L’Arabie Saoudite communique beaucoup sur ses réformes économiques, sociales, sur son plan stratégique Vision 2030 et sur les gigantesques investissements que le Royaume souhaite lancer pour passer à l’ère de l’après-pétrole. Ce sujet a déjà bien été discuté et prend forme petit à petit avec, comme c’est souvent le cas pour les projets au long cours, des ajustements dus aux aléas économiques, géopolitiques et, depuis 2020, sanitaires.
Toutefois, peu d’éléments permettent de rendre compte de façon qualitative de l’état d’esprit de la classe moyenne saoudienne composée de jeunes managers ayant fait des études. Il est en effet essentiel qu’un projet de réforme qui s’apparente, notamment pour son volet d’émancipation des femmes, à un changement profond de la société soit non seulement connu, non seulement accepté, mais aussi accompagné par le public concerné.
Associate Professor à l’Arabian Gulf University et directeur de la French Arabian Business School, je dirige notamment le Master of Business Administration proposé sur Bahreïn en partenariat avec l’ESSEC.
Cette formation en est à sa neuvième promotion de managers ressortissants des pays du GCC et, concernant les Saoudiens, leur arrivée a commencé en 2016, puis ils sont devenus majoritaires dans le programme en 2019. Cela dénote d’abord d’un besoin de se former qui correspond exactement à l’annonce du plan stratégique Vision 2030. Avant cela et malgré la proximité géographique entre les deux pays, les managers saoudiens ne venaient pas se former.
Si l’objectif des réformes est de créer un sentiment d’appartenance et d’entrainer la jeunesse à s’engager pour elles, force est de constater que cela semble fonctionner.
Lorsque la question leur est posée lors de l’entretien d’admission, leur principale motivation, hommes et femmes confondus, est de « profiter des opportunités » liées aux réformes et notamment à la saoudisation des emplois ainsi qu’à leur féminisation. Hanan, responsable marketing dans une grande entreprise de Dammam, nous l’explique : « Quand j’ai passé mon bachelor en 2008, beaucoup de métiers étaient fermés aux femmes, j’ai donc choisi une formation en biologie pour pouvoir devenir professeur, mais très vite les métiers du secteur privé se sont ouverts et j’ai intégré une entreprise de la région. J’ai besoin de cette formation pour rattraper ce que je n’ai pas pu acquérir à l’université ».
C’est une des caractéristiques des femmes saoudiennes, du MBA, celles qui ont plus de 30 ans ont souvent un diplôme qui ne correspond pas à leurs aspirations, puisque correspondant à une époque où elles ne pouvaient pas accéder à tous les secteurs. On retrouve des diplômées de bachelor en Littérature anglaise, en soins infirmiers, en management de la santé… qui se retrouvent désormais dans de belles entreprises privées et à qui il manque une formation solide pour pouvoir progresser.
Elles investissent donc des sommes parfois importantes pour s’adapter au changement et, elles le disent souvent, pour « aider leur pays ». Ainsi, sur les 15 dernières admises, seules cinq ont un bachelor en marketing, ou en « business administration ».
Parmi ces femmes, on retrouve notamment des profils de cadres dirigeants. Sara par exemple, qui, forte d’un bachelor en nutrition, dirige les ressources humaines d’une holding de plusieurs milliers de salariés et qui vient d’être diplômée du MBA.
Cette volonté de changer et d’accompagner les réformes en allant chercher à 30 ou 40 ans de nouvelles compétences montre à quel point le message passe auprès de cette population.
On le vérifie également au cours des entretiens enregistrés dans le cadre de mon dernier livre « La Femme est l’avenir du Golfe ». Sur les 10 femmes cadres saoudiennes interrogées, toutes citent le plan Vision 2030, ou plus directement, les réformes du Prince héritier et leurs conséquences en matière d’émancipation des femmes. Or, le questionnaire n’a pas du tout pour objectif de les faire parler de cela : il a pour but de les faire parler d’elles-mêmes, des valeurs qui sont les leurs, de leur rapport à la société, à la culture et à la religion.
Ainsi lors de ces conversations enregistrées, le terme « Vision 2030 » ou celui de « Reformes », de « Prince héritier » reviennent systématiquement chez toutes les femmes interrogées.
Les autres femmes interrogées, bahreïniennes, koweitiennes ou émiraties, ne mentionnent d’ailleurs jamais le changement ou les réformes dans leur propre pays, pas plus que leurs dirigeants, non pas parce qu’elles ne les apprécieraient pas, mais parce qu’elles n’associent pas spécialement leur destin individuel à celui d’éventuelles réformes et surtout parce qu’elles répondent de manière plus précise au questionnaire.
L’échantillon n’est bien entendu pas représentatif, mais il montre que la notion de réforme, de changement, de stratégie est désormais une part de la motivation individuelle des jeunes cadres saoudiennes. Si l’objectif des réformes est de créer un sentiment d’appartenance et d’entrainer la jeunesse à s’engager pour elles, force est de constater que cela semble fonctionner.
Arnaud Lacheret est Docteur en science politique, Associate Professor à l’Arabian Gulf University de Bahreïn où il dirige la French Arabian Business School, partenaire de l’Essec dans le Golfe. Il est l’auteur de « La femme est l’avenir du Golfe » paru aux éditions Le Bord de l’Eau.
Twitter: @LacheretArnaud
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.