Il n’est pas exagéré de dire que, ce lundi de Pâques, le monde entier s’est uni dans un sentiment de deuil profond à l’annonce du décès du pape François. La veille encore, il apparaissait brièvement devant les fidèles, comme pour leur rappeler que, malgré la maladie et la fragilité, il vivait pour eux – et pour soulager la souffrance des plus démunis, des marginalisés, de toutes confessions.
Tous s’accordent à reconnaître que le pape François fut une force de bien, et ce, malgré son statut d’outsider: premier pape originaire du Sud, premier non-Européen à accéder au trône pontifical depuis plus d’un millénaire. Sa papauté a été jalonnée de premières historiques et de ruptures symboliques avec la tradition. La plus marquante sans doute: son choix de renoncer au faste de la résidence officielle du Vatican pour s’installer dans une modeste maison d’hôtes papale, composée de deux pièces – geste fort d’humilité et de proximité.
Bien que le pontife argentin ait été considéré comme progressiste et se soit battu pour influencer des questions telles que l'immigration et la protection de l'environnement, il s'est également battu pour une Église catholique romaine plus moderne et moins rigide. Par-dessus tout, Le pape François a apporté au Vatican et à l’Église un regard extérieur, empreint de justice sociale, de conscience écologique et d’humanité. Il est à espérer que le conclave produira un successeur ayant le même état d'esprit, car le monde réclame des voix de la raison dans un contexte de discorde sociale, économique et politique de plus en plus marquée.
Mais malgré son «génie politique et son charisme», comme l'a décrit son biographe, il n’est pas parvenu à réformer ni à moderniser une hiérarchie ecclésiastique qu’il jugeait trop distante et autocentrée. Il n’a pas non plus réussi à assurer la continuité de l’action de l’Église et de ses institutions. Enfin, il n’a pu mobiliser pleinement les énergies de l’Église en faveur des marginalisés, ni remettre en question le pouvoir solidement ancré des courants traditionalistes, conservateurs ou même libéraux.
Le pape François a apporté un regard extérieur au Vatican et à l'Église, en mettant l'accent sur la justice, l'écologie et l'humanité.
-Mohamed Chebaro
Ses célèbres paroles «qui suis-je pour juger?» ont évité les débats doctrinaux, démontrant une volonté de promouvoir une plus grande tolérance et une meilleure compréhension dans une guerre culturelle complexe centrée sur les questions de la sexualité, de la foi et du mariage dans une Église qui luttait pour conserver sa pertinence. Il a cherché à élever le ton de sa voix morale au-delà des affaires familiales et morales controversées du monde moderne, préférant débattre de la nécessité morale de protéger l'environnement et de guérir le monde de son addiction à la consommation – un facteur clé du changement climatique.
Les prises de position claires et engagées du pape François en faveur des migrants lui ont valu une large adhésion à travers le monde, mais aussi de vives critiques – jusqu’à une condamnation ouverte de la part de l’administration Trump. Pour lui, les enjeux du changement climatique, des migrations, de la pauvreté et des conflits sont intrinsèquement liés. C’est dans cet esprit qu’il a choisi de se rendre à plusieurs reprises dans des lieux symboliques de la crise migratoire, tels que Lampedusa en Italie ou Lesbos en Grèce, afin de dénoncer l’indifférence de la communauté internationale et les politiques de renvoi mises en œuvre par certains gouvernements.
Le pape François n’a cessé d’exprimer son profond désarroi face aux conflits qui déchirent le monde, en particulier ceux qui sévissent aujourd’hui en Ukraine et à Gaza. Pourtant, ses appels répétés à la paix sont, dans bien des cas, restés sans écho. À travers le choix symbolique de ses déplacements à l’étranger, il a tenté de faire entendre la voix des victimes, passées et présentes, des guerres. De Jérusalem à la Bosnie, en passant par l’Égypte, l’Irak ou encore le Sud-Soudan, ses voyages ont illustré son courage et sa détermination à rappeler, au-delà des clivages religieux, l’urgence de mettre un terme à la souffrance humaine.
Les prises de position claires et engagées du pape François en faveur des migrants lui ont valu une large adhésion à travers le monde, mais aussi de vives critiques.
-Mohamed Chebaro
À une époque où l'héritage de l'après-guerre en matière de droits de l'homme et d'État de droit s'étiole, la mort du pape François signifie la perte d'une autre voix de la raison dans un monde de plus en plus dépourvu de raison. Sa vision et sa mission manqueront non seulement aux catholiques du monde entier, mais aussi à tous les êtres humains, en particulier à ceux qui vivent dans des pays de plus en plus repliés sur eux-mêmes et dominés par le nationalisme. Certains États font aujourd'hui glisser la boussole sociale et politique de plus en plus vers la droite, aidés par un royaume technologique militarisé et des exercices de liberté d'expression peu réglementés.
Le monde a glissé d’un ordre où les droits de l’homme universels conservaient encore une certaine prééminence vers une ère marquée par la montée du populisme et des divisions identitaires – une dynamique qui rappelle, de façon troublante, les dérives des années 1930. Dans ce climat tendu, la voix du pape François s’est élevée avec constance pour tenter d’endiguer ce basculement, en s’opposant à l’instrumentalisation du christianisme par les mouvements populistes d’extrême droite, aux États-Unis, en Europe et ailleurs.
Son message, centré sur l’humilité, l’inclusion et la bienveillance, reste porteur d’espoir. On peut espérer qu’il continue à résonner à travers le monde et qu’il contribue à freiner l’expansion des «guerres culturelles» qui menacent aujourd’hui le tissu social de nombreuses sociétés.
Ironie du sort: le dernier engagement public du pape avant sa disparition fut une rencontre avec J.D. Vance, vice-président catholique des États-Unis et fervent partisan d’un isolationnisme à l’américaine, dont les positions sur l’immigration et les conflits culturels avaient été publiquement critiquées par François peu avant sa maladie. Il reste à souhaiter qu’une part de la sagesse du pape disparu ait laissé une empreinte dans l’esprit de M. Vance, et qu’elle l’amènera à reconsidérer certaines de ses convictions.
Car le populisme et la polarisation, loin d’apporter des réponses aux plus vulnérables, ne font souvent qu’enrichir les puissants et appauvrir davantage ceux que ces discours prétendent défendre – y compris les électeurs modestes, de toutes confessions, qui ont placé leur espoir dans des figures comme Donald Trump, dans l’attente d’un salut.
Mohamed Chebaro est un journaliste libano-britannique qui a plus de 25 ans d'expérience dans les domaines de la guerre, du terrorisme, de la défense, de l'actualité et de la diplomatie.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com