Netanyahu plus que jamais menacé par son procès pour corruption

Israeli PMBenjamin Netanyahu attends discussion on subject of hostages kidnapped during the deadly Oct. 7 attacks. (Reuters)
Israeli PMBenjamin Netanyahu attends discussion on subject of hostages kidnapped during the deadly Oct. 7 attacks. (Reuters)
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Publié le Lundi 25 novembre 2024

Netanyahu plus que jamais menacé par son procès pour corruption

Netanyahu plus que jamais menacé par son procès pour corruption
  • Le documentaire "The Bibi Files", réalisé par Alex Gibney à partir d'images confidentielles des interrogatoires policiers de Netanyahu, dresse un portrait accablant du Premier ministre
  • "Jamais je n'ai observé une corruption morale aussi profonde chez un individu", affirme le réalisateur

Les futurs biographes de Benjamin Netanyahu, lorsqu'il quittera enfin la scène politique - un départ que beaucoup espèrent imminent - devront sans doute renoncer aux qualificatifs tels que "humble", "repentant" ou "réfléchi". Ils opteront plus vraisemblablement pour des termes comme "effronté", "impétueux" ou "égocentrique" pour décrire un homme qui aura nui tant à son pays qu'à ses voisins.

Le documentaire "The Bibi Files", réalisé par Alex Gibney à partir d'images confidentielles des interrogatoires policiers de Netanyahu, dresse un portrait accablant du Premier ministre. "Jamais je n'ai observé une corruption morale aussi profonde chez un individu", affirme le réalisateur. Interdit de diffusion en Israël pour des raisons juridiques, le film a fait l'objet de tentatives désespérées - mais vaines - de Netanyahu pour en bloquer la distribution internationale.

Cette situation explique l'acharnement du Premier ministre à repousser, si possible indéfiniment, sa comparution dans le cadre de son procès pour corruption. Il cherche ainsi à éviter l'humiliation d'un interrogatoire par le parquet sur les mêmes faits que ceux révélés dans cette enquête policière qu'il aurait préféré garder secrète.

Les premiers soupçons de corruption qui pèsent sur Netanyahu ont émergé fin 2016. Huit ans plus tard, alors que le procès a débuté il y a quatre ans et demi, aucun verdict n'est en vue. Dans une affaire d'une telle gravité - un Premier ministre en exercice poursuivi pour corruption, fraude et abus de confiance dans trois dossiers distincts - cette lenteur judiciaire, même si elle vise à garantir un procès équitable, porte préjudice au pays tout entier. La responsabilité en incombe principalement à Netanyahu et à ses avocats, qui multiplient les manœuvres dilatoires depuis l'ouverture de l'enquête.

La semaine dernière, excédé par ces tactiques, le tribunal de district de Jérusalem a sommé le Premier ministre de témoigner dès le 2 décembre, balayant sa énième tentative de se poser en victime avec l'excuse "trop occupé pour comparaître". Ses avocats avaient plaidé l'impossibilité de préparer sa défense en raison de ses obligations dans la gestion d'un conflit multifronts. Le tribunal a rejeté cet argument, rappelant avoir déjà accordé un délai confortable en reportant l'audience de juillet à décembre, et estimant qu’"aucun changement substantiel ne justifie une nouvelle modification du calendrier".

Face à ce refus, l'équipe de défense a sorti un nouvel argument de son chapeau: la "sécurité" - non pas celle de l'État, mais celle de Netanyahu lui-même. Selon eux, sa présence prolongée en un lieu fixe l'exposerait à des attaques. La presse israélienne rapporte pourtant que le Shin Bet, chargé de sa protection, n'a émis aucune réserve quant à sa sécurité pendant les audiences.

Netanyahu devrait faire preuve de responsabilité en se mettant en retrait le temps du procès. 
- Yossi Mekelberg

Cette situation illustre parfaitement l'impossibilité de diriger un pays aussi complexe qu'Israël - ou n'importe quel autre État - tout en étant mis en cause dans une affaire de corruption. Ces poursuites remettent en question non seulement sa légitimité politique, mais aussi sa capacité à exercer la plus haute fonction de l'État.

L'argument sécuritaire de Netanyahu n'est pas totalement dénué de fondement : le Hezbollah ou le Hamas pourraient effectivement le prendre pour cible lors de ses comparutions, mettant en danger la vie de civils innocents. Une menace que celui qui s'est autoproclamé "défenseur d'Israël" ne peut ignorer. Toutefois, cela ne saurait justifier la suspension d'une procédure judiciaire qui s'annonce particulièrement embarrassante. Le procès menace en effet de révéler au grand jour la nature de ses relations avec plusieurs magnats influents. Ces derniers, disposant d'intérêts commerciaux substantiels en Israël, auraient bénéficié de "services" du Premier ministre en échange de largesses: cadeaux somptueux pour lui et son épouse, et couverture complaisante dans leurs médias.

La justice doit s'appliquer à tous, y compris aux plus puissants. L'intérêt national exige que la procédure suive son cours sans nouvelles tergiversations.

Il est crucial qu'Israël ne reste pas aux mains d'un Premier ministre divisé entre ses obligations alors que le pays affronte simultanément sept fronts de guerre. Netanyahu devrait faire preuve de responsabilité en se mettant en retrait le temps du procès. À défaut, la Loi fondamentale israélienne prévoit une procédure d'incapacité: "En cas d'empêchement temporaire du Premier ministre, ses fonctions sont assurées par un Premier ministre par intérim."

Mais Netanyahu, craignant qu'un remplaçant temporaire ne convoite son poste définitivement, s'y refuse. Il revient donc au procureur général de saisir la Cour suprême pour faire constater son incapacité. Cette démarche s'impose d'autant plus qu'un danger plus grave menace : celui de voir Netanyahu, pour échapper à la justice, provoquer une escalade sur l'un des fronts actuels, créant ainsi une situation d'urgence.

Cette hypothèse n'est pas à écarter, compte tenu de sa personnalité manipulatrice. Plusieurs indices suggèrent que ses décisions concernant un cessez-le-feu avec le Hamas sont dictées par sa volonté de se maintenir au pouvoir. Sa demande de report d'audience en invoquant le contexte de guerre renforce les soupçons que ses motivations personnelles priment sur l'intérêt national.

Les manœuvres dilatoires de Netanyahu ont fini par gangrener l'ensemble du système politique israélien, épuisant les institutions comme la société civile. Mais pour la première fois depuis le début de cette saga judiciaire, la magistrature a fait preuve d'une fermeté sans précédent face aux tentatives d'obstruction du Premier ministre et de ses conseils. L'heure est peut-être venue pour le procureur général d'user de ses prérogatives constitutionnelles en déclarant Netanyahu inapte à gouverner. Une décision qui s'imposerait non seulement pour préserver les fondements démocratiques et la transparence de l'État hébreu, mais aussi pour éviter que le pays ne soit entraîné dans des aventures militaires toujours plus périlleuses.

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme Mena à Chatham House.

X: @YMekelberg      

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français. 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com