La dernière erreur de calcul de l'Iran pourrait s'avérer fatale

Ci-dessus, les dégâts subis par un restaurant de Tel-Aviv après que l'Iran a tiré une salve de missiles balistiques sur Israël le 2 octobre 2024. (Reuters)
Ci-dessus, les dégâts subis par un restaurant de Tel-Aviv après que l'Iran a tiré une salve de missiles balistiques sur Israël le 2 octobre 2024. (Reuters)
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Publié le Jeudi 03 octobre 2024

La dernière erreur de calcul de l'Iran pourrait s'avérer fatale

La dernière erreur de calcul de l'Iran pourrait s'avérer fatale
  • Le choix de riposter directement contre Israël pourrait certainement avoir de graves conséquences pour l'avenir du régime, car Israël, avec le soutien des États-Unis, s'est engagé à riposter avec force
  • Les frappes sont également susceptibles d'avoir sapé toutes les démarches faites par le nouveau président iranien et son administration quasi modérée auprès de l'ONU la semaine dernière

L'attaque de l'Iran dans la nuit de mardi à mercredi constitue certes le plus grand coup militaire jamais porté à Israël. Contrairement à la première frappe directe de l'Iran contre les territoires israéliens en avril de cette année, la salve de près de 200 missiles balistiques et hypersoniques a représenté une escalade sérieuse et non calculée, même si la quasi-totalité d'entre eux ont été interceptés, comme l'a affirmé Israël, sachant que l'Iran n'avait pas donné d'avertissement préalable comme la dernière fois.

L'Iran a décrit l'attaque comme étant de nature défensive, visant uniquement trois installations militaires israéliennes et constituant une réponse à l'assassinat par Israël de dirigeants militants et à son agression au Liban et à Gaza. Toutefois, cette action indique un changement dans la position iranienne et une nouvelle volonté de risquer une guerre évitable dans ses efforts continus pour se tailler un rôle dominant dans la région.

Il est clair que l'élimination par Israël du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, ainsi que d'un grand nombre de ses principaux lieutenants, commandants locaux et même fantassins, a été une frappe magistrale. Elle est intervenue un peu moins d'un an après l'attaque du Hamas contre le sud d'Israël, considérée comme la plus grave des menaces auxquelles l'État israélien ait été confronté au cours des 75 années qui se sont écoulées depuis sa création. Mais cet acte a dû être le coup de trop pour l'Iran, qui ne pouvait plus s'en tenir aux règles d'engagement habituelles et à la guerre asymétrique pratiquée au Moyen-Orient depuis plus de trente ans.

La riposte énergique de l'Iran a montré que Téhéran ne prend plus de gants et que, même au risque d'une guerre totale contre un ennemi supérieur, les dirigeants du pays semblent être parvenus à la conclusion qu'ils ne peuvent plus rester passifs. Le Hezbollah est depuis longtemps le «joyau de la couronne», un instrument de la puissance iranienne et le fer de lance de son architecture militante au niveau régional et international, garantissant que l'influence iranienne s'étende à travers l'Irak, le Yémen, la Syrie et le Liban jusqu'à la Méditerranée et la mer Rouge. L'Iran a également bénéficié des réseaux souterrains du Hezbollah et a contribué à les étendre en Afrique, en Amérique latine, aux États-Unis et en Europe. Cela a permis à l'Iran et à l'idéologie de son régime d'avoir une portée inégalée.

La frappe de mardi et son timing montrent également que les faucons des Gardiens de la révolution iraniens se sont indéniablement sentis vulnérables, voire carrément effrayés, à la suite de la déroute du Hamas et de la décapitation quasi totale de la direction et de la structure de commandement du Hezbollah. Téhéran considérait cette situation comme critique, en plus des graves brèches dans les défenses iraniennes. Après le bombardement du quartier général du Hezbollah qui a tué Nasrallah, l'Iran s'est empressé de déplacer son guide suprême dans un endroit sûr, où toutes les mesures de sécurité ont certainement été revues et mises à jour.

L'explosion des talkies-walkies et des bipeurs du Hezbollah avait déjà incité l'Iran à réévaluer les outils de communication de ses forces militaires et de sécurité, avec toutes les perturbations que cela pouvait entraîner. Une évaluation similaire de la sécurité a dû s'avérer cruciale dans les principales installations de l'État après l'assassinat, en juillet, du chef du Hamas, Ismaïl Haniyeh, qui a été tué alors qu'il séjournait dans une maison d'hôtes du gouvernement à Téhéran.

Les dirigeants de Téhéran semblent être parvenus à la conclusion qu'ils ne pouvaient plus rester passifs.

                                                Mohamed Chebaro

Il semble que le pragmatisme habituel de l'Iran n'ait pas pu prévaloir cette fois-ci, car le régime doit sentir qu'il est au pied du mur. Le choix de riposter directement contre Israël pourrait certainement avoir de graves conséquences pour l'avenir du régime, car Israël, avec le soutien des États-Unis, s'est engagé à riposter avec force.

Les frappes sont également susceptibles d'avoir sapé toutes les démarches faites par le nouveau président iranien et son administration quasi modérée auprès de l'ONU la semaine dernière. À New York, le président Masoud Pezeshkian et son ministre des Affaires étrangères ont évoqué la volonté de l'Iran de relancer l'accord nucléaire.

M. Pezeshkian ne s'attendait certainement pas à ce que la «nouvelle ère» à laquelle il a fait allusion à New York revienne hanter le régime et, au lieu d'annoncer une nouvelle ère d'accommodement avec les ennemis de l'Iran, jette le pays directement dans l'abîme d'une guerre directe potentielle.

La mise en déroute par Israël du Hamas et maintenant du Hezbollah a dû être perçue à Téhéran comme un prélude à la mise en déroute d'autres acteurs de ce que l'on appelle l'axe de la résistance et, par défaut, de l'influence et de l'impact de l'Iran dans la région. Il convient toutefois de préciser que, même au plus fort de son ouverture et de ses expressions de modération, l'Iran n'a jamais abandonné son principe idéologique clé consistant à exporter sa révolution islamique ou à mener une guerre asymétrique et contestable par l'intermédiaire de ses mandataires militants.

Avant de riposter à l'assassinat de Nasrallah, l'Iran aurait pu s'appuyer sur le Hezbollah pour orchestrer une retraite de ses forces au nord du fleuve Litani au Liban, alors qu'Israël vise à sécuriser les villages et les villes plus proches de la frontière.

Des erreurs de calcul ont peut-être fait sombrer le Hamas et détruit Gaza. Les erreurs de calcul ont également conduit le Hezbollah à maintenir ses menaces à l'encontre des communautés vivant dans le nord d'Israël, près de la frontière libanaise, en soutien à un Hamas en perte de vitesse. L'attaque directe de l'Iran contre Israël sera probablement une autre erreur de calcul, car il s'agit clairement d'une déclaration de guerre – et si nous pouvons discuter de la façon dont elle a commencé, nous ne pouvons pas anticiper ou prédire la façon dont elle se terminera.

Ces erreurs de calcul reposent sur une mauvaise évaluation, à savoir qu'Israël a été affaibli à l'intérieur et que son peuple n'a plus la volonté de se battre, même lorsqu'il est confronté à une menace existentielle. Je pense que cela a été aggravé par une croyance erronée parmi les forces de l'axe de la résistance, due à une surconsommation de récits faisant état de l'érosion de l'Occident et de déductions selon lesquelles les États-Unis étaient sur le point de sombrer dans une guerre civile.

Ceux qui gardent leur sang-froid et pourraient tenter de tirer la région du gouffre sont malheureusement absents, alors que l'Amérique vit les dernières semaines avant son élection présidentielle, entraînant avec elle une série d'initiatives ratées pour négocier un accord de cessez-le-feu entre le Hamas et Israël à Gaza. Il y a également eu la trêve de 21 jours entre le Hezbollah et Israël, proposée par Paris et Washington, qui n'a pas trouvé d'écho avant l'assassinat de Nasrallah.

Nous sommes dans un monde plein de conflits, régi par la division et la quasi-rupture du multilatéralisme, avec des divisions de plus en plus marquées entre les États-Unis et leurs alliés occidentaux d'une part et, d'autre part, une Russie qui fait la guerre sur le front oriental de l'Europe pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, aux côtés de pays tels que la Chine et l'Iran. On craint qu'au lieu que le monde mette fin à la guerre entre Israël et le Hamas et en Ukraine, l'erreur de calcul de l'Iran ne se traduise par une plus grande instabilité, même si elle peut signifier la fin du régime révolutionnaire de Téhéran. Après tout, ce dernier manque clairement de soutien populaire interne après des années de sanctions et d'échec économique, aggravées par la corruption, la mauvaise gestion et des aventurismes étrangers auxquels le peuple iranien n'a jamais souscrit.

Mohamed Chebaro est un journaliste anglo-libanais, consultant en médias et formateur. Il a plus de vingt-cinq ans d’expérience dans la couverture de la guerre, du terrorisme, de la défense, de l’actualité et de la diplomatie.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com