Le réveil américain: vers une remise en question du soutien inconditionnel à Israël ?

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Publié le Lundi 02 septembre 2024

Le réveil américain: vers une remise en question du soutien inconditionnel à Israël ?

Le réveil américain: vers une remise en question du soutien inconditionnel à Israël ?
  • Le lobby pro-israélien a toujours œuvré pour garantir le soutien américain à Israël. C’est un lobby à objectif unique, rassemblant juifs et non-juifs, avec les sionistes chrétiens comme pilier important
  • Ce lobby s’emploie activement à contrecarrer les chances de tout candidat qui remettrait en question l’appui sans réserve des États-Unis envers Israël

À la Convention nationale démocrate, une large représentation des différents groupes a été mise en avant. L’intention était de refléter la diversité, valeur chère pour les États-Unis. Cependant, une communauté notable était absente des débats: celle des Américains d’origine palestinienne. Cette exclusion a suscité le mécontentement de nombreux membres du parti démocrate. Elle met en lumière l’influence considérable exercée par les groupes de pression pro-israéliens, qui redoublent actuellement d’efforts pour défendre des positions jugées par certains comme difficilement justifiables.

À deux mois de l’élection présidentielle américaine, personne ne souhaite froisser d’importants donateurs. Kamala Harris, candidate démocrate, évite de donner à Donald Trump des munitions pour l'attaquer. Trump, allié fidèle d’Israël, ne manquerait pas d’exploiter toute mesure coercitive que l’administration Biden pourrait prendre contre Tel-Aviv. Il accuserait l’administration Biden de céder à l’Iran et d'abandonner son allié. De plus, les fonds de campagne sont cruciaux pour financer la publicité électorale.

Le lobby pro-israélien a toujours œuvré pour garantir le soutien américain à Israël. C’est un lobby à objectif unique, rassemblant juifs et non-juifs, avec les sionistes chrétiens comme pilier important. Ce lobby s’emploie activement à contrecarrer les chances de tout candidat qui remettrait en question l’appui sans réserve des États-Unis envers Israël. 

Récemment, deux représentants démocrates - Cori Bush du Missouri et Jamaal Bowman de New York - ont perdu leurs élections primaires pour ne pas s’être alignés sur la position pro-israélienne. Le United Democracy Project, comité d'action politique de l’American Israel Public Affairs Committee (AIPAC), a dépensé environ 9 millions de dollars en publicités attaquant Bush ou soutenant son adversaire.  L’appel de Bush en faveur d'un cessez-le-feu à Gaza avait provoqué l'irritation des groupes pro-israéliens. De même, Bowman s’est retrouvé dans leur ligne de mire en raison de ses critiques à l’égard d’Israël et de sa position concernant le conflit à Gaza. L’AIPAC a dépensé à lui seul 15 millions de dollars pour tenter de le déloger. Bowman a dénoncé: "Nous devrions être indignés qu’un super PAC d’argent occulte puisse dépenser 20 millions de dollars pour manipuler l’opinion publique."

Le message est clair: quiconque appelle à un cessez-le-feu ou suggère que les États-Unis devraient user de leur influence pour en imposer un est écarté. Qui voudrait contrarier un lobby si puissant à deux mois d’une élection? Personne. Cependant, un vaste mouvement social réclame un cessez-le-feu, avec des manifestations sur les campus universitaires à travers le pays. Comment concilier ces deux positions? La meilleure stratégie semble être de feindre de travailler pour un cessez-le-feu sans réellement imposer quoi que ce soit à Israël.

En conséquence, les États-Unis temporisent, au grand dam des négociateurs arabes. La rencontre prévue entre le secrétaire d'État Antony Blinken et l'émir du Qatar, Cheikh Tamim bin Hamad bin Khalifa Al-Thani, à Doha le mois dernier, a été annulée. Un officiel américain a évoqué une indisposition de l’émir. Blinken a donc rencontré un responsable de moindre rang: le ministre d’État. Cela en dit long sur la frustration des négociateurs arabes face à la diplomatie américaine, qui agit comme un mandataire des Israéliens.

Malgré les propos de Blinken évoquant une "urgence féroce de l’instant présent", les États-Unis ne semblent pas exercer de réelle pression sur Israël pour parvenir à un accord de cessez-le-feu. Le Hamas a d’ailleurs qualifié l'attitude américaine de "trompeuse". En effet, Washington donne l’impression de s’engager activement dans les négociations pour un cessez-le-feu, mais ses actions paraissent plutôt viser à accorder un délai supplémentaire au Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu.

The pro-Israel lobby is intensifying its efforts to thwart the political aspirations of any candidate who challenges the United States' unconditional support for Israel.
- Dr. Dania Koleilat Khatib

Cependant, pour fonctionner efficacement, un lobby doit rester discret, surtout lorsqu’il façonne la politique étrangère américaine au Moyen-Orient. Aucun Américain ne souhaiterait qu’un gouvernement étranger dicte la politique étrangère des États-Unis ou compromette les intérêts nationaux américains. Or, l’influence du lobby pro-israélien est désormais au grand jour, ce qui pousse les gens à s’interroger: pourquoi ce groupe, qui travaille pour un gouvernement étranger, a-t-il tant de pouvoir?

Les revers électoraux subis par Bowman et Bush suscitent de plus en plus de réactions. Un autre cas notable est celui d'Andy Levin, ancien membre progressiste juif du Congrès. En 2022, Levin a perdu sa primaire démocrate suite à une campagne massive de l’AIPAC, qui a investi des millions de dollars pour soutenir son adversaire. Le mois dernier, il est revenu sur son expérience avec le lobby pro-israélien, qui étouffe tout débat sur Israël. Il appelle à un changement de la politique américaine et exhorte le Parti démocrate à lutter contre l’"argent occulte" qui détourne les élections.

Le lobby pro-israélien réussira probablement à prolonger la guerre, entraînant plus de morts et de destructions à Gaza. Cependant, une fois l’élection passée, Netanyahu se verra finalement obligé de mettre un terme à ses opérations. Les États-Unis, soucieux d’éviter d'être entraînés dans un conflit régional plus large, exerceront probablement une pression croissante pour y parvenir. Dès que les hostilités prendront fin, les médias internationaux auront accès à Gaza. Les caméras de télévision pourront alors pénétrer dans l’enclave, permettant au monde entier de voir ce qu’Israël a "accompli". Les Américains se poseront alors des questions et seront plus réceptifs aux voix de Bowman, Bush et Levin.

Israël doit se rappeler que la loi sur l’enregistrement des agents étrangers (Foreign Agents Registration Act) a été mis en place aux États-Unis dans les années 1930. Cette loi stipule que quiconque travaille pour le compte d’un gouvernement étranger doit s’enregistrer comme agent étranger.  À l'origine, cette mesure a été principalement mise en place pour contrecarrer l'influence des sympathisants nazis aux États-Unis. Ces derniers répandaient une propagande antisémite et militaient activement pour que le pays reste en dehors du conflit de la Seconde Guerre mondiale.
Dans l'après-guerre, les Américains ont pris conscience du nombre considérable de vies qui auraient pu être épargnées si leur pays était intervenu plus tôt dans le conflit.  Un parallèle similaire pourrait se dessiner une fois le conflit à Gaza terminé. Lorsque l'ampleur des destructions à Gaza sera pleinement révélée, il est probable que l'opinion publique américaine réalise le rôle joué par leur gouvernement dans cette tragédie, notamment en cédant aux pressions du lobby pro-israélien. Ils commenceront à se poser de sérieuses questions, prendront des mesures, et cela pourrait bien être une mauvaise nouvelle pour Israël.

Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes, et plus particulièrement du lobbying. Elle est présidente du Centre de recherche pour la coopération et la construction de la paix, une organisation non gouvernementale libanaise axée sur la voie II.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com