Un compromis avec ceux qui causent les bouleversements n’est pas la bonne approche pour atteindre la paix régionale

Les secouristes se tiennent sur les décombres d’un immeuble détruit par une frappe aérienne israélienne à Beyrouth, le 27 septembre 2024. (AFP)
Les secouristes se tiennent sur les décombres d’un immeuble détruit par une frappe aérienne israélienne à Beyrouth, le 27 septembre 2024. (AFP)
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Publié le Samedi 28 septembre 2024

Un compromis avec ceux qui causent les bouleversements n’est pas la bonne approche pour atteindre la paix régionale

Un compromis avec ceux qui causent les bouleversements n’est pas la bonne approche pour atteindre la paix régionale
  • L’escalade rapide de la violence entre Israël et le Hezbollah est la preuve définitive que le conflit en cours depuis le 7 octobre a une dimension plus large qui ne peut être résolue au niveau local
  • L'État libanais et sa société n’ont rien à dire dans cette guerre. Le Hezbollah n’est pas non plus seul à attaquer Israël, mais fait partie d’une vaste coalition de forces régionales

L’escalade rapide de la violence entre Israël et le Hezbollah est la preuve définitive que le conflit en cours depuis le 7 octobre a une dimension plus large qui ne peut être résolue au niveau local. Le cessez-le-feu limité qui a été proposé et les autres arrangements temporaires servent à retarder l’explosion et à préparer le terrain pour les joueurs concernés. Ce qui importe le plus, est le contexte dans lequel le conflit est mis et résolu. Je n’ai jamais été doué pour la prédiction des invasions. En 2003, j’ai cru que l’invasion de l’Iraq par les États-Unis ne se produirait jamais. J’avais même fait un pari avec un ami à Oxford.

La seule raison pour laquelle j’ai gagné est le fait qu’il y avait précisé une date, et il me doit une pizza jusqu’à ce jour. Le 12 juillet 2006, j’ai envoyé ma famille par avion de Londres à Beyrouth. Tous les avions étaient pleins puisqu’il y avait eu un incident sur les frontières ce matin-là, mais j’avais pensé que tout se serait terminé avant qu’ils n’atterrissent. Cependant, l’aéroport de Beyrouth a été bombardé peu après leur départ et ce fut le début de la troisième invasion du Liban. Alors que j’écris ceci, dans les montagnes qui surplombent Beyrouth, je n’arrive toujours pas à croire qu’Israël soit assez stupide pour lancer une nouvelle opération terrestre au Liban. Sa bataille n’est pas contre le Liban, ni uniquement contre le Hezbollah.

L'État libanais et sa société n’ont rien à dire dans cette guerre. Le Hezbollah n’est pas non plus seul à attaquer Israël, mais fait partie d’une vaste coalition de forces régionales. L'aspect régional ne peut donc pas être ignoré, pas plus qu'il ne peut être résolu militairement par l’invasion du Liban par Israël pour la quatrième fois. Le Hezbollah fait partie d’un vaste “front de soutien à Gaza” régional, comme l’a déclaré le secrétaire général Hassan Nasrallah le 8 octobre 2023, au lendemain du lancement par le Hamas de l’opération “Le déluge d’Al Aqsa” à Gaza, avec la réponse prévisible d’Israël. Il est progressivement apparu que ce front de soutien comptait plusieurs participants, y compris le soi-disant axe de résistance dirigé par le Corps des gardiens de la révolution islamique d’Iran.

Outre le Hezbollah, cet axe comprenait également des milices en Syrie et en Irak, ainsi que les Houthis au Yémen et, bien entendu, le Corps des gardiens de la révolution islamique lui-même, auquel ces diverses milices/acteurs non étatiques sont affiliés à des degrés divers. Israël a également frappé toute la région. Il y a eu les assassinats ciblés de commandants du Hezbollah et du Hamas au Liban et celui d’Ismail Haniyeh à Téhéran, le bombardement du port de Hodeidah au Yémen en août et les attaques contre des cibles de l'IRGC (Corps des gardiens de la révolution islamique) en Syrie et en Irak. Dans l’un de ses nombreux discours, Nasrallah a expliqué que les combattants de tout le monde musulman viendraient rejoindre le combat au Liban dans le cadre du front de soutien. Dans une arène, les matadors attaquent de différentes directions, déroutant et épuisant le taureau jusqu’à ce qu’il s’effondre et reçoive le coup de grâce final. Mais dans cette arène, il n’y a pas qu’un seul taureau.

L’aspect régional ne peut être ignoré, pas plus qu’il ne peut être résolu militairement par l’invasion du Liban par Israël pour la quatrième fois.

                                                               Nadim Shehadi

L'IRGC, par l’intermédiaire de ses mandataires yéménites, les Houthis, a attaqué les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite et menacé l’ensemble de la région. Les Houthis menacent également la navigation maritime, avec le soutien logistique d’un navire d’observation iranien dans la mer Rouge. Au début, on a nié toute coordination avec l’Iran au sujet du 7 octobre. Des visiteurs ont chuchoté à l’oreille des diplomates à Beyrouth que le Hezbollah et l’Iran avaient été surpris par l’attaque du Hamas et mécontents de ne pas avoir été consultés ou coordonnés. On a prétendu que les missiles lancés par le Hezbollah le 8 octobre de l’autre côté de la frontière ne visaient qu’à sauver la face, à montrer sa solidarité avec le Hamas, et qu’ils n’avaient jamais eu l’intention de déclencher une guerre à grande échelle. En même temps, Nasrallah a profité de ses discours pour menacer sans cesse de bombarder Haïfa, Tel-Aviv ou les installations pétrolières et gazières israéliennes en Méditerranée.

Les efforts pour résoudre la crise ont également été fragmentés, le secrétaire d’État américain Antony Blinken accumulant les miles aériens en voyageant entre Washington, Jérusalem, Le Caire et Doha pour tenter de résoudre la guerre entre Israël et le Hamas, mais sans grand effet. Pendant ce temps, l’envoyé américain Amos Hochstein a fait des allers-retours pour tenter de contenir le conflit entre Israël et le Hezbollah. Il a toujours été question d’empêcher une guerre régionale, mais aucun effort n’a été fait pour la gérer dans un cadre régional. Alors que l'IRGC jour les mauvais flics dans la région, le nouveau président iranien, Masoud Pezeshkian, joue les bons flics lors des réunions annuelles de l’Assemblée générale des Nations unies à New York. Il se présente comme le pompier face au pyromane de l'IRGC.

Des rumeurs circulent selon lesquelles l’Iran offrirait de déposer les armes si Israël était prêt à faire de même. Les déclarations contradictoires de son ministre des Affaires étrangères ajoutent à la confusion. L’essentiel est qu’il propose l’Iran comme interlocuteur pour aider les États-Unis à résoudre les problèmes de la région, en échange d’un siège à la table des négociations dans toutes les affaires régionales. Si un tel accord devait être conclu demain, avec le Hamas, le Hezbollah et l’Iran comme contreparties, ce serait une victoire de l’Iran et de ses mandataires sur les alliés des États-Unis dans la région. Le IRGC se serait imposé comme la puissance qui contrôle la région et prend toutes les décisions clés.

Il a toujours été question d’empêcher une guerre régionale, mais aucun effort n’a été fait pour la gérer dans un cadre régional.

                                                             Nadim Shehadi

L’impasse actuelle à Gaza n’est pas tant liée au conflit israélo-palestinien qu’au conflit entre le Hamas et Benjamin Netanyahou. Elle n’est pas non plus entre le Liban et Israël, mais entre le Hezbollah et l’actuel gouvernement israélien. Il est impossible de trouver des compromis entre deux parties qui veulent s’anéantir complètement l’une l’autre. Les mécanismes de toute négociation sont un élément clé, en ce sens qu’ils révèlent les interlocuteurs qui comptent et mettent à l’écart ceux qui sont assis à la table. Les négociations, qu’elles échouent ou qu’elles réussissent, détermineront qui seront les futurs acteurs de la région. Si nous ne pouvons pas résoudre les problèmes que Yahya Sinwar et Nasrallah ont avec Netanyahou, tant mieux.

Ce n’est pas leur vision d’un conflit perpétuel dans la région qui est la plus souhaitable. Ce qui changerait la donne, ce serait de laisser entrer les autres acteurs et de traiter le conflit comme ce qu’il est: une bataille entre deux visions de l’avenir de la région. Une vision de guerre perpétuelle, défendue par l’Iran et mise en œuvre par l’intermédiaire de ses mandataires régionaux. Et celle des États du Golfe, malgré leurs différences, qui consiste à résoudre les problèmes de la région, plutôt que de les exploiter, et à aller de l’avant. Les enjeux sont trop importants et une approche fragmentée consistant à faire des compromis avec les fauteurs de troubles n’est pas la bonne approche.

Ce qu’il faut, c’est une approche régionale globale pour trouver des solutions à long terme aux conflits de la région, éventuellement par le biais d’une conférence régionale dirigée par les États du Golfe et impliquant les principaux États de la région, y compris la Turquie et Israël, afin de s’appuyer sur des réalisations positives telles que les accords d’Abraham et le rapprochement entre l’Arabie saoudite et l’Iran. Les États-Unis et l’Union européenne seraient également des participants clés, car ils ont autant d’intérêts en jeu que n’importe lequel des acteurs locaux.
 
Nadim Shehadi est un économiste libanais. X : @Confusezeus

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.