Il semble que le Moyen-Orient se rapproche rapidement de la guerre que la plupart des observateurs raisonnables de la géopolitique de la région redoutent depuis longtemps: une confrontation directe entre l’Iran et Israël. On pourrait dire que cette confrontation directe couve lentement depuis près de vingt ans. Mais ces derniers mois, la poursuite de la guerre à Gaza, l’extension des hostilités au Liban et une série d’affrontements entre Israël et l’Iran ont rendu plus probable que jamais que la situation débouche sur une confrontation directe.
La question est maintenant de savoir si les deux parties sont trop déterminées pour reculer au bord du gouffre et si elles sont prêtes à entrer dans une guerre totale dans le but illusoire d’obtenir un résultat décisif. Pour Israël, une guerre contre l’Iran signifierait qu’il serait confronté à un ennemi plus équilibré que lors des affrontements avec le Hamas et le Hezbollah.
Lorsque des nations ennemies s’engagent dans des décennies de rhétorique extrêmement hostile, tout en construisant des alliances et des capacités correspondant à leurs perceptions mutuelles d’une menace totale et existentielle, cela crée un air d’inévitabilité quant à l’éruption éventuelle des hostilités directes, même s’il s’agit d’une confrontation que les deux parties ont longtemps menacé de mettre en pratique, mais qu’elles ont évitée jusqu’à présent avec pragmatisme et bon sens.
Plusieurs décideurs israéliens de haut rang semblent toutefois avoir conclu qu’il existe désormais une opportunité de briser le “cercle de feu” que Téhéran a méthodiquement construit autour d’Israël, sans parler de l’objectif à long terme d’arrêter la marche de l’Iran vers une capacité militaire nucléaire.
Après des années pendant lesquelles Israël a plus ou moins réussi à contenir ce qu’il appelle les “tentacules de la pieuvre” et à recourir à des opérations secrètes lorsqu’il était nécessaire de viser sa tête, les autorités estiment aujourd’hui, pour reprendre cette métaphore israélienne populaire, que le moment est venu de tenter de décapiter l’Iran une fois pour toutes et de le couper de ses mandataires.
De plus, après le choc des attaques du 7 octobre, qui représentaient un échec d’Israël à prévoir et à empêcher l’incursion meurtrière du Hamas, les autorités du pays estiment qu’elles ont repris l’initiative militaire et semblent confiantes dans le fait qu’elles ont désormais le dessus.
En surprenant le principal mandataire de l’Iran, le Hezbollah, grâce à l’utilisation de renseignements précis et à la combinaison de méthodes non conventionnelles et d’une force militaire massive, Israël a décimé la direction du groupe libanais, éliminé son chef puissant et de longue date, Hassan Nasrallah, et exercé une pression soutenue sur les capacités militaires de l’organisation.
Les opérations menées au Liban sont autant un message adressé à Téhéran qu’au Hezbollah. Cette semaine, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a exhorté le peuple libanais à renverser le Hezbollah, mais son appel était accompagné d’une menace effrayante et flagrante: s’ils ne le font pas, “la destruction et la souffrance comme nous le voyons à Gaza” les attendent.
Alors que l’influence du Hezbollah, soutenu par Téhéran, sur la politique et la société libanaises a été un désastre incontestable et absolu pour le Liban, et que l’hostilité de l’organisation à l’égard d’Israël a plus à voir avec le maintien de son importance dans la politique intérieure et la conservation du soutien à l’Iran qu’avec toute autre chose, la décision du dirigeant israélien de menacer le peuple libanais d’un massacre aveugle et de la destruction de son pays s’il ne se soulève pas contre le mouvement révèle à la fois un manque de discernement et une véritable intention criminelle.
“Si quelqu’un est capable de limiter les opérations militaires israéliennes au Liban et en Iran, c’est bien Washington.” Yossi Mekelberg.
Mais la guerre d’Israël contre le Hamas et le Hezbollah ne se limite plus à ces deux fronts; elle s’est étendue à l’Iran lui-même. Téhéran sait que, même s’il aimerait croire (ou, plus exactement, se bercer d’illusions) que l’attaque qu’il a lancée contre Israël au début du mois avec 181 missiles balistiques était une riposte à l’assassinat du chef politique du Hamas, Ismail Haniyeh, à Téhéran, et de Hassan Nasrallah, et que par conséquent, les comptes sont désormais équilibrés, les représailles israéliennes à cette attaque ne sont plus qu’une question de temps.
Après tout, l’attaque au missile a causé des dommages aux bases militaires israéliennes et visait également la population civile. Israël est déterminé à répondre avec force; et quant à savoir s’il peut se permettre une guerre directe et prolongée avec l’Iran, c’est une autre affaire.
Les responsables iraniens, les analystes politiques et les commentateurs des médias ont répété à l’envi que toute attaque d’Israël contre des infrastructures stratégiques essentielles en Iran – telles que des bases militaires ou des installations de gaz, de pétrole et de dessalement, sans parler des sites de développement nucléaire – entraînerait une riposte militaire massive qui tenterait de profiter de la vulnérabilité d’Israël, due à son manque de profondeur stratégique physique et à une population civile concentrée dans une zone relativement restreinte.
Il va sans dire que le risque d’une telle escalade, qui menacerait la stabilité de toute la région, a conduit à d’intenses efforts diplomatiques pour éviter cette éventualité. Les États-Unis continuent d’envoyer des messages publics et privés invitant le gouvernement israélien à faire davantage, et rapidement, pour désamorcer les confrontations dans lesquelles il est engagé sur plusieurs fronts, et à éviter toute frappe contre les installations de production d’énergie ou les sites nucléaires iraniens.
Washington considère que la désescalade est autant dans son intérêt que dans celui d’Israël. Une attaque israélienne contre les installations pétrolières et gazières iraniennes par exemple, provoquerait une flambée des prix de l’énergie et l’économie américaine, qui s’est bien comportée au cours de l’année écoulée, risquerait d’en subir les conséquences. À quelques semaines de l’élection présidentielle, cette question est particulièrement sensible.
Des efforts considérables sont également déployés au niveau régional, sous l’égide de l’Arabie saoudite, pour éviter qu’une confrontation entre l’Iran et Israël ne dégénère en une guerre régionale totale. Des réunions urgentes ont eu lieu à Doha entre le ministre saoudien des Affaires étrangères, le prince Fayçal ben Farhan, et le président iranien Masoud Pezeshkian, et le ministre iranien des Affaires étrangères, Abbas Araghchi, s’est rendu à Riyad et dans d’autres capitales du Golfe.
Le message est clair: il est essentiel d’empêcher toute nouvelle escalade qui pourrait échapper à tout contrôle, au moins en acceptant un cessez-le-feu temporaire. Cependant, à présent, il semble plus probable que l’on parvienne simplement à limiter l’ampleur du conflit.
Le rôle de l’administration Biden dans la tourmente reste quelque peu énigmatique. Si quelqu’un est capable de limiter les opérations militaires israéliennes au Liban et en Iran, c’est bien Washington. Toutefois, même si Biden et d’autres hauts fonctionnaires américains ont vivement critiqué Netanyahou et la façon dont Israël utilise la force militaire sans prévoyance diplomatique ni horizon de paix, ils n’ont pas fait grand-chose pour empêcher cette situation de se produire ou pour tirer parti du pouvoir de l’Amérique sur Israël afin de désamorcer une situation qui pourrait s’avérer très coûteuse pour les États-Unis également.
Non seulement leur crédibilité dans la région est gravement entamée, mais en cas de guerre totale entre Israël et l’Iran, les États-Unis seraient contraints d’intervenir et se retrouveraient directement impliqués dans une guerre qu’ils étaient si désireux d’éviter. Certains pourraient affirmer que c’est exactement ce que Netanyahou avait en tête depuis le début, à savoir entraîner les États-Unis dans le conflit pour faire ce qu’Israël ne peut pas faire seul: détruire les capacités conventionnelles et, plus importants encore, nucléaires de l’Iran. Si ce scénario semblait hautement improbable il y a quelques semaines, nous devons tous reconnaître qu'il est aujourd’hui beaucoup plus réaliste et périlleux.
• Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales. Il est également chercheur associé au Programme Moyen-Orient et Afrique du Nord à Chatham House.
X: @Ymekelberg
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com