Un gouvernement qui se forme, un autre qui démissionne : cette situation devient de plus en plus représentative d'une instabilité croissante au sein de l'Union européenne. Il est tentant de minimiser ce phénomène, en l'attribuant simplement aux fluctuations normales du jeu politique libéral-démocratique propre à chaque État membre. Toutefois, le récent vote de défiance contre le gouvernement de centre-gauche d'Olaf Scholz, après plusieurs semaines de turbulences politiques, augure mal pour l'Allemagne, la première économie de la zone euro. Le pays semble désormais sur le point de rejoindre la France dans une spirale d'instabilité potentielle, menaçant ainsi de priver l'Union européenne de deux de ses principaux acteurs à un moment particulièrement critique de son histoire.
À la veille de 2025, les deux superpuissances de l'Union européenne risquent d’ouvrir le nouvel an sans gouvernement pleinement opérationnel, sans budget adopté et avec des politiques internes fragmentées, où les discours des extrêmes dominent les débats publics, voire même influencent les institutions politiques. Les deux moteurs de l’UE, la France et l’Allemagne, sont en crise au moment même où les adversités s’accumulent aux portes du bloc et se multiplient.
Après trois années passées au pouvoir au sein d'une coalition tricolore difficilement homogène, le chancelier Olaf Scholz se retrouve désormais en retrait dans les sondages, devancé par Friedrich Merz, chef de l’opposition allemande et membre du parti de l'Union chrétienne-démocrate (CDU) de l'ex-chancelière Angela Merkel. Alors que son gouvernement peine à relancer une économie fragilisée, marquée par la hausse des prix de l'énergie et la concurrence accrue de la Chine, des interrogations sur la viabilité d'une coalition alternative commencent à se faire jour. L'Allemagne fait face à des défis géopolitiques de grande envergure, notamment sa confrontation avec la Russie au sujet de la guerre en Ukraine et le retour de Donald Trump à la présidence des États-Unis, un facteur qui alimente l'incertitude quant à l'avenir de l'OTAN et des relations commerciales internationales.
Il en va de même pour la France sous la présidence d'Emmanuel Macron. Malgré la récente nomination du centriste François Bayrou au poste de Premier ministre, les mêmes enjeux anciens risquent de continuer à peser sur Paris. L'extrême droite et l'extrême gauche, avec une opposition déterminée et souvent déstabilisante, semblent vouloir faire échouer la présidence de M. Macron, sans se soucier des grandes questions structurelles telles que le redressement des finances publiques, l'endettement national ou la réforme des retraites. Pire encore, elles négligent des enjeux aussi cruciaux que la manière dont l'Europe parviendra à gérer la guerre en Ukraine, particulièrement dans un contexte où Trump retourne à la Maison-Blanche dès le mois prochain.
Les deux moteurs de l’UE sont en crise au moment même où les adversités s’accumulent aux portes du bloc et se multiplient.
Mohamed Chebaro
Il est raisonnable de dire que les conséquences du désarroi de la France et maintenant de l'Allemagne seront catastrophiques pour l'UE, mais aussi pour la démocratie dans son ensemble. À moins que Berlin et Paris ne parviennent miraculeusement à restaurer la crédibilité de leurs dirigeants et de leurs systèmes dans un délai relativement court. Dans le cas contraire, la disparition de l'UE et de la démocratie européenne dans son ensemble pourrait être imminente.
Le désespoir semble se profiler dans les semaines à venir. La situation de l'Allemagne pourrait s'avérer plus facile à gérer si l'Union chrétienne-démocrate remporte une part plus importante des sièges au Parlement lors des élections fédérales anticipées de février. Toutefois, même dans ce scénario, les défis ne disparaîtront pas, car ils trouvent leurs racines dans un écart de richesse de plus en plus large et une baisse du niveau de vie, que de nombreux experts attribuent depuis longtemps à l'absence de leadership dans le monde occidental. Trop de pays ont échoué à s'attaquer aux causes profondes de la crise financière de 2007-2008, tandis que la mondialisation, autrefois porteuse de prospérité, est désormais perçue comme un tabou par les électeurs européens.
L'Allemagne pourrait trouver une issue de secours en élisant M. Merz, qui a éloigné son parti de l'héritage politique de Mme Merkel et l'a rapproché de ses racines afin d'atténuer l'impact du parti d'extrême droite Alternative pour l'Allemagne, et son attrait pour les électeurs conservateurs. Son rêve de remporter une majorité absolue au pouvoir pourrait être improbable à l'heure de la montée des forces populistes et de leurs récits politiques anti-traditionnels, mais il pourrait encore travailler avec les sociaux-démocrates après Scholz et avec les Verts. Toutefois, cela pourrait également poser problème.
En France, nombreux sont ceux qui reprochent à Macron et à son "arrogance mercurienne" d'avoir déclenché cette crise, qui découle de la défaite de son parti lors des élections européennes de juin. Sa décision d'organiser des élections anticipées au cours de l'été a entraîné une triple division du Parlement entre les centristes, la gauche et le Rassemblement national d'extrême droite de Marine Le Pen. Une quatrième ou même une cinquième nomination au poste de premier ministre peut ne pas aider M. Macron ou le pays, étant donné qu'il continue de refuser de nommer l'une des nombreuses figures modérées de la coalition de gauche qui a obtenu le plus grand nombre de sièges lors des élections.
La France semble être dans une impasse, les sondages indiquant qu'entre 35 et 38 % des électeurs ont l'intention de soutenir Mme Le Pen lors de la prochaine élection présidentielle, prévue en 2027. Cela peut conduire son mouvement d'extrême droite jusqu'aux portes de l'Élysée.
Plutôt que de se concentrer sur des ennemis extérieurs, c'est peut-être l'ennemi intérieur qui viendra finalement ébranler les principes fondateurs du projet européen.
Mohamed Chebaro
Les commentateurs européens ont raison de tirer la sonnette d'alarme, avertissant que l'Union a besoin d'une série d'ententes cordiales, à la fois au sein des nations et entre les États, et que les électeurs et les dirigeants doivent prendre conscience de la situation car "l'ennemi est à la porte".
Plutôt que de se concentrer sur des ennemis extérieurs – bien que la Russie demeure un défi existentiel pour la sécurité et la stabilité de l'Europe et que la Chine poursuive sans relâche ses intérêts en exploitant chaque faille des mécanismes de protection économique européens – c'est peut-être l'ennemi intérieur qui viendra finalement ébranler les principes fondateurs du projet européen. Les populistes européens, en effet, ne manqueront pas de sentir l'influence de Donald Trump se profiler à l'horizon de 2025.
L'Italienne Giorgia Meloni pourrait ressentir moins de contraintes et poursuivre un programme peu libéral. Certains États d'Europe centrale et orientale, qui faisaient autrefois partie du Pacte de Varsovie, penchent déjà vers l'autoritarisme. Il y a la Hongrie et la Slovaquie, et il est possible que la Tchécoslovaquie les rejoigne bientôt dans une orbite politique qui s'éloigne peu de celle du Kremlin. Les exceptions demeurent les États baltes, les pays nordiques et la Pologne, qui résistent encore, mais peut-être pas pour longtemps.
C'est pourquoi il est impératif que des nations telles que l'Allemagne et la France retrouvent leur stabilité politique et leur leadership au cours de la nouvelle année. Les alternatives dans les pays européens dirigés par des populistes ne feraient que précipiter davantage l'Union européenne dans la crise, menaçant ses fondements démocratiques libéraux, ses mécanismes de paix et de sécurité, et, par-dessus tout, sa prospérité et son modèle social.
Mohamed Chebaro est un journaliste anglo-libanais, consultant en médias et formateur. Il a plus de vingt-cinq ans d’expérience dans la couverture de la guerre, du terrorisme, de la défense, de l’actualité et de la diplomatie.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com.