L'année qui vient de s'écouler demeure gravée dans les mémoires et les annales de l’histoire. 2024 restera l’une des pires années de l’histoire de la Ve République française, tant sur le plan intérieur qu’extérieur.
Les faits politiques marquants de ces derniers mois soulignent l’énormité des défis et ouvrent les perspectives de 2025. Cette dernière serait donc une année-test: assistera-t-on à l’exacerbation de la crise du système ou sera-t-on plutôt témoin d’une capacité de s’adapter et d’échapper à une crise institutionnelle?
L'année 2024 s'est terminée politiquement par une avancée décisive, avec l'annonce de la formation du gouvernement de François Bayrou. Mais bien avant cet événement, le 14 décembre, une catastrophe naturelle a frappé l'archipel de Mayotte, dans l'océan Indien (département français d'outre-mer) lorsque le cyclone Chido dévaste Mayotte, faisant des dizaines de morts et environ quatre mille blessés, en plus d’innombrables pertes matérielles. Cette catastrophe naturelle indique que la transition énergétique et écologique, ainsi que le risque de la propagation des épidémies, s’ajoutent aux autres crises et défis auxquels la France a été confrontée au cours de cette époque.
2024, une année politique et électorale mouvementée
De manière générale, l’année 2024 a oscillé entre une succession de crises et deux cérémonies grandioses: les Jeux olympiques et la réouverture de Notre-Dame de Paris s’imposaient comme deux événements planétaires ayant consacré la pérennité de la France comme «soft power» sur les plans culturel et touristique ainsi que la victoire du volontarisme politique. Mais, derrière ces deux réalisations, le paysage général n’est pas brillant.
Sur le plan politique, les élections européennes de juin dernier pour choisir les membres du Parlement européen se sont soldées par la montée de populistes conservateurs et de l’extrême droite dans les pays fondateurs de l’Union et en particulier aux dépens de partis au pouvoir en France et en Allemagne – les deux États les plus puissants de l’UE. Cette montée des extrêmes s’est manifestée aussi par l’affirmation de la tranche radicale de la gauche comme «La France insoumise» de Jean-Luc Mélenchon.
Dans ce cadre, le Rassemblement national a remporté le premier tour des élections législatives françaises en juin, mais les alliances et les votes tactiques du centre et de la gauche l’ont fait chuter à la troisième place au deuxième tour, menant à une législature divisée et un gouvernement fragile qui s’est effondré lors d’une motion de censure le 4 décembre.
Au cours de l’année passée, quatre chefs de gouvernement différents se sont succédé à Matignon (siège du Premier ministre), ce qui constitue une première depuis 1934. De surcroît, ces gouvernements se sont plutôt contentés durant des semaines de gérer les «affaires courantes», tout en laissant des dossiers enkystés et le pays sans budget. Bref, la dissolution de l’Assemblée nationale décidée par Macron a eu le contraire de l’effet escompté. Au lieu de corriger les équilibres et de clarifier le paysage politique, elle provoquait plus de divisions et d’éclatement conduisant à un pays sans orientation et réduit à l’immobilisme.
Ainsi, la tâche ne semble pas aisée pour le gouvernement de François Bayrou, qui devrait prouver sa capacité à perdurer, au moins d’ici juin 2025, rendez-vous obligatoire pour que le maître de l’Élysée puisse de nouveau dissoudre le Parlement.
La poursuite de revers en politique étrangère
Le président ivoirien, Alassane Ouattara, a déclaré le 31 décembre 2024, que les troupes françaises se retireraient du pays durant ce mois de janvier. Ce retrait intervient après celui de Tchad effectué en 2024. Ainsi, après ce redéploiement et le départ forcé du Sahel (Mali, Burkina Faso et Niger), la France ne garde dans le continent noir qu’une présence symbolique au Gabon et un contingent à Djibouti.
Cette éclipse de la présence militaire française en Afrique confirme la poursuite de revers en politique étrangère durant les trois dernières années et le déclin de l’influence française en général.
Le «déclassement français» ces dernières années se manifeste sur plusieurs fronts. Il s’accentue par la mise en veille de la tradition républicaine gaulliste instaurant une certaine autonomie par rapport aux États-Unis et l’Otan. En effet, le retour de Paris au commandement intégré de l’Otan en 2009, puis l’intervention militaire en Libye en 2011, en plus de la position par rapport à la guerre d’Ukraine à partir de 2022, ont souligné l’alignement français sur Washington et la fin de la «singularité française» en Europe.
En Afrique, Macron a mené une politique étrangère contradictoire. Après les grands espoirs suscités par le «discours de Ouagadougou» en 2017 en annonçant l’intention de corriger l’image de la «France coloniale» et la coopération avec les Africains comme partenaires, les déceptions se sont succédé avec la non-rupture avec le passé et le maintien d’une présence militaire pesante et le non-succès dans les opérations contre le terrorisme, menées depuis 2013. De plus, la mauvaise méthode pour s’opposer aux coups d’État militaires au Sahel, a enfin sonné le glas d’une époque de l’influence française dans ce qu’on appelait «le pré-carré français en Afrique».
Certes, parmi les causes de ces revers successifs, figurent l’inadaptation de politiques suivies et la prise de décision horizontale monopolisée par l’Élysée. Mais, il ne faut pas négliger l’impact de la compétition extérieure intense au continent prometteur et surtout la percée russe.
Le Moyen-Orient a été l’autre théâtre reflétant le rétrécissement du rôle mondial de la France. En effet, au cours de son premier mandat et des deux premières années de son second mandat, le président Emmanuel Macron n’a pas réussi à faire entendre la voix de la France. Au Liban, pays francophone et prioritaire pour Paris, la série d’initiatives conduites par Macron depuis 2020, n’a pas été fructueuse. Dans toute la zone, la diplomatie française n’a pas pu enregistrer une percée concrète par rapport à l’hégémonie américaine. Les choix dans la gestion du dossier libanais (réhabilitation de la classe politique libanaise, dialogue avec le Hezbollah et l’Iran), et les fluctuations par rapport à la guerre de Gaza, n’ont pas renforcé la position de la France.
Ce déclin de l’influence française est sans doute dû aux changements des rapports mondiaux. Mais, la dégradation de l’état de l’économie et les tensions politiques internes avaient affecté négativement l’image de la France dans le monde. La crise du modèle français a donc ses effets à travers le monde
Les questions ouvertes de 2025
Le paysage politique français au tournant 2024/2025 semble confus et laisse beaucoup de questions ouvertes.
L’absence de cap et le risque de désordre pèsent sur le fonctionnement des institutions et l’état socio-économique du pays.
Mais, si on évoque le panorama de l’année sous un autre angle, la France, en crise politique, est restée en pleine ascension et pratiquement «le centre du monde» lors de deux événements mondiaux rarement égalés: les Jeux olympiques de l'été dernier et la réouverture de la cathédrale Notre-Dame à l'automne. L’organisation sophistiquée de ces occasions, la gestion sécuritaire réussie sans incidents, le volontarisme politique et les empreintes françaises artistiques et culturelles ont mis en avant les atouts exceptionnels de la France.
Dans cette France qui a toujours la capacité d’attirance comme destinée touristique et culturelle, l’enjeu en 2025 est de ne pas tomber dans le piège d’une instabilité politique persistante. À ce sujet, les partenaires sociaux (patrons et dirigeants syndicaux) ont mis en garde contre «le risque d’une crise économique aux conséquences sociales graves».
C’est ainsi que la France se trouve confrontée en 2025 à d’énormes défis. Cela nécessite que le président Emmanuel Macron soit plus flexible et que les forces politiques réfléchissent aux intérêts de la France et de ses citoyens avant de se concentrer sur les prochaines élections présidentielles.
Khattar Abou Diab est politologue franco-libanais, spécialiste de l'islam et du Moyen-Orient, Directeur du « Conseil Géopolitique -Perspectives».
X: @abou_diab
NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.