Trump a une longue liste d'intérêts à défendre

Ci-dessus, le président américain Donald Trump dans le Bureau ovale de la Maison Blanche à Washington, DC, le 23 janvier 2025. (AFP)
Ci-dessus, le président américain Donald Trump dans le Bureau ovale de la Maison Blanche à Washington, DC, le 23 janvier 2025. (AFP)
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Publié le Vendredi 31 janvier 2025

Trump a une longue liste d'intérêts à défendre

Trump a une longue liste d'intérêts à défendre
  • Pour l'heure, le rythme et le spectre des décrets publiés au cours de la première semaine du mandat de Trump donnent le tournis
  • Aucune administration américaine n'a la capacité de mettre en œuvre l'ensemble des mesures prévues par ces décrets

Dans deux sphères de l'activité humaine de la vie américaine, le «trash talk» est une caractéristique courante, bien que pas nécessairement séduisante: le sport et la politique. Il s'agit généralement d'une remarque insultante ou vantarde, brève et acerbe, destinée à démoraliser ou à humilier un adversaire, dans le but de prendre l'avantage. Le maître en la matière dans la politique américaine, Donald Trump, est de retour à la Maison Blanche et une grande partie du monde se sent désormais obligée de se préparer et de réagir à son second mandat.

Il n'est pas toujours possible de savoir quelle part du discours de Trump est stratégique et quelle part est tactique. Va-t-elle se traduire par une politique réalisable ou s'agit-il d'une manœuvre destinée à déstabiliser ou à «encourager» les autres à adapter leur comportement à ce qu'ils croient que Trump attend d'eux?

Par exemple, il n'y a pas grand monde qui croit que le Canada deviendra le 51e État des États-Unis, mais Ottawa ne peut pas se permettre d'ignorer les commentaires à cet effet du président américain de retour au pays. Le Premier ministre canadien Justin Trudeau n'a pas décidé d'abandonner la politique à cause du nouvel occupant de la Maison Blanche, mais si des droits de douane sont imposés sur les produits canadiens, comme Trump l'a promis à plusieurs reprises, cela rendra les contraintes fiscales du pays très prohibitives en année électorale et signifiera par conséquent que Trudeau aurait moins de chances de l'emporter.

Ce n'est pas nécessairement que toutes les revendications de Trump sont sans fondement, mais c'est le langage qu'il emploie qui ébranle le système international.

Personne ou presque ne conteste que le canal de Panama, en tant que voie navigable internationale majeure reliant les océans Atlantique et Pacifique, est crucial pour les intérêts américains. Il n'est donc pas déraisonnable de vouloir qu'il reste ouvert et qu'il ne soit pas soumis aux caprices d'un grand rival mondial, tout en veillant à ce que les tarifs d'utilisation restent compétitifs. Mais menacer de le reprendre, comme l'a fait Trump dans son discours d'investiture, et qualifier l'accord qui a rendu la souveraineté du canal au Panama de «cadeau insensé» suggère l'intention de s'approprier un territoire étranger par une politique étrangère agressive, voire par la force.

Et puis il y a le Groenland. Son emplacement stratégique a déjà bénéficié de la visite de nul autre que Donald Trump Jr – on suppose que c'est avec les encouragements de son père, qui aimerait s'emparer de ce vaste territoire. Personne ne peut accuser la présidence Trump 2.0 de manquer d'ambition et de détermination, mais ses paroles en tant que président ont également un poids immense et, même par rapport à son premier mandat très perturbateur, il se surpasse déjà en termes de déstabilisation d'un système international déjà fragile.

Il n'est pas toujours possible de savoir quelle part du discours de Trump est stratégique et quelle part est tactique.

                                                    Yossi Mekelberg

Les semaines et les mois à venir révéleront qui, parmi les destinataires de ces tactiques, cédera à la pression et fera des concessions, et qui pourrait vérifier si ces propos racoleurs ont du poids.

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou en est un exemple: il a traité le président Joe Biden avec un dédain total, ignorant toutes ses demandes pour parvenir à un accord de cessez-le-feu à Gaza, avant de faire une volte-face impressionnante lorsque Trump a exigé exactement la même chose. L'envoyé spécial de Trump au Moyen-Orient, Steve Witkoff, aurait utilisé un langage plutôt «grossier» dans ses conversations avec Netanyahou. Selon une chaîne de télévision israélienne, il a ensuite transmis un message sévère à Trump, qui a exigé sans équivoque que l'accord soit finalisé avant son investiture.

Malgré l'opposition du cabinet israélien, l'accord a été conclu et sa première phase est désormais en cours. Certes, il s'agit d'un cas très différent de celui où l'on suggère une atteinte à la souveraineté d'un autre pays. Et ses leçons pourraient s'appliquer davantage à l'arrêt de la guerre en Ukraine, où Trump serait prêt à avertir Vladimir Poutine qu'il est prêt à serrer la vis économiquement à la Russie si cette dernière refuse d'ouvrir des négociations avec son homologue à Kiev, ou ne le fait pas de bonne foi.

Pour l'heure, le rythme et le spectre des décrets publiés au cours de la première semaine de Trump donnent le tournis. Aucune administration américaine n'a la capacité de mettre en œuvre l'ensemble des mesures prévues par ces décrets.

Ce qui pourrait également entraver le second mandat de M. Trump, c'est sa longue liste de revendications à l'encontre de ceux qui, par exemple, n'adhèrent pas à l'idée selon laquelle l'élection présidentielle de 2020 lui a été volée, ou de ceux qui ont mis en doute son aptitude à être président.

Ceux qui ont fondé l'Amérique rêvaient de construire «une ville sur une colline où les yeux du monde seront rivés sur nous», avec une mise en garde par le président John Quincy Adams selon laquelle l'Amérique «ne va pas à l'étranger à la recherche de monstres à détruire». Trump doit veiller à ce que son second mandat n'aille pas à l'encontre de ces deux maximes.

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé du programme Mena à Chatham House. 

X: @YMekelberg

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com