Un peu plus de deux mois après la chute du régime de Bachar el-Assad, Paris a accueilli, ce 13 février, une conférence internationale sur la Syrie pour accompagner «une transition politique, juste et inclusive» et assurer «la mobilisation de tous les partenaires de Damas pour améliorer l'aide à la Syrie».
Il s’agit de la troisième réunion de ce type depuis une première rencontre le 14 décembre 2024 à Aqaba (Jordanie) et une deuxième rencontre le 12 janvier dernier à Riyad.
Outre la tenue de cet événement en Europe pour la première fois, l’engagement français s’est manifesté aussi lorsque le président Emmanuel Macron fut le premier dirigeant occidental à communiquer avec le président de l'Autorité de transition, Ahmed al-Charaa, et à profiter de la communication pour l'inviter officiellement à se rendre en France – une visite qui aura lieu «dans les prochaines semaines».
La conférence s’est achevée sans annonces concrètes, mais elle a souligné une volonté d'accompagner le nouveau pouvoir pour reconstruire le pays. Cependant, le chemin intérimaire est semé d’embûches pour que la Syrie réintègre sa place dans la région et le monde. Le processus graduel adopté signifie qu’il n’y pas de blanc-seing, mais plutôt une lente construction de confiance.
La politique syrienne de la France: le tournant
L’activisme de la diplomatie française et la tenue de la conférence de Paris confirment un nouveau tournant de «la politique syrienne de la France» à l’égard de la chute de l’ancien régime qui a changé la donne au Moyen-Orient, et au nouveau pouvoir qui tablait tout d’abord sur le rétablissement de relations de Damas avec la communauté internationale. En conséquence, le gouvernement français et ses pairs occidentaux nourrissaient à la fois des espoirs et des doutes.
Après plus d’un demi-siècle de règne de l’ancien régime, la nouvelle réalité offre des opportunités aux pays de la région et aux pays occidentaux.
La France juge que la situation en Syrie reste très complexe. Mais ce qui est nouveau du point de vue français, c’est que les nouveaux dirigeants syriens ont clairement exprimé leur engagement à préserver la diversité sur la base de fondements inclusifs, à organiser des élections libres et équitables et à instaurer la paix civile.
Compte tenu de ses intérêts historiques, géopolitiques et économiques, la France espère se placer parmi les acteurs extérieurs mêlés à la transition syrienne. Ainsi, ni le dossier délicat concernant l’avenir de «Forces syriennes démocratiques» (dirigées par les kurdes), ni le sort de composantes minoritaires, ni les droits de femmes n’ont été posés comme conditions pour un rapprochement, mais comme éléments essentiels pour la réunification de la Syrie et de la réhabilitation du nouveau pouvoir.
Il est remarquable qu’à la veille de la conférence de Paris, les autorités syriennes de transition désignent un «comité préparatoire de la Conférence générale nationale» constitué de cinq hommes et de deux femmes, chargé de préparer la conférence promise du dialogue national. Cette annonce et la promesse de former, le premier mars prochain, un gouvernement transitoire assurant une large représentation de composantes syriennes.
Ces signes de bonne volonté et les autres intentions exprimées seraient-ils conformes aux principes prônés par la France et l’Union européenne? Ils pourraient donc servir de base à la reconstruction des relations entre la Syrie et l’Europe.
La conférence de Paris entre objectifs et conclusions
Cette conférence, selon le même format que celui d’Aqaba, a rassemblé des ministres ou leurs représentants de huit pays arabes et leurs homologues du Groupe des Sept pays industrialisés, ainsi que des représentants de six pays européens, les États-Unis, la Turquie, le Royaume-Uni, l'Union européenne, la Ligue des États arabes et le Conseil de coopération du Golfe.
Les objectifs affichés si ambitieux sont de «parvenir à une transition pacifique qui garantisse la souveraineté et la sécurité de la Syrie, d'unifier les efforts de soutien économique et de fournir de l'aide, de discuter des questions de justice transitionnelle et de garantir l'absence d'impunité».
À la veille de la conférence une réunion des ONG et de représentants de la société civile syrienne, a insisté sur le processus de «la justice transitoire».
De son côté, le ministre Syrien des Affaires étrangères, Assaad al-Chibani, a plaidé pour «la nécessité du plein respect de la souveraineté syrienne» et «de préserver la Syrie de toute ingérence extérieure».
Selon des sources concordantes, la conférence qui a pris acte des décisions des autorités transitions et notamment la formation du «comité préparatoire du dialogue national» aurait confié à Geir Pedersen, l’envoyé spécial de l’ONU pour la Syrie, la mission de suivi des deux volets politique et constitutionnel.
En concluant les travaux de la Conférence, le président Macron a marqué la pleine disponibilité de la France à accompagner la transition en Syrie sur la base des objectifs de la conférence, à titre national, comme dans le cadre européen et international. Il a aussi annoncé qu’il recevait bientôt le président syrien de transition Ahmed al-Charaa en France, et que Paris fournira 50 millions d'euros pour aider à stabiliser la Syrie.
De plus, Macron n’a pas oublié de rendre hommage aux «FSD» partenaires dans la lutte contre Daech, tout en appelant à l’insertion de toutes les composantes syriennes dans le nouveau pouvoir.
En marge de la conférence internationale sur la Syrie, la France a organisé une rencontre «discrète» entre le ministre syrien des Affaires étrangères, Assaad al-Chibani, et Ilham Alhmad, représentante des Kurdes du nord-est de la Syrie. Paris, comme Washington, se trouve mêlé à ce différend qui se dessine entre «kurdes» et nouveau pouvoir, et se montre disponible pour poursuivre sa médiation entre le pouvoir par intérim et les FDS».
Grosso modo, la France, qui s’apprête à désigner un nouvel ambassadeur en Syrie et à rouvrir son ambassade à Damas, observe que le nouveau pouvoir évolue dans le bons sens. Mais, seuls les actes et le temps révéleront la profondeur et la continuité de tout changement réel.
Khattar Abou Diab est politologue franco-libanais, spécialiste de l'islam et du Moyen-Orient, Directeur du « Conseil Géopolitique -Perspectives».
X: @abou_diab
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