Nul n'ignore qu'un gouffre sépare le gouvernement des chefs des forces de sécurité en Israël. Ces disputes sont de plus en plus publiques et de plus en plus vives. Comme la plupart des Israéliens, les responsables de la sécurité du pays font face aux actuels dirigeants du gouvernement qui appartiennent aux éléments religieux messianiques ultranationalistes les plus extrêmes. Ils tiennent également en otage un Premier ministre qui, au crépuscule de sa carrière politique, est prêt à tout pour s'accrocher au pouvoir, y compris à fermer les yeux sur le terrorisme juif dans les Territoires occupés.
Dans une lettre sans précédent, audacieuse et directe, adressée à Benjamin Netanyahou, au ministre de la Défense Yoav Gallant et à d'autres ministres de premier plan, Ronen Bar, chef de l'agence de sécurité israélienne Shin Bet, a averti le mois dernier les dirigeants du pays que le terrorisme juif en Cisjordanie était hors de contrôle et constituait une menace sérieuse pour la sécurité nationale. En outre, Ronen Bar a également averti que cette situation risquait d'aggraver l'effusion de sang et de changer le pays pour le pire, au point de le rendre méconnaissable.
La lettre, dont le contenu a été révélé par la chaîne israélienne Canal 12, a été rédigée par le responsable de la sécurité intérieure et devrait être source de préoccupation pour tout ministre responsable, en plus d'autres personnes. Elle confirme de manière effrayante ce que les Palestiniens vivent au quotidien: leur sécurité et leur bien-être sont à la merci des éléments les plus extrêmes de la société israélienne. Cela devrait également choquer les Israéliens ordinaires qui croient en l'État de droit et en la possibilité de coexister pacifiquement avec leurs voisins palestiniens en tant qu'impératif moral et en tant que politique opportune pour quiconque croit en la décence au niveau des relations entre les êtres humains.
Nous assistons à la normalisation et à la légitimation d'actes de terrorisme continus contre les civils palestiniens.
Yossi Mekelberg
Il n'est pas nouveau que le Shin Bet se préoccupe du terrorisme juif et l'organisation dispose d'un département consacré au danger qui en émane. De l'assassinat de maires palestiniens en Cisjordanie et du complot visant à faire exploser le Dôme du Rocher dans les années 1980 au meurtre de 29 fidèles palestiniens dans la mosquée Ibrahimi par un colon juif en 1993, en passant par l'assassinat du Premier ministre Yitzhak Rabin en 1995, l'histoire du terrorisme juif n'est plus à faire. Pourtant, bien que ces événements aient tous été graves et aient changé l'histoire, ils ont été plutôt sporadiques. Nous assistons actuellement à la normalisation et à la légitimation d'actes de terrorisme continus contre les civils palestiniens et leurs biens, perpétrés dans une impunité presque totale.
Bar a fait remarquer qu'il ne s'agit pas seulement d'attaques brutales par des individus, mais d'actes de violence organisée qui visent à créer le chaos et à faire perdre le contrôle aux forces de sécurité. «Je vous écris cette lettre pour vous faire part de ma douleur et de ma peur, en tant que juif, en tant qu'Israélien et en tant que membre des forces de sécurité», a déclaré M. Bar, un avertissement glaçant sur la gravité de la menace que les atrocités commises par les colons terroristes font peser sur l'existence à long terme d'Israël.
Certains des propos formulés par M. Bar dans cette lettre sont bien connus de tous ceux qui sont témoins de ce phénomène hideux depuis des années, comme les nombreuses organisations de défense des droits de l'homme qui ont constamment demandé à Israël de mettre un terme au terrorisme juif, en vain. La situation n'a fait qu'empirer car ces soi-disant Jeunes de collines ont le sentiment d'avoir le vent en poupe maintenant que leurs représentants sont élus à la Knesset et, pire encore, qu'ils sont au cœur du gouvernement.
Ces ministres ont été eux-mêmes impliqués dans de telles activités, ont exposé l'idéologie qui les guide et les rend admissibles à leurs yeux, ou continuent de protéger les colons auteurs de ces actes pour qu'ils n'en subissent pas les conséquences.
La déclaration de Bar selon laquelle «le phénomène des Jeunes de collines est depuis longtemps devenu un foyer de violence contre les Palestiniens» revient à appeler un chat un chat et, plus important encore, à affirmer sans ambages, comme le fait Bar, que leur violence vise à susciter la peur. Il s'agit donc d'actes de terrorisme qui sont encouragés par un minimum d'interférence et le «soutien secret» de la police.
Les forces de police israéliennes, sous la direction du partisan de l'extrême droite Ben-Gvir, ont été accusées, à maintes reprises, de fermer les yeux sur les actions violentes des colons extrémistes, tout en faisant preuve de fermeté à l'égard des manifestants prodémocratie et cessez-le-feu. Ben-Gvir, dans un nouvel accès d'infantilisme, a répondu à ces accusations lors d'une réunion du cabinet en demandant le renvoi de Bar, avant de quitter les lieux lorsque Netanyahou et d'autres ministres ont défendu le chef du Shin Bet.
Il s'agit donc d'actes de terrorisme qui sont encouragés par un minimum d'interférence et le «soutien secret» de la police.
Yossi Mekelberg
Mais Bar n'est pas le seul à mettre en garde contre le danger de la poursuite de la violence politique des colons, puisque l'armée partage ses préoccupations. Hélas, il s'agit là d'un paradoxe tragique car, dans nombre de ces attaques terroristes contre des Palestiniens, ce sont les soldats de l'armée qui accompagnent et protègent les assaillants au lieu de protéger leurs victimes.
Pas plus tard que le mois dernier, une enquête des Forces de défense israéliennes sur une attaque terroriste meurtrière menée par des dizaines de colons israéliens dans le village de Jit, en Cisjordanie, a révélé que les troupes qui sont arrivées les premières sur les lieux n'ont pas agi comme elles l'auraient dû et n'ont pas arrêté les assaillants. Au lieu de cela, les soldats les ont laissés se déchaîner dans le village, tirant à balles réelles et lançant des bombes à essence et des pierres sur des bâtiments et des véhicules, faisant un mort, de nombreux blessés et des dégâts matériels considérables. Ce n'est qu'un incident parmi des centaines d'autres qui, ensemble, favorisent un climat de peur et de terreur parmi les Palestiniens vivant à proximité de ces colonies et de ces colons, car ils ne peuvent pas compter sur l'armée israélienne pour les protéger.
Un haut fonctionnaire israélien courageux a enfin admis que le terrorisme juif dans les territoires occupés est bel et bien présent, qu'il porte gravement atteinte aux intérêts d'Israël ainsi qu'à la santé et à la sécurité des Palestiniens, et que certaines personnes au sein du gouvernement le facilitent. Reste à savoir ce que le gouvernement fera à ce sujet, surtout que la survie politique du Premier ministre dépend totalement des dirigeants des colons les plus extrémistes.
Comment la société israélienne va-t-elle réagir et éviter d'être impliquée en raison de son silence? S'il n'y a pas de réponse adéquate de la part du gouvernement ou du peuple israélien, alors il revient à la communauté internationale de fournir à ceux qui sont sans défense et sous occupation la protection à laquelle ils ont droit.
Jusqu'à présent, ni le gouvernement ni le peuple israéliens n'ont été disposés à modifier leur approche indulgente vis-à-vis du terrorisme des colons et les mesures prises par la communauté internationale sont hélas demeurées lettre morte. Ce n'est guère un moyen de prévenir ces attaques odieuses.
Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme Mena à Chatham House.
X: @YMekelberg
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com