L'Europe peut-elle soutenir financièrement sa propre défense ?

Des chars chargés sur des plateformes de véhicules militaires à la base du groupement tactique de l'OTAN à Tapa, en Estonie (Photo d'archive AP).
Des chars chargés sur des plateformes de véhicules militaires à la base du groupement tactique de l'OTAN à Tapa, en Estonie (Photo d'archive AP).
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Publié le Lundi 30 décembre 2024

L'Europe peut-elle soutenir financièrement sa propre défense ?

L'Europe peut-elle soutenir financièrement sa propre défense ?
  • La semaine dernière, les dirigeants des trois États frontaliers de la Russie - la Lettonie, l'Estonie et la Finlande - ont exhorté l'OTAN à cesser de "débattre sans fin" de la manière dont elle pourrait faire face à la menace imminente de la Russie
  • Ils ont exhorté les membres de l'alliance à augmenter leurs dépenses de défense pour faire face au niveau de la menace émanant de leur voisin oriental

De nombreuses voix en Europe ont récemment souligné que le continent ne pourrait se défendre sans l’aide des États-Unis. Elles ont également averti que l'OTAN, privée de ce soutien, serait incapable de garantir la sécurité de l'Europe. Aussi inquiétant que cela soit pour la démocratie occidentale, il est légitime de se demander si les nations occidentales n'ont pas perdu leur cap, ainsi que leur volonté de réformer leurs sociétés et leurs économies dans le but de préserver leurs libertés. En effet, ces pays semblent encore trop divisés sur le plan politique pour protéger leur mode de vie, gravement menacé depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie en février 2022.

La semaine dernière, les dirigeants des trois États frontaliers de la Russie - la Lettonie, l'Estonie et la Finlande - ont exhorté l'OTAN à cesser de "débattre sans fin" de la manière dont elle pourrait faire face à la menace imminente de la Russie. Ils ont exhorté les membres de l'alliance à augmenter leurs dépenses de défense pour faire face au niveau de la menace émanant de leur voisin oriental.

L'élection de Donald Trump, qui se montrait au mieux sceptique quant à la mission de l'OTAN et au rôle des États-Unis dans la défense des pays européens, a sans aucun doute mis en lumière la nécessité pour les États européens de renforcer d'urgence les défenses du continent. Un problème qui, en dépit des décennies de discussions, demeure difficile à résoudre et à mettre en œuvre.

Mais la question ne se limite pas à reconnaître si Washington refusera de s'engager à défendre l'Europe, ni à déterminer si une simple augmentation des dépenses suffira à garantir une défense autosuffisante. Il faut également prendre en compte le fait que les secteurs de la recherche et de l'industrie en Europe sont, plus que jamais, soumis aux forces du marché et à la logique du profit, au détriment de la protection des intérêts collectifs des nations en matière de sécurité et de défense.

La déclaration de M. Trump en février, dans laquelle il a encouragé la Russie à faire "tout ce qu'elle veut" aux pays de l'OTAN qui ne paient pas leur juste part, a sans aucun doute ébranlé de nombreux États qui dépendent encore entièrement de l'alliance et de l'article 5 de son traité de défense collective. De l'aveu même de nombreux ministres de la Défense des pays membres de l'alliance transatlantique, celle-ci a besoin du soutien des États-Unis, à court comme à long terme, même si ces pays ont tous commencé à consacrer plus de 5% de leur produit intérieur brut à la défense, et non pas seulement l'objectif actuel de 2%, que seuls deux tiers des membres atteindront cette année. Les trois pays de première ligne qui tirent la sonnette d'alarme font partie de ceux qui consacrent le plus grand pourcentage de leur PIB à la défense.

L'objectif de 2% fixé par l'OTAN est jugé par beaucoup comme insuffisant, même en temps de paix. Par exemple, la Russie devrait consacrer plus de 6% de son PIB à la défense d'ici à 2025. En comparaison, le Royaume-Uni devrait dépenser 2,3%, tandis que la France pourrait tout juste atteindre les 2% en 2024, après avoir consacré seulement 1,94% en 2022. L'Allemagne a atteint 2% en 2024, mais ne devrait pas dépasser ce seuil avant 2028.

Il est évident pour beaucoup que les nations européennes doivent combler leurs déficits en matière de défense et trouver des solutions rapides pour compenser des années de déclin de leurs capacités militaires, particulièrement après la fin de la guerre froide. Toutefois, cela risque de prendre du temps, surtout si l'on prend en compte l'évolution constante de la guerre à la suite des révolutions technologiques récentes, ainsi que les impacts futurs incertains de la cyberguerre et de l'intelligence artificielle.

Les nations européennes doivent rapidement trouver des moyens de compenser des années de dégradation de leurs capacités militaires.

- Mohamed Chebaro

Ces incertitudes ont fait des ravages dans la planification, la recherche, la fabrication et l'approvisionnement de nombreuses armées à travers le monde. Prenons l'exemple du Royaume-Uni. Le gouvernement londonien est sur le point d'entamer sa troisième révision stratégique de la défense en l'espace de quatre ans. Et ce n'est pas seulement dû aux nouvelles menaces, mais aussi à leur multiplication et à leur nature différente.

Sur quoi la défense doit-elle se concentrer : les capacités conventionnelles ou non conventionnelles ? Les examens précédents ont incité les commandants militaires à réduire les capacités conventionnelles, telles que les grandes armées permanentes et les bataillons de chars, pour faire place à une suprématie cybernétique plus avancée qui rendrait les forces ennemies inopérantes.

La Grande-Bretagne doit-elle réduire ou augmenter sa flotte navale, et à quel prix pour sa capacité de projection de puissance et son dispositif de forces globales ? Faut-il qu'elle renouvelle son arsenal nucléaire ou qu'elle le réduise ? Faire des compromis financiers en matière de défense n'est jamais facile. Dans le cas du Royaume-Uni, le pays a tenté de tout faire, mais moins efficacement qu'auparavant, au point que son armée permanente pourrait, selon certains, être "épuisée" après seulement six mois de conflit.

Londres n'est pas la seule dans ce cas, car la France et l'Allemagne ne feront probablement pas mieux en raison d'adversités budgétaires, politiques et géostratégiques. Les examens stratégiques ont toujours nécessité des compromis dans un monde où les sources d'insécurité et d'instabilité ne cessent de croître, qu'elles soient étatiques ou non, ainsi que les menaces hybrides et asymétriques. De ce fait, toute dépense a moins d'impact, même les ambitieux 5% du PIB demandés par certains pays européens qui craignent que les priorités des États-Unis ne se déplacent plus à l'est.

À défaut de réajuster leurs alliances politiques et militaires, ainsi que leurs capacités en matière de recherche, de développement et de production, les nations européennes risquent de se retrouver à boucher constamment les trous dans un environnement sécuritaire de plus en plus complexe. Il ne s'agit pas seulement d'une question d'argent ou de survie, mais aussi de la nécessité d'être honnêtes avec leurs électeurs. Elles doivent faire comprendre que le monde est aujourd'hui plus dangereux et que l'augmentation des dépenses de défense ne pourra être financée que par une réduction des services publics ou une hausse des impôts. Ce n'est qu'à cette condition que l'avenir pourra paraître moins sombre et que les ennemis comme les alliés de l'Europe en prendront véritablement conscience.

Mohamed Chebaro est un journaliste anglo-libanais, consultant en médias et formateur. Il a plus de vingt-cinq ans d’expérience dans la couverture de la guerre, du terrorisme, de la défense, de l’actualité et de la diplomatie.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com.