Les faits sont incontestables : Après une campagne sur plusieurs décennies visant à déshumaniser la minorité Rohingya en raison de sa religion, de sa langue et de la couleur de sa peau, les forces armées du Myanmar ont chassé les trois quarts des Rohingyas de leur terre natale et les ont repoussés vers le Bangladesh. En l'espace de six mois au cours de l'année 2017-18, ils ont mené des opérations dites de « nettoyage ».
À chaque fois qu'ils sont dénoncés par les médias internationaux, les dirigeants du Myanmar - y compris l'ancienne lauréate du prix Nobel de la paix, la secrétaire d'État Aung San Suu Kyi - revendiquent leur souveraineté et leur droit d'agir. Ils vont jusqu’à refuser de reconnaître l’existence des Rohingyas. Et pourtant, nous les voyons bien, et leur existence en tant que groupe autochtone indépendant a été documentée avant même qu'un certain empire occidental n'annexe la région. Voilà que la Cour internationale de justice (CIJ) statue aujourd'hui sur l’affaire de leur persécution.
On ignore donc pourquoi l'administration Trump s'est abstenue de les placer dans la catégorie appropriée. Probablement parce qu’on ne lance pas de pierre à quelqu’un quand on vit dans une maison de verre. Ou probablement parce que cette administration ne désirait pas accorder davantage de crédibilité à l'ordre international qui juge et assure la mise en œuvre de ce genre de décisions dans le cadre du système des Nations unies. En effet, elle a cherché inlassablement à saper cette institution par d'autres moyens.
Biden, tout comme son secrétaire d'État, Antony Blinken, sont des internationalistes engagés qui respectent le droit international et les droits de l'homme.
Dr. Azeem Ibrahim
Ces facteurs ne devraient pas empêcher l'administration Biden de dresser la position de leur pays, et ils iront probablement dans cette direction. Biden, tout comme son secrétaire d'État, Antony Blinken, sont des internationalistes engagés qui respectent le droit international et les droits de l'homme. Par conséquent, on prévoit que la position des États-Unis concernant le dossier des Rohingyas sera assujettie à la décision de la Cour internationale de justice (CIJ) lorsqu’elle tranchera dans cette affaire.
En attendant, il est probable que Washington qualifiera la crise des Rohingyas de génocide, ne serait-ce que par prudence : des centaines de milliers de Rohingyas se trouvent actuellement au Myanmar, dont la plupart vivent dans des conditions précaires, dans des camps de déplacés internes, et ils attendent que la communauté internationale prenne une position ferme pour garantir leur sécurité.
Si Washington agit de la sorte, la population rohingya tout entière, et notamment ceux qui vivent dans les camps de réfugiés au Bangladesh, en subira les conséquences immédiates. Elle amènera d'autres puissances mondiales à se prononcer, notamment les pays européens. Jusqu'à présent, ceux-ci ont été réticents à faire pression sur les autorités du Myanmar, tout en espérant que le pays continuera à progresser dans d'autres domaines, notamment dans sa transition vers la démocratie.
Ainsi, les fonds alloués par les États-Unis et l'Europe commenceront à affluer vers les camps de réfugiés au Bangladesh. Les autorités de Dacca obtiendront enfin l’aide financière indispensable pour alléger les pressions auxquelles elles sont confrontées depuis le début de la crise des réfugiés.
En outre, ceci limitera considérablement les capacités de manœuvre du gouvernement du Myanmar, qui sera contraint à introduire des améliorations immédiates, tout au moins pour ce qui est des conditions de vie des Rohingyas restés dans le pays. Il devra également envisager, plus sérieusement, une solution à long terme à la situation des Rohingyas, une situation qu'il a lui-même créée. S’il s’abstient de le faire, il risque de se retrouver à nouveau isolé comme il l'a été au cours des dernières décennies, sauf que cette fois-ci, il serait confronté à la menace supplémentaire d'une dépendance politique et économique excessive à l'égard d'un Pékin autoritaire.
Quoi qu'il en soit, la nouvelle annoncée par la nouvelle équipe à Washington mérite d’être saluée. Encore une fois, de telles situations sont délicates et comportent des risques inhérents. Cependant, nous devons nous attendre à ce que l'intervention de l'administration Biden entraîne une amélioration des conditions de vie des Rohingyas dans un avenir relativement proche.
Le Dr. Azeem Ibrahim est directeur au Centre pour la politique globale et auteur de l'ouvrage « The Rohingyas : Inside Myanmar's Genocide » (Hurst, 2017). Twitter : @AzeemIbrahim
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur arabnews.com