Alors qu'Israël intensifie son offensive terrestre contre le Hezbollah le long de la côte sud du Liban, après avoir envoyé des troupes dans des villages libanais du sud-est du pays, près de la frontière israélienne, il semble de plus en plus évident que son offensive aérienne est complétée par des incursions terrestres. Tel-Aviv insiste sur le caractère limité de ces opérations, malgré le déploiement d'une quatrième division, car il affirme vouloir détruire un Hezbollah déjà affaibli.
Au-delà des propos incendiaires du Premier ministre Benjamin Netanyahou et de sa promesse répétée de poursuivre une «guerre sacrée» pour sécuriser Israël, en particulier les zones septentrionales proches du Liban, le plan ultime visant à détruire l'adversaire de longue date d'Israël et le pivot de la coalition de mandataires de l'Iran dans la région pourrait se retourner contre lui.
L'envoi par Israël de troupes au Liban, même dans le cadre d'une opération terrestre «limitée», pourrait indirectement ressusciter un Hezbollah gravement blessé. Israël pourrait se retrouver embourbé dans des combats rapprochés sanglants qui favorisent généralement les tactiques de guérilla de type «hit-and-run».
Au Liban, nombreux sont ceux qui estiment que ce que le Hezbollah a fait depuis le 8 octobre de l'année dernière – attaquer Israël pour soutenir le Hamas à Gaza – n'a pas aidé les Palestiniens, car cela n'a pas empêché l'assaut israélien. Les missiles tirés depuis le Liban au cours des 12 derniers mois n'ont pas non plus aidé le Liban, bien que les attaques aient été menées à la demande du mécène iranien du Hezbollah, qui a conçu et déployé une stratégie visant à assiéger Israël par des tirs provenant de ses groupes militants mandataires opérant en Syrie, au Liban, en Irak et au Yémen.
L'envoi de troupes israéliennes au Liban pourrait indirectement ressusciter un Hezbollah gravement blessé.
Mohamed Chebaro
On peut imaginer que, pour rétablir le seuil élevé de dissuasion établi il y a longtemps – un fondement essentiel de la doctrine israélienne en matière de sécurité depuis 1948 –, la confiance acquise par l'armée et les services de renseignement israéliens après la décapitation des dirigeants du Hezbollah, y compris Hassan Nasrallah, pourrait facilement inciter les planificateurs à penser qu'une occasion s'est présentée d'apporter un changement stratégique à grande échelle dans la région.
Mais l'histoire a démontré, à maintes reprises, qu'il était très facile pour les forces militaires les plus puissantes de s'engager dans une guerre de type guérilla, en particulier contre des groupes tels que le Hezbollah, qui a été entraîné, armé et financé par l'Iran. Il serait facile que quelque chose tourne mal, par exemple que quelques soldats soient séparés de leur unité et capturés par le Hezbollah, que des troupes israéliennes tombent dans une embuscade filmée et publiée en ligne leur occasionnant de lourdes pertes ou même que des images de chars brûlés au Liban-Sud fassent le tour des réseaux sociaux. De tels incidents pourraient provoquer un revirement stratégique et éradiquer les nombreux gains tactiques obtenus par Israël grâce à la pose indirecte et secrète d'explosifs dans les bipeurs et talkies-walkies du Hezbollah. Cette opération a été suivie par le début de sa campagne aérienne intensifiée, qui a éliminé le chef du Hezbollah ainsi que la plupart des dirigeants militaires de haut et de moyen rang du groupe terroriste.
Depuis les attentats du 7 octobre, il y a un an, Israël s'est concentré sur la sécurisation de sa frontière nord avec le Liban, tout en luttant contre le Hamas à Gaza, afin de permettre à des dizaines de milliers d'Israéliens déplacés de rentrer chez eux. Le 23 septembre, Israël a finalement lancé une vague de frappes contre les bastions du Hezbollah au Liban, faisant des centaines de tués et de blessés. Ces frappes ont surtout contraint plus d'un million de Libanais, dont beaucoup sont de fervents partisans du Hezbollah, à fuir leurs maisons dans le sud et l'est du Liban, ainsi qu'à Dahyé, dans le sud de Beyrouth, une banlieue qui constitue, depuis des années, une zone fermée du Hezbollah.
Dans les guerres, les opérations limitées, localisées et ciblées ne restent pas ainsi. De plus, en raison d'évaluations incorrectes, de la fluidité opérationnelle et d'autres adversités et erreurs fréquentes pendant les conflits, les avantages peuvent être rapidement annulés.
Il ne faut pas non plus oublier que les récents succès tactiques d'Israël, bien qu'impressionnants, n'ont pas permis de réaliser les percées stratégiques souhaitées par M. Netanyahou. L'un des objectifs est d'éradiquer le Hamas et d'éliminer toutes les menaces existentielles qui pèsent sur l'existence d'Israël, sans pour autant remédier à la question centrale d'un peuple palestinien qui aspire à l'établissement d'un État, à l'autodétermination et à l'indépendance. Le second est le retour des 60 000 Israéliens déplacés dans leurs maisons au nord.
Il est à craindre que Netanyahou n'ait rien d'autre à offrir qu'une guerre éternelle, jurant de continuer à se battre «aussi longtemps que l'ennemi menacera notre existence et la paix du pays».
En raison des adversités et des erreurs fréquentes pendant les conflits, les avantages peuvent être rapidement réduits à néant.
Mohamed Chebaro
Si cela s'avère impossible à réaliser pour tout dirigeant national, et pas seulement pour Netanyahou, car les guerres de facto ne se terminent presque jamais sur le champ de bataille mais plutôt à la table des négociations, force est de constater que le discours de certains responsables libanais proches du Hezbollah est tout aussi délirant, lorsqu'ils tentent de faire allusion à l'unité libanaise prévalant dans la lutte contre l'ennemi.
Le Hezbollah est considéré par le Royaume-Uni, les États-Unis et une grande partie du reste du monde occidental, ainsi que par certains pays arabes, comme une organisation terroriste qui tient entre ses mains le destin du Liban depuis au moins 2006. L'offensive terrestre d'Israël visant à déraciner la milice pourrait s'avérer futile, voire contre-productive. Elle pourrait donner un nouveau souffle à un Hezbollah largement démantelé, tout en n'offrant aux Libanais que mort et destruction.
Affaibli et morcelé, le Liban sous le contrôle du Hezbollah est devenu un État politiquement défaillant, sans président, sans chef de gouvernement, sans administration fonctionnelle et financée, ni appareil de sécurité comme dans tout État normal. Sous la surveillance du Hezbollah, le système bancaire du pays s'est effondré, les gens perdant leurs dépôts et leurs richesses. Je doute que quiconque dans le pays pleure la fin de la mainmise du groupe sur le pouvoir si on lui donne la possibilité de s'exprimer librement.
Douze mois après l'attaque du Hamas contre Israël, la région est au bord d'une escalade qui l'engloutira. Les guerres choisies par Israël et l'Iran n'ont jusqu'à présent pas réussi à rendre Israël plus sûr, les Palestiniens plus optimistes ou le Hezbollah moins enclin à se battre.
Israël, sous la direction de Netanyahou, joue un jeu dangereux et, dans les sables mouvants du Moyen-Orient, l'avantage tactique qu'il a acquis pourrait rapidement s'évaporer, en particulier en ce qui concerne une offensive terrestre au Liban. Toutes les parties, à commencer par l'Iran et Israël, doivent à nouveau croire que seule une solution diplomatique peut les sortir du gouffre, car le destin des peuples de la région est de coexister une fois que les armes se seront enfin tues.
Mohamed Chebaro est un journaliste anglo-libanais, consultant en médias et formateur. Il a plus de vingt-cinq ans d’expérience dans la couverture de la guerre, du terrorisme, de la défense, de l’actualité et de la diplomatie.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com