Netanyahou ne peut s’en prendre qu’à lui-même pour le mandat d’arrêt de la CPI

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et le ministre israélien des Finances Bezalel Smotrich lors d’un événement à Tel Aviv. (REUTERS)
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et le ministre israélien des Finances Bezalel Smotrich lors d’un événement à Tel Aviv. (REUTERS)
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Publié le Lundi 02 décembre 2024

Netanyahou ne peut s’en prendre qu’à lui-même pour le mandat d’arrêt de la CPI

Netanyahou ne peut s’en prendre qu’à lui-même pour le mandat d’arrêt de la CPI
  • Pour un pays, voir l’un de ses dirigeants faire l’objet d’un mandat d’arrêt de la part de la Cour internationale de justice est un point bas dans son histoire
  • "Les mandats d’arrêt de la CPI ont fourni à Netanyahou encore plus du carburant toxique dont sa politique a besoin."

Pour un pays, voir l’un de ses dirigeants faire l’objet d’un mandat d’arrêt de la part de la Cour internationale de justice est un point bas dans son histoire, surtout lorsque les accusations portent sur des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. La semaine dernière, la CPI a délivré de tels mandats d’arrêt à l’encontre du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et de l’ancien ministre de la Défense Yoav Gallant. Malgré les critiques de cette décision, dont certaines sont plus fondées que d’autres, c’est le comportement imprudent et la folie de Netanyahou, tant en ce qui concerne la manière dont les civils de Gaza ont été traités tout au long de la guerre que son arrogance politique, qui lui ont valu cette situation, à lui et à son pays.

Ce ne sont pas seulement Netanyahou et ses alliés politiques qui ont réagi avec choc et colère en apprenant la délivrance des mandats d’arrêt, mais aussi les dirigeants de l’opposition qui se sont ralliés aux deux accusés pour condamner la décision des juges de la CPI, niant totalement le fait que, dans le monde entier, ceux qui ont assisté aux scènes de Gaza croient fermement que les allégations de tels crimes devraient au moins l’objet d’une enquête minutieuse. Il n’a jamais été suggéré, malgré la manière dont Israël a traité la population de Gaza pendant près de vingt ans jusqu’au 7 octobre de l’année dernière, qu’Israël n’était pas fondé à poursuivre le Hamas et les autres auteurs de cette atrocité. Mais cela n’a jamais été un feu vert pour détruire Gaza et tuer des dizaines de milliers de civils, dont de nombreux enfants, en blesser gravement beaucoup d’autres, réduire l’enclave en ruines, déplacer plusieurs fois la majeure partie de la population et la priver d’une aide humanitaire de base.

Les impératifs moraux et juridiques liés à la nécessité d’assurer le bien-être des non-combattants dans une zone de guerre sont évidents. Néanmoins, si le gouvernement israélien, et en premier lieu Netanyahou, s’était comporté avec moins de complaisance et avait pris note des conseils de ses amis de la communauté internationale, il aurait pu s’épargner ces mises en accusation. Par exemple, les juges de la CPI ont estimé qu’il existait des motifs raisonnables de croire que la famine avait été utilisée comme méthode de guerre pendant le conflit. Il s’agit d’une accusation grave pour un acte qui aurait pu être évité, à moins que les accusés n’aient cru, comme ils le prétendent, que punir toute la population de Gaza était l’un des objectifs de cette guerre, ou qu’ils aient fait preuve d’un manque extrême de jugement, bien qu’ils aient été prévenus. En fait, il y avait aussi l’occasion de creuser un fossé entre le Hamas, qui n’a jamais apporté que des calamités à Gaza, et le reste de la population en épargnant leurs vies et en les traitant avec humanité. C’est un cas où la moralité et l’opportunisme auraient pu être complémentaires, au lieu que la seconde voie soit prise au dépit de la première.

L’un des griefs formulés par les hommes politiques israéliens à l’encontre de la CPI est qu’elle a créé une équivalence entre un État démocratique et une organisation terroriste en délivrant des mandats d’arrêt à l’encontre de représentants de ces deux entités en même temps. Ce n’est pas nécessairement le cas. Il s’agit de la même guerre, mais ce ne sont pas les mêmes accusations qui s’appliquent. Il n’est pas dit que les démocraties ne peuvent pas commettre de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité; le contraire a été tragiquement démontré trop souvent au cours des dernières décennies.

"Les mandats d’arrêt de la CPI ont fourni à Netanyahou encore plus du carburant toxique dont sa politique a besoin."
Yossi Mekelberg

En outre, Netanyahou et d’autres prétendent que d’autres démocraties, telles que les États-Unis, le Royaume-Uni et le Venezuela, ont été épargnées après avoir été accusées de crimes de guerre, malgré les preuves du contraire. C’est ici que les divisions internes d’Israël et l’arrogance du gouvernement l’ont mis dans l’eau chaude. Le statut de Rome, le traité qui a créé la CPI, reconnaît le principe de "complémentarité". Cela signifie que si un État lié aux crimes présumés mène véritablement des enquêtes sur ces allégations ou engage des poursuites pour les mêmes crimes, la cour s’en remettra à cet État et n’ira pas plus loin dans l’affaire.

Le statut est également basé sur l’hypothèse d’un pouvoir judiciaire indépendant. En juin dernier, le procureur général Gali Bahrav-Miara a envoyé une lettre demandant instamment à Netanyahou de mettre fin aux délais concernant la création d’une commission d’enquête nationale, tout d’abord pour des raisons évidentes liées à la nécessité de rendre des comptes et de tirer les leçons du désastre du 7 octobre et de ses conséquences, mais aussi parce qu’une telle enquête aurait satisfait à l’exigence de "complémentarité" et aurait très probablement permis de classer sans suite la demande de mandats d’arrêt de la Cour pénale internationale.

Cependant, Netanyahou est terrifié par une telle enquête, car quelles sont ses chances de rester au pouvoir après les conclusions d’une investigation? Sa peur d’affronter la justice israélienne dans son affaire de corruption est bien plus grande que la perspective d’affronter un jour les juges d’une cour internationale.

Cela dit, on ne peut nier que la poursuite de la justice par la CPI pourrait, au moins à court terme, avoir de graves conséquences négatives. L’obligation de poursuivre tout dirigeant ou pays ayant commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité n’a pas besoin d’être développée, mais les principaux efforts dans ce cas auraient dû d’abord se concentrer sur la conclusion d’un cessez-le-feu suivi d’une cessation permanente des hostilités. Cela pourrait éviter que cette guerre ne fasse encore plus de victimes, mais la décision de la CPI risque malheureusement d’aboutir exactement au contraire. Elle a déjà provoqué un clivage au sein de l’UE et entre plusieurs de ses États membres et les États-Unis.

Pour parvenir à un cessez-le-feu, l’UE et les États-Unis doivent travailler en tandem et avec un sentiment d’urgence, et non se quereller au sujet de cette décision de la CPI. En outre, l’opposition israélienne a estimé qu’elle n’avait pas d’autre choix que de défendre Netanyahou, faute de quoi elle aurait pu être accusée de manquer de patriotisme et d’utiliser cyniquement ce développement pour détrôner le dirigeant israélien. Mais de manière contre-intuitive, ces mandats d’arrêt ont rendu plus difficile pour les rivaux politiques de Netanyahou de s’opposer à la guerre et d’exiger un cessez-le-feu. Rien ne renforce plus Netanyahou et sa bande d’ultranationalistes populistes que lorsqu’ils peuvent qualifier toute critique d’Israël d’acte antisémite, soutenant ceux qui sont prêts à détruire le pays. Netanyahou a évoqué la mémoire de l’erreur judiciaire du 19e siècle dans l’affaire de l’officier juif Alfred Dreyfus, accusé à tort de trahison – un détournement de sa mémoire et une victimisation, car Netanyahou pervertit de manière déplorable la notion d’antisémitisme et la mémoire de l’Holocauste.

Malheureusement, les mandats d’arrêt de la CPI ont fourni à Netanyahou encore plus du carburant toxique dont sa politique a besoin. Avec le soutien des États-Unis, de la Hongrie et de la République tchèque dans son rejet des mandats, sa position a été renforcée et pourrait entraîner une prolongation de la guerre.

•    Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales. Il est également chercheur associé au Programme Moyen-Orient et Afrique du Nord à Chatham House.
X: @Ymekelberg
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com