Malgré un début de mandat mouvementé, Starmer doit faire preuve de courage

Samedi a marqué le centième jour depuis que le Parti travailliste britannique, sous la direction de Keir Starmer, a pris ses fonctions au 10 Downing Street. (AFP)
Samedi a marqué le centième jour depuis que le Parti travailliste britannique, sous la direction de Keir Starmer, a pris ses fonctions au 10 Downing Street. (AFP)
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Publié le Jeudi 17 octobre 2024

Malgré un début de mandat mouvementé, Starmer doit faire preuve de courage

Malgré un début de mandat mouvementé, Starmer doit faire preuve de courage
  • Le dilemme auquel est confronté le nouveau Premier ministre est vieux comme le monde
  • Il se pose également dans la plupart des démocraties occidentales, qu'elles soient dirigées par la gauche, le centre, la droite, les populistes ou l'extrême droite

Samedi a marqué le centième jour depuis que le Parti travailliste britannique, sous la direction de Keir Starmer, a pris ses fonctions au 10 Downing Street, mettant ainsi fin à 14 années de règne chaotique du Parti conservateur qui avait terni la réputation du pays et le statut de sa classe politique et de ses institutions à travers le monde.

Pourtant, avant même que le Parti travailliste de M. Starmer ne remporte une victoire électorale écrasante en juillet, le doute commençait à planer autour de ce qu'il pouvait entreprendre pour tenter de stabiliser le pays et d'inaugurer une nouvelle vision. Il a cherché à relancer un État ravagé par une austérité aggravée par un Brexit mal pensé, qui a rompu les liens économiques, sociaux et politiques de la Grande-Bretagne avec l'UE. C'était comme si le pays s'était soudainement réveillé et s'était retrouvé marginalisé, abandonné à son sort, sous la houlette d'un Parti conservateur dysfonctionnel qui basculait de plus en plus vers la droite, prônant l'approche du «moi d'abord» dans la gestion du pays et de ses relations avec ses voisins.

Même en dehors du Royaume-Uni, les médias sociaux et traditionnels étaient sceptiques. Une fois, lors d'un entretien accordé à une chaîne du Moyen-Orient, j'ai failli être convaincu par les questions du journaliste que le gouvernement Starmer tomberait avant la fin de sa première année au pouvoir, ou même avant la fin de ses 100 premiers jours.

En Grande-Bretagne, au lieu de se réjouir du nouveau gouvernement et de la perspective d'appuyer sur le bouton de redémarrage, de nombreuses personnes ont conservé ce scepticisme, voire un certain malaise, quant à ce que les travaillistes peuvent potentiellement accomplir et à leur aptitude à opérer le changement que le pays attend depuis des années.

De nombreuses personnes ont conservé ce scepticisme, voire un certain malaise, quant à ce que les travaillistes peuvent potentiellement accomplir.

                                                          Mohamed Chebaro

Le dilemme auquel est confronté le nouveau Premier ministre est vieux comme le monde. Il se pose également dans la plupart des démocraties occidentales, qu'elles soient dirigées par la gauche, le centre, la droite, les populistes ou l'extrême droite. On ne peut pas continuer à réduire l'État et croire qu'un secteur privé autorégulé fournira un leadership non supervisé et responsable qui répondra à l'ensemble complexe des attentes et des demandes de la société.

Dans un monde plus que jamais en transition, l'attrait de l'État-providence dans la société occidentale n'a jamais été aussi clair. Pourtant, aucun citoyen, qu'il soit de gauche ou de droite, ne croit à l'idée de payer plus d'impôts pour répondre à ces besoins dans un climat de pénurie et d'incertitude économique.

Les travaillistes voulaient frapper un grand coup. Ils espéraient présenter au gouvernement un projet capable de générer des investissements élevés et une économie en croissance, associés à une productivité élevée et à une certitude susceptible de limiter les inégalités et les divisions sociales, tout en augmentant la sécurité et la sûreté. Il s'agissait également de fournir des logements, un accès aux transports, à l'éducation, à la santé et à l'aide sociale, ainsi qu'une échelle permettant de gravir les marches de la prospérité personnelle grâce à davantage de formation et d'emploi.

Au lieu de cela, en essayant d'expliquer les conditions de l'État dont il a hérité, le nouveau gouvernement s'est indirectement fait du tort avec ses discours souvent sombres mais réalistes sur l'état désastreux de l'économie et des services publics. Et alors qu'il se préparait à dévoiler ses projets de réforme, le gouvernement Starmer a été frappé par les émeutes de l'été, alimentées par le racisme et les divisions, et qui portaient toutes les marques de l'extrême-droite.

Alors que le gouvernement tentait de reprendre son souffle, les histoires de pots-de-vin et de copinage se sont accumulées. Elles se sont ajoutées à des annonces impopulaires, telles que la suppression de l'allocation de chauffage hivernal pour les retraités et l'abandon d'un projet de plafonnement des factures de soins sociaux, ainsi que le vote en faveur du maintien de la limite de deux enfants pour les prestations sociales, tout cela dans le but d'équilibrer les comptes.

De nombreux électeurs britanniques, et j'en fais partie, pensent que Starmer et le Parti travailliste ont été élus parce que le pays avait besoin d'une pensée nouvelle et d'idées plus plausibles. Loin des discours de droite qui sont incontournables dans le Royaume-Uni d'aujourd'hui, la plupart des gens veulent que le Parti travailliste réussisse, car le pays ne peut pas se permettre cinq années supplémentaires de gâchis. Le nouveau gouvernement a le droit d'être innovant et audacieux, d'autant plus qu'il est soutenu par une large majorité au Parlement.

Le nouveau gouvernement a le droit d'être innovant et audacieux, d'autant plus qu'il est soutenu par une large majorité au Parlement.

                                                 Mohamed Chebaro

Starmer et son gouvernement ont raison d'être francs et ouverts sur l'état de délabrement du pays dont ils ont hérité, mais ils devraient également faire preuve de courage en révélant leur vision sans craindre d'être taxés de «gauchistes», de «socialistes» ou de «pro-européens». Le plus grand mal qui affecte les discours politiques aujourd'hui – et qui empêche peut-être de nombreuses idées politiques de voir le jour avant même qu'elles ne deviennent des politiques – est la cour martiale quasi immédiate à laquelle ils sont soumis en terme de réseaux sociaux. Les philosophies politiques, l'éthique et les valeurs qui pourraient et devraient sous-tendre toute législation ou politique résistent rarement à l'épreuve des groupes de discussion ou des talk-shows politiques.

Dans ce monde en proie à la désinformation, aux «fake news» et aux «vérités multiples», sommes-nous devenus des consommateurs superficiels de n'importe quelle opinion exprimée dans des extraits sonores souvent sensationnalistes, au détriment d'une approche plus profonde, à plusieurs niveaux, de ce qui est bien et de ce qui est mal? Cela a érodé la confiance dans les politiciens, les institutions et tout acteur susceptible d'adopter une idée que certains d'entre nous pourraient considérer comme étrange, simplement parce qu'elle n'a pas gagné de terrain en termes de nombre de «likes» sur nos réseaux sociaux.

Malgré des débuts difficiles, le nouveau gouvernement de M. Starmer devrait moins craindre d'être attaqué pour avoir augmenté les impôts si c'est le moyen de servir la société et de répondre à ses aspirations en matière d'ordre public, d'amélioration des soins de santé et de l'éducation, de croissance économique et de prospérité. Un État qui conserve son empathie et lutte contre la pauvreté et la dépossession n'annulera pas son engagement à ouvrir de nouveaux horizons à l'investissement, au développement et à la croissance.

Starmer devrait rester à Downing Street pendant au moins cinq ans et il ne doit pas se lasser de persuader les convertis et les sceptiques de sa véritable valeur et de ce que son gouvernement représente: le pays et son peuple, en dépit de toutes les adversités et de tous les défis dont il a hérité.

Mohamed Chebaro est un journaliste anglo-libanais, consultant en médias et formateur. Il a plus de vingt-cinq ans d’expérience dans la couverture de la guerre, du terrorisme, de la défense, de l’actualité et de la diplomatie.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com