Le Liban est-il condamné à une dérive éternelle ?

Un mendiant en fauteuil roulant à un feu rouge dans une rue de Beyrouth, le 16 janvier 2021, La capitale libanaise subit un verrouillage total en raison de la pandémie de coronavirus.  (Anwar Amro/AFP)
Un mendiant en fauteuil roulant à un feu rouge dans une rue de Beyrouth, le 16 janvier 2021, La capitale libanaise subit un verrouillage total en raison de la pandémie de coronavirus. (Anwar Amro/AFP)
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Publié le Dimanche 17 janvier 2021

Le Liban est-il condamné à une dérive éternelle ?

Le Liban est-il condamné à une dérive éternelle ?
  • Aujourd’hui, bientôt 6 mois après l’explosion dramatique du 4 aout, le Liban n’a guère avancé sur la voie de la reconstruction immobilière ou institutionnelle
  • La réalité est que personne ne pourra, depuis le Liban, le reformer ni faire face aux milices qui risquent à tout moment de s’attaquer à tous ceux qui veulent mettre un terme à leurs privilèges

Depuis le 4 août 2020, date de la tragédie du port de Beyrouth, de nombreuses bonnes fées se sont penchées sur le berceau du Liban à l’agonie, agonie lente et si profondément inscrite dans son histoire contemporaine que nombreux sont ceux qui ignorent que ce fut dans le passé un pays en paix et prospère, la Suisse du Moyen-Orient.

Beaucoup a été écrit sur les causes de cette dérive, confessionnalisme exacerbé, corruption et gouvernance aléatoire, le pays est de surcroît le terrain de prédilection des luttes intestines de ses puissants et vampiriques voisins. Je ne veux pas y revenir.

Aujourd’hui, bientôt 6 mois après l’explosion dramatique, le Liban n’a guère avancé sur la voie de la reconstruction immobilière ou institutionnelle.

On prend les mêmes et on recommence avec, cette fois, en plus de toutes les crises sociales et économiques, la crise sanitaire liée à la Covid qui frappe le pays.

Montesquieu avait écrit « Comment peut-on être Persan ? ».

Aujourd’hui, la question que l’on peut se poser est comment peut-on être Libanais ?

Je veux dire un vrai Libanais, celui des rues Haret Hreik ou Dahié, chiite ou sunnite ou maronite, peu importe ; pas un oligarque, pas le membre d’une élite à double ou triple nationalité qui vit en dehors du pays et affiche sa fortune dans les rues d’Achrafieh.

C’est pour eux qu’il faut trouver une solution viable, pour eux et pour la région car le Liban, il ne faut jamais l’oublier, est une plaque tournante pour sa stabilité.

Au vu de ce constat, il est illusoire de  penser que l’on puisse régler le problème du Liban depuis le Liban.

Et c’est avec intérêt qu’il faut suivre la démarche d’un Libanais vivant à Paris, Omar Harfouch. En fait, cet homme d’affaires a lancé le pari un peu fou de constituer un gouvernement de l’exil.

Son constat est sans appel : le Liban est gouverné par au moins 6 oligarques. Chacun d’eux draine dans son sillage au moins 60000 « suiveurs », plutôt courtisans ou obligés alimentaires  qui auront obtenu grâce à leurs puissants protecteurs, qui un travail, qui un poste dans l’administration ou qui un logement pour eux et leurs descendants.

En plus de cette caste des grands oligarques, il y a aussi des gens importants qui, députés ou ministres, hommes d’affaires cumulards et avisés, répètent ce même schéma de courtisans et d’obligés alimentaires.

Tous ceux-là, on le comprend aisément, n’ont aucun intérêt à changer le système qui se poursuit de générations en générations, sorte d’hérédité de la médiocrité et de la courtisanerie.

Ce schéma, dénoncé courageusement par Omar Harfouch, est en fonction depuis l’indépendance du Liban.

Mais ce lanceur d’alerte n’est ni un illuminé ni un naïf. Il propose aussi un programme d’actions immédiates dont le but est clairement de redonner confiance aux Libanais épuisés.

La réalité est que personne ne pourra, depuis le Liban, le reformer ni faire face aux milices qui risquent à tout moment de s’attaquer à tous ceux qui veulent mettre un terme à leurs privilèges et les faire disparaître car trop gênants pour leurs affaires.

Omar Harfouch agite alors les réseaux sociaux et multiplie les déclarations.

Sa vidéo a fait plus d’un million de vues rien que sur Facebook, et il lance une pétition sur change.org.

Les premières mesures proposées sont évidemment financières : la mise sous tutelle de la banque centrale, le gel des avoirs des oligarques à l’étranger, la mise en place d’une autorité de la transparence de la vie publique avec obligation de déclaration de patrimoine sur le modèle de la Haute Autorité de la Transparence de la Vie Publique française. Omar Harfouch a d’ailleurs rencontré son président, Didier Migaud, pour préparer une coopération.

Viennent ensuite les mesures avec les institutions financières, un accord avec le FMI et une conférence des donateurs qui sera cette fois sous contrôle pour éviter qu’une fois encore la générosité internationale ne finance pas la corruption !

Cette lutte contre la corruption servira à financer la lutte contre la pauvreté qui est réelle et tragique au Liban.

Viendra ensuite le temps de la démilitarisation et de la fin des milices privées.

Le président Macron a échoué car il a basé sa politique sur les lambeaux survivants et corrompus du pays, au lieu de rechercher des personnalités nouvelles.

Ce faisant, il n’a pas pu obtenir l’adhésion d’un peuple à bout de souffle et d’espoir dans la classe politique.

Le président a « oxygéné » et restauré les grandes familles comme celle du président Hariri, prolongeant ainsi l’agonie du pays.

Après le choc des mesures financières immédiates, il faudra aussi des mesures institutionnelles et l’avènement d’une Troisième République laïque, un nouveau mode de scrutin, suffrage universel et une nouvelle organisation.

Le lecteur doit comprendre que les élus libanais n’ont de légitimité que celle que la légitimité du bakchich.

Gouvernance débarrassée de la corruption et exemplarité des élus, c’est à ce prix que le Liban retrouvera sa place dans le concert des Nations et que les libanais, privés depuis trop longtemps de toute espérance de changement, écrasés par le poids de la corruption à tous les étages et du confessionnalisme retrouveront la confiance dans leur pays et leurs dirigeants. Et si Monsieur Harfouch avait trouvé la voie de ce sauvetage ?

 

Nathalie Goulet est sénatrice de l'Orne. Twitter: @senateur61

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.