Nouveau leader, mêmes problèmes pour le parti conservateur britannique

Kemi Badenoch s'exprime après l'annonce de sa nomination à la tête du principal parti d'opposition britannique, le parti conservateur (AFP)
Kemi Badenoch s'exprime après l'annonce de sa nomination à la tête du principal parti d'opposition britannique, le parti conservateur (AFP)
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Publié le Jeudi 07 novembre 2024

Nouveau leader, mêmes problèmes pour le parti conservateur britannique

Nouveau leader, mêmes problèmes pour le parti conservateur britannique
  • Badenoch est-elle la bonne personne pour diriger le parti conservateur?
  • L'avenir nous dira si elle pourra survivre aux conflits internes dont souffre le parti

Pour le monde entier, l'élection d'une femme noire à la tête du parti conservateur britannique est un événement qui mérite d'être salué. Elle n'est pas la première femme à diriger le parti, puisque Margaret Thatcher, Theresa May et Liz Truss l'ont précédée et ont également siégé au gouvernement. Toutes ont marqué le pays de leur empreinte, tant positive que négative, chacune pour des raisons qui lui sont propres.

Pourtant, l'élection de Kemi Badenoch n'est pas une surprise pour la nation tolérante et multiculturelle qu'est le Royaume-Uni, puisqu'elle a succédé à Rishi Sunak, le premier Premier ministre britannique d'origine asiatique, qui a été battu lors des dernières élections générales en juillet.

La barrière du genre a depuis longtemps été franchie au Royaume-Uni, tant au niveau gouvernemental que royal, puisque le monde moderne a connu la légendaire reine Élisabeth II, qui a régné pendant sept décennies et a suivi les traces d'autres souveraines célèbres telles que la reine Victoria et Élisabeth I. Kemi Badenoch sera la deuxième personne issue d'une minorité à avoir une chance d'accéder à la plus haute fonction exécutive du pays si son mandat survit jusqu'aux prochaines élections générales, qui devraient avoir lieu d'ici l'été 2029.

Mais Badenoch est-elle la bonne personne pour diriger le parti conservateur? Pendant la période où les conservateurs ont été au pouvoir, de 2010 à la défaite électorale de juillet, le parti a été largement considéré comme ayant profondément divisé le pays et presque conduit à l'effondrement de son économie, tandis que de nombreux députés conservateurs ont poussé les électeurs à prendre une position historique en les convainquant qu'ils seraient mieux en dehors de l'UE, plutôt que de faire partie de cette union économique, sociale et politique qui se trouve à leur portée.

L'avenir nous dira si Badenoch pourra survivre aux conflits internes dont souffre le parti.

                                                  Mohamed Chebaro

Badenoch fera peut-être un excellent travail en gérant le parti dans l'opposition. Elle devra essayer d'unifier ses rangs, allant de la tribu de droite qui a dirigé le pays dans les années qui ont suivi le vote du Brexit aux forces de centre-droit qui se sont opposées à la sortie du Royaume-Uni de l'Europe et qui ont été profondément marginalisées en conséquence. Ce sont ces dernières qui ont construit, pendant de nombreuses décennies, la réputation des conservateurs en tant que principal «parti de gouvernement» du pays.

J'ai tendance à penser que Badenoch ne sera qu'un leader de plus qui aura la chance de ramener le parti de l'isolement dans lequel il s'est cloîtré à la suite du référendum sur le Brexit. L'avenir nous dira si elle pourra survivre aux conflits internes dont souffre le parti depuis qu'il est tombé sous l'emprise de certaines personnalités douteuses et intéressées qui, de toute évidence, font passer leurs amis et leur parti avant le pays.

Par-dessus tout, j'ai du mal à voir en Badenoch autre chose qu'une figure qui sera utilisée par d'autres au sein du parti, en raison de ses origines nigérianes, pour tenter de blanchir les accusations de racisme portées contre le parti et les positions anti-immigration et anti-UE des Tories. Nombreux sont ceux qui pensent que le parti politique qu'elle dirige aujourd'hui a été financé, au cours des dernières campagnes électorales, par de riches donateurs qui ne cachent pas leur mépris pour les personnes d'autres couleurs et croyances.

Il est clair que Badenoch, une femme noire, fille de parents nigérians, née à Wimbledon, dans le sud de Londres, qui a passé son enfance à Lagos et aux États-Unis, sera mise dans le même sac que les dirigeants sous lesquels elle a servi, en particulier Boris Johnson. L'ancien Premier ministre a pris la tête de la campagne en faveur de la sortie de l'UE sans aucune conviction. Nombreux sont ceux qui pensent que Badenoch est également une opportuniste, ayant occupé divers postes ministériels dans le gouvernement Johnson qui s'était engagé à «mener à bien le Brexit», alors qu'elle avait déjà déclaré que le Brexit serait néfaste pour les entreprises britanniques et particulièrement traumatisant pour l'industrie automobile britannique.

La question est de savoir si elle a la capacité de rallier les électeurs et de combler le fossé entre le pays et le parti conservateur.

                                                          Mohamed Chebaro

La question est de savoir si elle est capable de rallier les électeurs et de combler le fossé entre le pays et le parti conservateur en raison de ses nombreux mensonges et scandales, ainsi que de l'intégrité ternie de ceux qu'elle a côtoyés au sein d'un gouvernement qui a été chassé du pouvoir.

Le parti conservateur a toujours eu le talent de briser le moule politique en promouvant des personnalités «différentes» aux postes les plus élevés, comme Benjamin Disraeli, le seul Premier ministre juif du Royaume-Uni, Andrew Bonar Law, un Canadien, et même John Major, qui était considéré comme l'enfant de Brixton, un quartier pauvre du sud de Londres connu pour son importante communauté afro-caribéenne.

En choisissant la controversée Badenoch – une ingénieure informaticienne qui a travaillé dans l'édition informatique et la banque avant de devenir directice numérique de l'hebdomadaire The Spectator, connu comme la bible de la droite britannique –, le parti conservateur ne semble pas près de changer. En plaçant à sa tête quelqu'un qui est perçu comme combatif et controversé et qui est contre le «woke», le parti reste sur la voie de la politique d'extrême droite et des forces populistes à l'image de Donald Trump, Giorgia Meloni et Marine Le Pen.

On pense que Badenoch et son cabinet fantôme, qui ne compte au total que 121 députés, ne parviendront probablement pas à demander des comptes au gouvernement travailliste centriste de Keir Starmer, à moins bien sûr que les travaillistes ne donnent une bouée de sauvetage aux Tories en sabotant leurs propres chances d'entrer au gouvernement. De même, il est peu probable qu'elle parvienne à se débarrasser des accusations de racisme et de propos populistes anti-migrants et anti-establishment qui collent à son parti et qui, malheureusement, ne sont pas propres au Royaume-Uni, puisqu'ils le suivent dans la plupart des nations démocratiques du monde.

Mohamed Chebaro est un journaliste anglo-libanais, consultant en médias et formateur. Il a plus de vingt-cinq ans d’expérience dans la couverture de la guerre, du terrorisme, de la défense, de l’actualité et de la diplomatie.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com