armée, même après que celle-ci s’est engagée dans un génocide ouvert contre la minorité rohingya, de sorte qu'ils puissent continuer à compter sur son soutien.
La Birmanie n'a jamais été une vraie démocratie, et Aung San Suu Kyi n'a jamais été une vraie démocrate. Même ses plus fervents partisans en Occident sont restés sans voix lorsqu'ils l'ont vue se présenter à la Cour internationale de justice de La Haye en décembre 2019, et justifier les actions génocidaires contre les Rohingyas.
La lauréate du prix Nobel de la paix est alors définitivement tombée en disgrâce. Ce qui va être le plus intéressant à observer, c’est la manière dont le nouveau président américain, Joe Biden, décidera de gérer cette situation. Ce sera son premier véritable test de politique étrangère, la question étant donc de savoir s'il défendra Aung San Suu Kyi et commettra les mêmes erreurs que le président Barack Obama, ou s'il plaidera plutôt pour une véritable réforme démocratique, avec de vrais démocrates.
Le Dr Azeem Ibrahim est directeur au Center for Global Policy et auteur de l’ouvrage The Rohingyas: Inside Myanmar’s Genocide (Hurst, 2017).
Twitter: @AzeemIbrahim
NDLR : Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur arabnews.com