Alors que nous pensions que Netanyahou ne pouvait pas tomber plus bas, il le fait

Des Israéliens manifestent à Tel Aviv le 9 novembre pour demander la libération des otages du Hamas à Gaza. (AFP)
Des Israéliens manifestent à Tel Aviv le 9 novembre pour demander la libération des otages du Hamas à Gaza. (AFP)
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Publié le Dimanche 10 novembre 2024

Alors que nous pensions que Netanyahou ne pouvait pas tomber plus bas, il le fait

Alors que nous pensions que Netanyahou ne pouvait pas tomber plus bas, il le fait
  • Le contrôle de la narration politique par la manipulation des médias a été un élément central de son maintien au pouvoir.
  • Les origines du scandale actuel – dans lequel plusieurs personnes ont été impliquées, y compris un porte-parole du bureau du premier ministre – remontent au mois de septembre, lorsque la nouvelle tragique de l’assassinat de six otages israéliens.

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou n’a jamais laissé les préoccupations idéologiques ou morales diminuer son insatiable soif de pouvoir. Le contrôle de la narration politique par la manipulation des médias a été un élément central de son maintien au pouvoir.

Le dernier scandale en date qui a entouré le cabinet du Premier ministre concerne la fuite de documents ultra-secrets vers des médias étrangers. Netanyahou lui-même n’est pas, du moins pour l’instant, suspecté dans cette affaire, mais il s’agit néanmoins d’une mise en accusation de l’environnement permissif qu’il a créé, dans lequel son plus proche cercle d’assistants estime que sa survie politique doit passer avant l’intérêt national.

Les origines du scandale actuel – dans lequel plusieurs personnes ont été impliquées, y compris un porte-parole du bureau du premier ministre – remontent au mois de septembre, lorsque la nouvelle tragique de l’assassinat de six otages israéliens détenus par le Hamas a fait descendre des centaines de milliers d’israéliens dans les rues pour exiger un accord sur la libération des otages restants.

Netanyahou s’est alors senti politiquement menacé. Le lendemain, il a tenu une conférence de presse au cours de laquelle il a présenté un document qui, selon lui, a été trouvé à Gaza. Plus tard, l’un des journalistes les plus proches de lui a suggéré que ce document avait été rédigé par le chef du Hamas, Yahya Sinwar. Le document aurait révélé que les forces du Hamas avaient reçu l’ordre “d’intensifier la pression psychologique” sur les familles des otages et sur le principal rival de Netanyahou au sein du cabinet, le ministre de la défense Yoav Gallant, et “de continuer à accuser Netanyahou d’être responsable de ce qui s’est passé”.

Lors de sa conférence de presse, Netanyahou a déclaré qu’il ne pouvait pas confirmer que le document provenait de “Sinwar lui-même, mais je peux confirmer qu’il provient de membres de haut rang du Hamas”. Comme le veut sa stratégie, il a donné la forte impression que quelque chose était vrai (en l’occurrence que Sinwar avait écrit le document), mais il a laissé suffisamment de marge de manœuvre pour se distancer plus tard d’une allégation qu’il savait fausse.

En attendant, il savait que cela aurait l’effet escompté, à savoir donner à un nombre de ses partisans l’impression que Sinwar manipulait les familles des otages et que ces familles étaient soit naïves en demandant un accord pour le retour des otages, soit prêtes à sacrifier le bien de leur pays pour leur propre désir “égoïste “ de voir leurs proches revenir à la maison.

“Netanyahou lui-même n’est pas, du moins pour l’instant, suspecté dans cette affaire, mais il s’agit néanmoins d’une mise en accusation de l’environnement permissif qu’il a créé, dans lequel son plus proche cercle d’assistants estime que sa survie politique doit passer avant l’intérêt national.”
Yossi Mekelberg

Puis, mystérieusement, alors que les manifestations appelant à un accord avec le Hamas prenaient de l’ampleur, un rapport complètement fabriqué a été publié dans le journal londonien Jewish Chronicle. Prétendant s’appuyer sur des documents saisis, il affirmait que Sinwar prévoyait de sortir clandestinement de Gaza avec les otages israéliens par le corridor de Philadelphie, une étroite bande de terre entre Gaza et l’Égypte.

Dès le lendemain le tabloïd allemand Bild a publié un article intitulé: “Ça fait froid dans le dos! Voici ce que le chef du Hamas prévoit de faire avec les otages”. Il affirmait, sur la base d’un “document inconnu avant ce moment, des services de renseignement militaire du Hamas” à Gaza, que le groupe n’était pas disposé à mettre fin à la guerre, quelles qu’en soient les conséquences désastreuses pour lui-même et la population de Gaza, et qu’il poursuivait une stratégie visant à créer des divisions au sein de la société israélienne.

Cet article donnait l’impression que Sinwar était également à l’origine de ce document, bien qu’il ait été prouvé par la suite que ce n’était pas le cas. Mais pour être honnête, ce n’est pas une grande révélation que deux ennemis en guerre tentent de semer la division au sein de leurs peuples respectifs. Israël le fait aussi. La question principale est de savoir pourquoi ces documents ont été divulgués et par qui.

Si l’on devait se montrer indulgent à l’égard de Netanyahou dans cette affaire, on pourrait l’accuser simplement de négligence grave en permettant à des personnes sans habilitation de sécurité d’accéder à des documents top secrets, ou peut-être admettre qu’il ne savait tout simplement pas qu’il y avait un risque que ces documents finissent par être publiés dans la presse étrangère.

La fuite de documents sur des questions aussi sensibles serait naturellement considérée comme une infraction pénale grave, surtout en temps de guerre. Si, comme cela a été suggéré, elle résulte d’une collusion entre certains éléments de l’armée israélienne et un porte-parole du bureau du premier ministre, il ne serait pas surprenant d’entendre les affirmations selon lesquelles les personnes impliquées ont commis une trahison.

•    Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales. Il est également chercheur associé au Programme Moyen-Orient et Afrique du Nord à Chatham House.
X: @Ymekelberg
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com