Un nouvel ordre régional pourrait restaurer les relations interarabes historiques

Au milieu des changements majeurs en Syrie, au Liban et en Palestine, il y a de nouvelles relations à établir. (AFP)
Au milieu des changements majeurs en Syrie, au Liban et en Palestine, il y a de nouvelles relations à établir. (AFP)
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Publié le Vendredi 28 mars 2025

Un nouvel ordre régional pourrait restaurer les relations interarabes historiques

Un nouvel ordre régional pourrait restaurer les relations interarabes historiques
  • Au milieu des changements majeurs en Syrie, au Liban et en Palestine, il y a de nouvelles relations à établir
  • Ce nouvel ordre contribuera peut-être à une coopération accrue et à une région plus stable et plus prospère

Le monde arabe était beaucoup plus uni avant l'arrivée au pouvoir des partis nationalistes arabes appelant à l'unité arabe et le sera probablement davantage après leur chute. Si cela s'avère vrai, la chute du régime Assad en Syrie et la fin du règne du parti Baas amélioreront les relations de Damas avec l'Arabie saoudite et les autres États arabes du Golfe.

Ce paradoxe, à savoir que l'ordre régional dominé par les partis nationalistes arabes apparus dans les années 1950 et 1960 a davantage contribué à diviser le monde arabe qu'à l'unir, m'est apparu à la lecture d'une thèse de l'Université d'Oxford rédigée par Tommy Hilton. Cette thèse raconte l'histoire des «Chawam», c'est-à-dire des Syriens et des Libanais de la cour saoudienne. Ces Chawam (le mot vient de "Bilad al-Cham", le Levant) servaient de conseillers à la cour du roi Abdelaziz, l'unificateur du Royaume.

Les Chawam appartenaient à une élite nationaliste arabe qui se déplaçait sans difficulté entre les cours d'un ordre régional de monarchies plus ancien. Certains d'entre eux ont été fidèles aux Hachémites dans le Hedjaz, puis en Jordanie et en Irak, avant de rejoindre la cour du roi Abdelaziz, où ils ont joué un rôle majeur dans l'établissement du ministère saoudien des Affaires étrangères et de la politique étrangère du Royaume. Cette mobilité entre les États s'est produite comme si tous servaient un seul et même monde arabe, indépendamment des frontières. Elle s'est surtout produite avant la montée du nassérisme et du parti Baas qui dirigeait l'Égypte, la Syrie et l'Irak.

Mais qui étaient ces Chawam et quel était leur rôle dans le Royaume? Les plus importants d'entre eux étaient le cheikh Hafiz Wahba, Yusuf Yasin et Fouad Bey Hamza. Ces trois personnes ont participé à diverses négociations au nom du roi Abdelaziz, avant même l'unification du Royaume en 1932.

Le protocole d'Alexandrie qui a créé la Ligue arabe respectait l'indépendance et la souveraineté des différents États.

-Nadim Shehadi

Wahba a été le premier ambassadeur au Royaume-Uni, ainsi que l'envoyé au Vatican, et Hamza a été ambassadeur en France. Avec Yasin, ils ont représenté le Royaume dans plusieurs négociations avec les Britanniques, les Français, les Allemands et les Italiens, ainsi que dans des conférences internationales sur les différends frontaliers. Il y a eu beaucoup d'autres Chawam notables, comme Nabih al-Azmah, qui a participé aux négociations sur le Yémen avec les Italiens aux côtés de Yasin et Hamza. Khayr al-Din al-Zirikli, qui a représenté le Royaume lors des premières réunions en vue de la création de la Ligue arabe en Égypte, est un autre exemple de mobilité. Sa carrière est un autre exemple de mobilité entre plusieurs cours.

La liste est longue et comprend Jamil Baroody, qui a représenté l'Arabie saoudite aux Nations unies pendant plus de 33 ans – un poste occupé plus tard par un autre membre des Chawam, Samir al-Chihabi. Un autre Damascène, le Dr Rachad Pharaon, a été médecin personnel et conseiller du roi Abdelaziz, avant d'être nommé ambassadeur en France. Beaucoup d'autres personnes sont venues en Arabie saoudite après la montée en puissance du parti Baas en Syrie et en Irak, notamment des chefs de tribus originaires de diverses régions de ces deux pays.

La Ligue arabe a été créée en 1945, avant l'avènement des États arabes à parti unique dominés par les nationalistes. Cinq des huit membres fondateurs – l'Égypte, l'Arabie saoudite, le Yémen, la Jordanie et l'Irak – étaient des monarchies, tandis que la Syrie et le Liban étaient des républiques indépendantes et que les Palestiniens y étaient également représentés. À l'époque, les militants arabes se comportaient presque comme s'ils appartenaient à la même entité politique qui couvrait la région. Le protocole d'Alexandrie qui a créé la Ligue arabe respectait l'indépendance et la souveraineté des différents États et encourageait la coopération économique, culturelle et sécuritaire, ainsi que la collaboration sur la question de la Palestine.

Il est facile de comprendre comment la domination de partis uniques aux programmes nationalistes arabes plus larges, tels que le nassérisme et le baasisme, en Égypte, en Syrie et en Irak, a créé une atmosphère dans laquelle ils constituaient une menace les uns pour les autres. Les partis révolutionnaires panarabes voulaient dominer les autres États arabes plutôt que de coopérer avec eux; ils les considéraient comme des entités artificielles temporaires et l'ordre qu'ils créaient ne tenait aucun compte de la souveraineté des États.

Les partis révolutionnaires panarabes voulaient dominer les autres États arabes plutôt que de coopérer avec eux.

-Nadim Shehadi

Chacun des partis nationalistes arabes modernes recherchait l'unité arabe sous sa propre domination et, de ce fait, a provoqué de nombreux conflits entre les États arabes. L'expérience de la République arabe unie, fondée en 1958 sous la forme d'une union entre la Syrie et l'Égypte et qui avait pour ambition d'être rejointe par l'Irak, la Jordanie et le Liban, en est un parfait exemple. L'union s'est effondrée au bout de trois ans en raison de la centralisation du pouvoir entre les mains des nasséristes du Caire. Il en a été de même pour le parti Baas, qui régnait à l'origine sur la Syrie et l'Irak, mais qui s'est ensuite scindé en deux branches distinctes en proie à d'intenses rivalités.

En fait, de nombreux conflits dans la région ont été provoqués par le phénomène de ces partis politiques qui tentaient d'étendre leur domination au-delà de leurs frontières, au mépris de la souveraineté des États individuels, comme convenu dans les protocoles initiaux de la Ligue arabe. Les tensions entre l'Égypte et l'Arabie saoudite, l'ingérence égyptienne au Yémen, les conflits de la Syrie avec la Jordanie et l'Irak, son intervention au Liban et, bien sûr, l'invasion du Koweït par l'Irak sont autant d'exemples de la façon dont ces partis ont causé bien plus de divisions que l'unité à laquelle ils aspiraient idéologiquement.

La coopération régionale peut être considérée comme une continuité historique depuis l'Antiquité, motivée par les routes commerciales et les schémas migratoires qui ont assuré des échanges continus entre les différentes parties de la péninsule Arabique. Ces routes transarabiques existaient depuis l'époque préislamique et se sont poursuivies par le biais de liens tribaux et sociaux jusqu'à ce qu'elles soient toutes brisées par les nasséristes et les baasistes.

On parle beaucoup d'un nouvel ordre dans la région et d'un élan vers une nouvelle implication des États arabes du Golfe dans les affaires du Levant. Au milieu des changements majeurs en Syrie, au Liban et en Palestine, il y a de nouvelles relations à établir. Ce nouvel ordre, qui remplace celui des partis nationalistes arabes qui tentaient de se dominer les uns les autres, contribuera peut-être à une coopération accrue et à une région plus stable et plus prospère.

Nadim Shehadi est économiste et conseiller politique. 

X: @Confusezeus

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com