La fumée blanche est enfin sortie, le 5 septembre, de l’Élysée, à la suite d’une attente qui a duré environ deux mois après les élections législatives anticipées. Le président Emmanuel Macron venait de charger l'ancien ministre des Affaires étrangères et ex- négociateur de l'Union européenne dans le dossier du Brexit, Michel Barnier, de former le prochain gouvernement français.
Décision conforme à la Constitution ou «coup de force»?
La dernière échéance électorale s’est soldée par l’émergence d’une Assemblée nationale fragmentée où le Nouveau Front populaire (alliance de la gauche large et des Verts) a remporté le plus grand nombre de représentants parmi les trois principaux blocs, sans obtenir la majorité au Parlement.
Macron, dont le camp est nettement défait, continue à manœuvrer en s’appuyant sur le pouvoir constitutionnel accordé au président pour choisir le nouveau Premier ministre et à ne pas respecter la tradition qui exige la nomination du candidat du bloc majeur.
Au sein de la classe politique, on attendait que le Maître de l'Élysée accepte la coutume et nomme Lucie Castets, la candidate du «Nouveau Front populaire», poussée par «Les Insoumis» de Jean-Luc Mélenchon. Mais, le président de la République prend comme prétexte un spectacle politique désolant, dominé par les chicaneries partisanes et les calculs politiciens, en tranchant que la haute fonctionnaire municipale Castets n’est pas apte à former un gouvernement crédible et stable.
En profitant de la parenthèse des Jeux olympiques de sept semaines, le président reste fidèle à son style de gouvernance verticale et attribue l’impasse de Matignon à l’absence d’une majorité parlementaire et aux calculs tactiques des partis, afin d’imposer son propre choix.
Sur ce chemin, au lieu d’appeler à Matignon une figure incontournable de la formation arrivée en tête le 7 juillet, Macron s’est opposé au choix du NPF, pour proposer le nom de l’ancien PM, le socialiste Bernard Cazeneuve rejeté par son propre parti et par le Nouveau Front populaire. De plus, Macron constate le rejet du «Rassemblement national» (Marine Le Pen) de la proposition à Matignon de l’ancien ministre de droite Xavier Bertrand.
Pour contourner l’impasse, Macron propulse le membre des LR, le chevronné Michel Barnier sur le devant de la scène et le charge de former le gouvernement. Ainsi, son jeu avec la droite (incarnée par son principal parti «Les Républicains» – LR) trouve une nouvelle tournure, après avoir affaibli d’une façon constante ce parti depuis 2017, afin d’absorber son électorat. Cette fois, le président est acculé à faire appeler un ténor de la droite pour sauver le reste de son quinquennat.
Sans doute, Michel Barnier, l’habile négociateur est forcé de composer avec le camp présidentiel. Mais, l’homme de droite peut-il ouvrir une nouvelle page? La clarification du nouveau paysage politique s’impose avec une gauche qui dénonce un «coup de force» de Macron et une extrême droite qui maintient le nouveau locataire de Matignon sous la menace d’un veto de censure après avoir endossé indirectement sa nomination!
La gauche furieuse et divisée face à la stratégie de Macron
En insistant que l’élection est «volée au peuple français», la gauche dénonce le «coup de force» opéré par le président et la «collision entre la Macronie et le RN ( extrême droite)».
Pour la cheffe des écologistes Marine Tondelier: «Le gouvernement Barnier incarne l'alliance entre les macronistes, la droite et l'extrême-droite.» De son côté, l’ancien président de la République, François Hollande, estime que Macron aurait pu favoriser le front républicain et pique Michel Barnier qui, selon lui, a «reçu le quitus du Rassemblement national».
Le Nouveau Front populaire, première force de l’AN, est furieux de voir un membre du parti Les Républicains (LR), une formation arrivée en cinquième position dans les urnes, se hisser au sommet de l’État. Pour la gauche, Michel Barnier manque de légitimité; elle paraît par ailleurs décidée à le censurer pour changer la donne.
Mais, le NFP n’est pas dédouané de la crise du régime, à cause de son adoption de la ligne radicale imposée par «La France insoumise» et du déséquilibre au sein de ses composantes.
Face à la manœuvre présidentielle consistant à diviser la gauche pour former une majorité «convenable», l’Union de la gauche est maintenue de façade. Dans les faits, l’hypothèse «Bernard Cazeneuve à Matignon» laisse des traces au sein du Parti socialiste. Les «notables» du PS, à commencer par son numéro un Olivier Faure et François Hollande, n’ont pas soutenu suffisamment la candidature à Matignon de Bernard Cazeneuve, ancien Premier ministre (2016-2017) de François Hollande, en contribuant auprès d’Emmanuel Macron, à torpiller ce choix et à précipiter la nomination du membre du parti Les Républicains (LR) Michel Barnier au poste de Premier ministre. Alors, Macron jaugeant que le pays est majoritairement à droite (compte tenu de consultations électorales) s’accommode avec ce choix malgré le risque de faire favoriser le RN en le désignant de facto en tant qu’arbitre du paysage politique fragmenté.
Par ailleurs, plusieurs cadres du Parti socialiste (qui a été longtemps le parti leader de la gauche), appellent incessamment à la tenue d’un congrès du Parti socialiste ouvert à toutes les sensibilités du parti, afin que la gauche reprenne confiance et certains parmi eux exigent ouvertement de se démarquer de la gauche radicale. Cette opinion est partagée par des centristes de gauche sans étiquette qui estiment que «la radicalité a montré ses limites» et que « la gauche ne peut pas gagner sans un PS renforcé».
Toujours au sein du NFP, «la dérive sectaire» et le «style brutal» de la direction du mouvement de «La France insoumise» ne sont pas appréciés. Pour cela, Olivier Faure (PS), Marine Tondelier (les Verts) et Fabien Roussel (PCF) sont taxés de laxisme face à la domination des Insoumis de Mélenchon.
Malgré ces zizanies, le NFP se montre uni et dénonce le déni démocratique pratiqué par Macron, au point que le PS a accepté de siéger au Parlement sans voter la proposition présentée par 80 députés du Nouveau Front populaire pour destituer Emmanuel Macron, dans laquelle les parlementaires font appel à l'article 68 de la Constitution, estimant que le chef de l'État a depuis la dissolution «manqué à ses devoirs».
En attendant la composition du gouvernement Barnier qui serait suspendue à des calculs politiciens et des considérations personnelles, la gauche ne se montre pas capable de perturber la stratégie d’un Emmanuel Macron résolu à manœuvrer pour terminer son mandat à tout prix, avec le risque de faire monter les extrêmes et de fragiliser la cohésion nationale.
Khattar Abou Diab est politologue franco-libanais, spécialiste de l'islam et du Moyen-Orient, Directeur du « Conseil Géopolitique -Perspectives». X: @abou_diab
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