Dernière chance pour le Liban, un pays en guerre contre lui-même

Des soldats libanais inspectent le site près d'un véhicule incendié qui aurait été touché par une frappe israélienne à Ghazieh. (AFP)
Des soldats libanais inspectent le site près d'un véhicule incendié qui aurait été touché par une frappe israélienne à Ghazieh. (AFP)
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Publié le Lundi 21 avril 2025

Dernière chance pour le Liban, un pays en guerre contre lui-même

Dernière chance pour le Liban, un pays en guerre contre lui-même
  • L’idée défendue par une partie importante de la société libanaise, la guerre oppose principalement le Liban au Liban.
  • Aujourd'hui, plus d'un siècle après la création du Grand Liban et près de 80 ans après son indépendance, le Liban se trouve à nouveau à la croisée des chemins.

Depuis des années, je défends l’idée que le Liban est en guerre depuis 1975, peut-être même avant. Contrairement à ce que beaucoup pensent, la paix ne s’est jamais véritablement instaurée en 1990. L’accord de Taëf a certes mis fin aux conflits, mais il a surtout instauré un cessez-le-feu prolongé, fondé sur une formule de coexistence qui, malgré ses intentions, s’est souvent révélée incapable de surmonter les profondes divergences nationales, régionales et internationales.

Malgré l’idée défendue par une partie importante de la société libanaise, la guerre oppose principalement le Liban au Liban : un pays qui n'est pas en paix avec lui-même, avec son identité nationale, avec les multiples identités de ses minorités, religieuses et sectaires, voire communautaires et ethniques.

Et ce, sans oublier les relations complexes du Liban avec les réfugiés palestiniens présents depuis des décennies sur son territoire, ainsi qu’avec les réfugiés syriens arrivés plus récemment. Il faut également prendre en compte ses liens avec ses voisins immédiats, la Syrie et Israël, avec le monde arabe dans son ensemble, ainsi qu’avec des puissances comme la France et le Royaume-Uni, qui, au fil des siècles, ont joué un rôle dans la protection de certaines minorités libanaises.

Aujourd'hui, plus d'un siècle après la création du Grand Liban et près de 80 ans après son indépendance, le Liban se trouve à nouveau à la croisée des chemins. En effet, une opportunité s’offre au nouveau gouvernement d’initier une ère d’apaisement, orientée vers un avenir plus équitable et durable. La commémoration, le week-end dernier, du début de la guerre civile, il y a 50 ans, devrait servir de catalyseur pour que le Liban se rende enfin libre des diktats du régime d'al-Assad et que son gouvernement soit libéré de la milice pro-iranienne du Hezbollah, affaiblie et presque éclipsée après la guerre avec Israël.

Le gouvernement a commémoré cette occasion dimanche dernier par une petite cérémonie et une minute de silence. Il s'agissait d'une rare reconnaissance officielle de l'héritage de la guerre civile au Liban. Les citoyens se sont souvenus des conflits qui ont fait plus de 150 000 morts et 17 000 disparus, marqués par des guerres, des massacres, des tirs de snipers, des assassinats et des attentats à la voiture piégée.

Beaucoup d'efforts ont été déployés pour déterminer les causes profondes de la guerre civile et expliquer pourquoi les Libanais n'ont pas réussi à l'éviter. Pourtant, le résultat reste incertain. Pour certains, le cœur du problème réside dans les divisions entre chrétiens et musulmans, notamment sur la question de savoir s’il fallait soutenir la cause palestinienne au risque de compromettre la souveraineté du Liban. D'autres pointent du doigt le sommet arabe du Caire en 1969, estimant qu’il a ouvert la voie à l’armement des Palestiniens et à leur lutte contre Israël depuis le territoire libanais.

Nombreux sont ceux qui pensent même que la guerre a éclaté en 1973, lorsque les Forces armées libanaises ont renoncé à prendre le contrôle des camps de réfugiés palestiniens. Certains avancent qu'il s'agit de la brève guerre civile de 1958, lorsque le Liban était divisé entre pro-Nasser et anti-Nasser, et que des affrontements de rue avaient eu lieu tandis que l'armée tentait de maintenir la paix.

Depuis des années, je défends l’idée que le Liban est en guerre depuis 1975, peut-être même avant. Contrairement à ce que beaucoup pensent, la paix ne s’est jamais véritablement instaurée en 1990.

Mohammed Chebaro

Après le 13 avril 1975, le conflit s'est intensifié et les alliances ont commencé à changer, donnant lieu à la formation de nouvelles factions. Israël et la Syrie ont occupé certaines parties du pays. Les États-Unis sont intervenus, et l'ambassade américaine et la caserne des Marines ont été bombardées. Beyrouth a été divisée entre secteurs chrétien et musulman. Par la suite, la Syrie a exercé une mainmise sur le pays avant de céder progressivement son influence au Hezbollah. Cette transition a été suivie par une série d’assassinats ciblés visant des hommes politiques, des journalistes et des militants.

Aujourd'hui, le Liban est encore aux prises avec cet héritage, chaque communauté ayant ses propres souvenirs. Mais si les opinions historiques peuvent diverger, chacun devrait se concentrer sur l'opportunité actuelle et tenter de déterminer l'avenir du pays.

L’élection d’un président et la nomination d’un Premier ministre indépendants des influences syrienne et iranienne constituent une étape cruciale, malgré les critiques formulées à l’égard d’une présence occidentale jugée parfois exagérée. Le nouveau gouvernement doit être jugé sur sa façon de gérer les questions urgentes. Parmi ces enjeux figure l'évolution des relations libano-syriennes depuis le renversement du régime d'al-Assad, qui a exercé son hégémonie sur le Liban pendant des décennies et est accusé d'avoir assassiné de nombreux responsables libanais opposés au régime syrien.

Un nouveau projet de loi bancaire semble marquer un pas important vers la débloque de l’aide internationale et la sortie de la crise économique qui frappe le pays depuis 2019. Ces réformes pourraient restaurer la confiance perdue, redresser l’économie et permettre de libérer tout ou partie des épargnes des déposants, dont les fonds ont été utilisés par l’ancien gouvernement pour soutenir les élites dirigeantes et leurs proches.

Enfin, il ne faut pas sous-estimer la nouvelle selon laquelle la plupart des sites militaires du Hezbollah au Sud-Liban ont été cédés à l'armée. Le cessez-le-feu conclu le 27 novembre, qui a mis fin à plus d'un an de conflit entre le Hezbollah et Israël, dont deux mois de guerre ouverte, exigeait que seuls les Casques bleus de l'ONU et l'armée libanaise soient déployés au sud du fleuve Litani, à environ 30 kilomètres de la frontière israélienne.

Tous ces faits semblent constituer un tournant prometteur par rapport à l'histoire récente du Liban, des avancées cruciales et opportunes dans la bonne direction. L’élaboration des politiques au Liban a toujours été un exercice complexe, car les ressources limitées d’un petit pays ont souvent entraîné l’exclusion de certains acteurs, comme dans un jeu de chaises musicales, lorsque la musique s’arrête. 

Dans son discours commémorant le déclenchement de la guerre civile, le président Joseph Aoun a renouvelé son appel au Hezbollah pour qu’il dépose les armes. Répondre positivement à cet appel sera déterminant si les Libanais souhaitent sortir de la guerre perpétuelle et construire un avenir pacifique et prometteur. 

Mohamed Chebaro est un journaliste libano-britannique qui a plus de 25 ans d'expérience dans les domaines de la guerre, du terrorisme, de la défense, des affaires courantes et de la diplomatie. 

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com