Au début du mois dernier, la Haute Cour de justice israélienne a sommé le gouvernement, le Premier ministre Benjamin Netanyahu et le ministre de la Justice Yariv Levin, d’organiser une réunion du cabinet dans les 60 jours afin d'étudier la création d'une commission d'enquête d'État pour faire la lumière sur les événements du 7 octobre 2023. Selon tout critère objectif, il est stupéfiant qu’après 15 mois, alors qu'Israël a traversé sa pire journée de son histoire et tout ce qui s'en est suivi, le gouvernement en place à l'époque demeure toujours aux commandes. Pire encore, il n’a toujours pas eu la décence ni l'intégrité - et particulièrement Netanyahu - de démissionner et de quitter la scène politique.
Il est indéniable qu'il y a une certaine naïveté à évoquer Benjamin Netanyahu et l’ensemble de son cabinet en les associant aux concepts d'« intégrité » et de « décence ». Ces vertus, en effet, sont rarement liées au Premier ministre et à ceux qui continuent de diriger Israël dans un cadre d'intérêts personnels. Cependant, le 7 octobre, ce même gouvernement a également fait preuve d'une incompétence criante et d’un manque de discernement abominable, qui ont conduit à la mort inutile de 1 200 Israéliens. Cette tragédie a mis en lumière un manque de préparation, exacerbé par un cocktail empoisonné d'incompréhension totale de l'ennemi, d'une volatilité extrême de la situation, et de la part d'Israël dans cette dynamique, le tout doublé d'une arrogance flagrante. Mais la catastrophe ne s’est pas arrêtée là.
La guerre à Gaza s’est transformée en un conflit sur plusieurs fronts, coûtant encore davantage de vies humaines. Pourtant, Netanyahu et la Knesset qu’il contrôle continuent d’empêcher la nomination d’une commission d’enquête d’État, trahissant ainsi la mémoire de ceux qui ont perdu la vie dans ce conflit, ceux qui restent toujours captifs du Hamas, et tous ceux dont la vie a été gravement perturbée par leur service à la patrie. Et ce n’est pas tout : la réputation de leur pays continue de s’effondrer à l’international, tandis que le spectre de nouveaux mandats d’arrêt internationaux se profile à l’horizon.
L’obstruction par M. Netanyahu d’une enquête indépendante n’a rien de surprenant. Il est normal de refuser toute responsabilité pour ce qui va mal sous sa direction, tout en s'attribuant les mérites des rares succès de son gouvernement, y compris ceux auxquels il n'a pratiquement aucune part. Dans une audace sans égale, lui et ses alliés politiques cherchent à mettre en place leur propre commission d’enquête pour examiner les événements du 7 octobre, à l’image de sa volonté de nommer les procureurs et les juges dans son procès pour corruption, garantissant ainsi un résultat qui l'innocenterait et ferait retomber la faute sur les autres.
Pire encore, il préfère qu'une enquête conclue qu'il a été victime de l'"État profond" qui a délibérément caché des informations cruciales et l'a même induit en erreur dans le cadre d'une conspiration plus vaste visant à le faire tomber. Selon le premier ministre, les vraies victimes ne sont pas les personnes tuées, mutilées ou traumatisées à vie à la suite de l’attaque du 7 octobre, ni les milliers de Palestiniens qui ont perdu la vie ou leur maison ou qui ont été déplacés plusieurs fois, ni même la réputation d'Israël ou sa communauté en ruine et sa démocratie paralysée. Non, les vraies victimes sont Netanyahou, sa femme et ses enfants. Tel est l'univers fantastique auquel le gouvernement israélien actuel veut que tout le monde croie.
« Netanyahou craint une enquête d'État indépendante ». Yossi Mekelberg
Netanyahou craint une enquête d'État indépendante dirigée par un juge de haut rang et composée d'experts impartiaux, car il sait que, malgré la propagande véhiculée par sa machine politique à travers des "journalistes" complaisants et les réseaux sociaux, la responsabilité de l’échec colossal du 7 octobre lui incombe avant tout. Comment pourrait-il expliquer sa décision d'autoriser le transfert de centaines de millions de dollars américains au Hamas, sans comprendre que cela permettrait à ce groupe de construire une armée capable de causer des destructions massives en Israël ?
Quelles que soient les défaillances des services de renseignement de l'armée israélienne, du Shin Bet et du Mossad, il était le Premier ministre ce jour-là, et la responsabilité doit inévitablement remonter au sommet, surtout lorsqu’il s'agit d'un chef qui, pendant des années, s'est proclamé « M. Sécurité » et le défenseur suprême d'Israël et de son peuple. De plus, en polarisant la société israélienne au fil des ans, il l’a affaiblie, y compris son armée, créant ainsi une invitation ouverte à l'attaque de ses ennemis. Ce dirigeant a échoué à son plus grand test de sécurité, avec les conséquences les plus tragiques et catastrophiques.
La simple vérité est qu'Israël, en tant que nation, ne pourra pas aller de l'avant tant que toute la vérité sur chaque détail qui a conduit au massacre du 7 octobre et à la réponse du gouvernement n'aura pas été révélée au grand jour. Les familles des personnes assassinées, capturées ou violées alors qu'elles servaient leur pays, vivaient dans les communautés limitrophes de Gaza ou participaient à la fête Nova si près de la frontière - avec, il faut le souligner, l'autorisation des forces de sécurité -, tout comme celles qui ont survécu et souffriront probablement de traumatismes pour le reste de leur vie, ont le droit de savoir qui a manqué à son devoir le plus élémentaire envers ses citoyens : protéger leur sécurité et leur bien-être. Ceux qui ont été pris en otage, et ceux qui sont toujours en captivité, ainsi que leurs proches ont le droit de savoir qui les a abandonnés, qui continue de les laisser à leur sort, et pourquoi le gouvernement de Netanyahou a refusé de conclure un accord de cessez-le-feu qui leur aurait permis de rentrer chez eux.
Une enquête indépendante sur la guerre à Gaza doit également se pencher sur la décision de fixer, sans la définir clairement, l'éradication totale du Hamas comme l'un des objectifs de la guerre, tout en liant la libération des otages à la pression militaire exercée sur cette organisation extrémiste. Cette décision, au lieu de les ramener chez eux, a coûté la vie à des dizaines d'otages restants, tandis que l'armée israélienne est désormais engagée dans une guerre sans fin.
Israël ne pourra pas se relever en tant que nation, et sa crédibilité internationale restera gravement ternie, tant qu'une enquête approfondie n'aura pas été menée pour comprendre pourquoi il n'y a pas eu de stratégie claire pour mettre fin à la guerre à Gaza, pourquoi l'utilisation de la force massive contre une population civile déjà déplacée à plusieurs reprises a continué, pourquoi les morts et les destructions massives infligées à cette population ont été traitées comme de simples « dommages collatéraux », et pourquoi l’aide humanitaire a été bloquée.
L'enquête doit également tenir compte du fait que plusieurs dirigeants israéliens ont continué à accuser l'ensemble de la population de Gaza d'être à l'origine du massacre du 7 octobre, et que c'est l'une des principales raisons pour lesquelles Israël est accusé de génocide par la Cour internationale de justice et que la Cour pénale internationale a émis des mandats d'arrêt à l'encontre de M. Netanyahou et de Yoav Galant.
Voici quelques-unes des questions cruciales auxquelles une enquête d'État doit répondre, à travers une investigation rigoureuse. Si, après ces 15 derniers mois, il reste un espoir de redressement et de renouveau pour Israël, ainsi que de rétablissement de la confiance dans ses institutions, le processus doit débuter par le révélation de la vérité sur les événements tragiques du 7 octobre et ceux qui ont suivi, et par l’obligation pour les responsables d’assumer la responsabilité de leurs actions.
Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales. Il est également chercheur associé au Programme Moyen-Orient et Afrique du Nord à Chatham House.
X: @Ymekelberg
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com