En ces termes brutaux, «ni repentir ni excuses», Emmanuel Macron a souligné sa position sur la guerre d’Algérie et sur les méfaits de la colonisation. Le président français s’est au contraire prononcé en faveur d’«actes symboliques» visant à promouvoir la réconciliation, selon un communiqué de l’Élysée.
La guerre d’indépendance qui a duré huit ans – le nombre de victimes algériennes est estimé à un million de morts – a vu la population sacrifier sa vie pour mettre un terme à une occupation détestable qui a duré cent trente-deux ans. Cet événement est toujours une épine dans les relations entre les deux pays et dans les liens qu’entretient la France avec ses citoyens d’origine algérienne. Emmanuel Macron est d’ores et déjà confronté à une situation difficile avec la communauté arabo-musulmane en France, dont la plupart des représentants sont d’ascendance algérienne. Comment compte-t-il se réconcilier avec les 5,7 millions de musulmans en France, qui représentent plus de 8 % de la population? La question reste entière.
Au cours de sa campagne présidentielle, Emmanuel Macron s’est présenté comme un candidat centriste qui offrait un compromis acceptable entre l’extrême droite représentée par Marine Le Pen et l’extrême gauche représentée par Jean-Luc Mélenchon, à plus forte raison après que François Fillon, ancien Premier ministre et candidat du centre droit, a dû quitter la course sur fond d’affaires de corruption. Pour les citoyens français d’origine maghrébine, le candidat Macron représentait un bol d’air frais. Lors de la campagne de 2017, au cours d’un entretien accordé à une chaîne de télévision algérienne, il avait même qualifié la colonisation française de «crime contre l’humanité». Cependant, avec le temps, le président Macron a compris que, dans une société polarisée, un centriste risquait de perdre ses appuis des deux côtés du spectre politique. Il a donc opéré un virage à droite, tandis que l’opinion publique, à la suite d’une série d’attentats terroristes, tenait contre l’islam des positions de plus en plus radicales.
À la suite de la décapitation du professeur Samuel Paty à Paris en octobre dernier, le président Macron a prononcé une allocution dans laquelle il a déclaré que l’islam était une religion en crise dans le monde entier et accusé les musulmans français de séparatisme. La dimension idéologique de son discours a été perçue comme une offense grave par les musulmans et a nourri leur sentiment d’ostracisme de la République française. Un pays qui les considère comme séparatistes dès lors qu’ils voudraient entretenir le moindre lien avec leur passé et un gouvernement qui voudrait les dissoudre dans le bain d’une culture occidentale, étrangère et laïque, ne peut pas vraiment être considéré comme un État ou un gouvernement qui les représenterait. Une étude menée par YouGov et Arab News, publiée en novembre dernier, portant sur 958 participants sur tout le territoire français, a révélé que les citoyens français d’origine arabe, même lorsqu’ils se sont bien adaptés au mode de vie du pays, se sentent exclus et stigmatisés.
Même lorsqu’ils sont bien adaptés au mode de vie du pays, les citoyens français d’origine arabe se sentent exclus et stigmatisés.
Dr. Dania Koleilat Khatib
Cependant, la méthode d’intégration de force prônée par Emmanuel Macron et son attitude condescendante ont eu l’effet opposé. Le président ferait bien de s’interroger sur son objectif. S’agit-il d’inciter les musulmans français à adhérer au système français ou de plaire à l’extrême droite? S’agit-il d’intégrer les musulmans français dans la société ou de les isoler dans des ghettos de banlieue? Ce n’est pas le fait de leur refuser leur patrimoine qui les rendra plus français. Ce n’est pas le déni des crimes perpétrés contre leurs ancêtres et le rejet pur et simple de la responsabilité de la France dans les atrocités de la guerre d’indépendance algérienne qui va les rendre reconnaissants envers la République française. Si le but d’Emmanuel Macron est de se réconcilier avec les musulmans de France, alors la reconnaissance doit primer. La réconciliation ne s’obtient pas sous la contrainte. La reconnaissance des erreurs du passé et la capacité à accepter l’«autre» avec ses spécificités sont les premiers pas à faire pour trouver un terrain d’entente sur lequel construire un avenir plus juste.
Mais la question, à nouveau, se pose: pourquoi les Français musulmans s’identifient-ils plus à leur pays d’origine qu’à la France? C’est parce que le système français n’est pas assez souple pour accepter en son sein des gens de principes, d’habitudes et d’apparence différentes. Reconnaître leur passé et leurs souffrances, c’est participer à leur intégration. L’attitude arrogante qui voudrait effacer leur passé et rejeter leurs doléances ne fera qu’intensifier leur sentiment d’aliénation. Bien sûr qu’en tant que citoyens français il est légitime qu’ils se sentent français avant tout. Mais ce sentiment d’appartenance, ils ne le connaîtront que lorsque le système français les acceptera, qu’il les intégrera totalement à la culture du pays et reconnaîtra la diversité culturelle à l’œuvre dans la société française.
Cette insistance du président Macron sur le «non-repentir» ne touche pas uniquement les Français musulmans mais la santé mentale de la société française dans son ensemble. Cette attitude va banaliser le chauvinisme et mettre dans l’ombre les droits de l’homme dont la république française se fait le chantre, en réveillant un sentiment de suprématie nationaliste. Quel enseignement pour la jeunesse française? Qu’apprendra-t-elle au sujet des droits de l’homme? Rien. Au contraire, elle prendra une leçon de fierté aveugle ou, plus vraisemblablement, d’arrogance. Elle apprendra que, quoi qu’elle fasse subir à d’autres nations, ce sera considéré comme acceptable, et qu’elle aura le droit de piétiner les droits des autres nations. C’est là une déplorable leçon d’instruction civique.
La reconnaissance n’entraîne pas la culpabilité. Au contraire, elle soulagera la conscience collective des Français de sa culpabilité. C’est une expression de courage et de force face à son passé et à ses failles, ainsi qu’un encouragement à l’accepter et en tirer des enseignements. Nier les crimes commis contre les Algériens ne grandira pas la France en tant que pays, pas plus que cela ne permettra à l’histoire d’effacer cet épisode. Les doléances et l’amertume doivent être surmontées. Mais cela ne se fera pas sans une discussion franche. Le déni n’arrangera pas les relations entre les Algériens de France et la France. Le président Macron devrait prendre conscience que des «actes symboliques» n’y feront rien. Seule la reconnaissance permettra la réconciliation.
Le Dr. Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations entre les États-Unis et le monde arabe, notamment en ce qui concerne les réseaux d’influence. Elle est cofondatrice du Centre de recherche pour la coopération et la paix, une ONG libanaise qui travaille sur Track II. Elle est aussi chercheuse affiliée à l'Institut Issam Fares pour les politiques publiques et les affaires internationales à l'université américaine de Beyrouth.
Avertissement: les points de vie exprimés dans ces colonnes n’engagent que la responsabilité de leurs rédacteurs et ne correspondent pas nécessairement à l’opinion d’Arab News.